Eric Piolle a fait sa pré-rentrée, avec ses troupes, en séminaire. Pas de marelle à la récré mais un « plan de mandat » à établir. Si l’élève écologiste a dépassé le maître socialiste dans la discipline de la conquête du pouvoir, ce premier de la classe s’attaque désormais à son exercice. Fermons les cahiers de vacances, permettons-nous des conseils de méthodo et des annotations dans la marge des premières copies.
1. Être le Maire, pas la mascotte
2. D’imposants portefeuilles pour les cadres
3. Promotions-éclairs des « citoyens »
4. La majorité : juste une « bande de copains » ?
5. Le Parti de gauche, ce partenaire ambitieux
6. Une opposition à reconstruire
7. Après la folle campagne, trouver la vitesse de croisière
8. Impliquer les Grenoblois pour gageure
Du studio radio-télévisé de Jean-Jacques Bourdin aux couvertures de la presse de gauche, Eric Piolle séduit. Le nouveau maire de Grenoble présente bien, parle simplement et commente peu la cuisine interne des écolos, préférant chaque fois ramener la conversation à la ville qu’il a conquise en mai dernier, à la barbe des socialistes sortants.
« Les médias ont trouvé en lui un sujet intéressant. C’est un atout qui nous permet de faire rayonner notre action et notre coalition », se réjouit Claus Habfast.
Pour son premier mandat d’élu politique, ce dernier occupe déjà la fonction – pas peu simple – de co-président du groupe unique de cette majorité chamarrée, qui allie le vert prairie d’EELV au rouge vermillon du Parti de gauche, parachevée de quelques nuances citoyennes et locales.
Symbole de ce pluralisme, Eric Piolle doit désormais assumer les aléas de la célébrité naissante. Photographié en famille à la fête foraine ou sur des skis de rando dans le massif de Belledonne, la presse a fait une vedette – avec son accord – de celui qui était monté en gamme durant la campagne pour devenir le chef d’orchestre du « Rassemblement ». Mais cette concentration médiatique sur sa personne fait-elle réellement rayonner l’action municipale de la coalition qui la dirige ou se limite-elle uniquement à promouvoir la personnalité de son leader ? L’équilibre est fragile.
Quand Emmanuelle Cosse, la patronne d’EELV, voit en l’ingénieur quadra « un exemple à suivre », les médias nationaux perçoivent en Eric Piolle l’incarnation d’une nouvelle-garde écologiste réaliste et qualifiée et un prétendant naturel à de futures responsabilités grandissantes.
« Lors des premiers mois du mandat, j’étais au centre de l’attention médiatique car j’incarnais le succès du travail historique réalisé à Grenoble par la gauche et les écologistes. Mais les sollicitations nationales restent permanentes. Je dois souvent les décliner », commente Eric Piolle.
Le cabinet du maire de Grenoble s’attèle donc désormais à canaliser l’attention médiatique nationale, notamment héritée d’une campagne parfaitement « marketée » par un efficace storytelling sur son parcours professionnel et associatif.
L’attention nationale est peut-être un formidable outil de campagne mais la pression médiatique qu’elle charrie avec elle risque d’essouffler la fraicheur de ce renouveau électoral que les Grenoblois ont appelé, en votant pour un Maire, pas pour une mascotte.
2. D’imposants portefeuilles pour les cadres
Cette mise en retrait intentionnelle combinée à l’actualité estivale ont permis d’étaler l’attention médiatique sur d’autres élus de la composante politique.
C’est le cas d’Hakim Sabri – passé du statut d’élu d’opposition à celui d’adjoint aux finances chargé d’insister sur les manquements des prédécesseurs – de l’écologiste Olivier Bertrand en charge des animations de l’été ou encore de l’égérie locale du parti de gauche, Elisa Martin, adjointe à la tranquillité publique, régulièrement sollicitée à l’occasion de quelques débordements en marge de la Coupe du Monde de Football.
Tous ont en commun d’être des cadres de la majorité, rodés à l’exercice politique pour avoir déjà effectué plusieurs mandats électifs. Pour Paul Bron, du parti local Go Citoyenneté – allié malheureux des socialistes durant la campagne – cette sélection médiatique révèle également une faiblesse du nouvel effectif municipal.
« Par manque de forces vives disponibles et compétentes, les élus les plus politisés se retrouvent en plus avec des délégations surchargées. Leur engagement louable de ne pas cumuler les délégations de la communauté d’agglomération avec celles de la ville a encore réduit le nombre de profils disponibles ».
Ainsi, la même Elisa Martin, déjà 1ère adjointe à la tranquillité publique, couple sa délégation à celle des parcours scolaires. L’ancien élu écologiste Vincent Fristot pilote quant à lui une ambitieuse délégation à l’urbanisme, au logement et à la transition énergétique. Mais le record de portefeuilles dans une même musette revient à Pascal Clouaire, ancien de Go Citoyenneté, en grand écart entre la démocratie locale, l’Europe et le commerce de proximité.
3. Promotions-éclairs des « citoyens »
Pourtant, les élus sans précédents engagements politiques ne manquent pas dans les rangs de la majorité. La liste composée pour la fusion – projetant « tout au plus 25 élus » au conseil municipal – a finalement raflé 42 fauteuils sur les 59 disponibles, quand le socialiste Jérôme Safar a rejeté la main tendue d’entre-deux-tours. Les retardataires de la liste ont ainsi bénéficié d’une promotion éclair, rappelés pour certains au détriment de leurs vacances, valise bouclée, après cette épuisante campagne municipale.
Alain Denoyelle, enseignant dans une école d’ingénieur ne s’imaginait pas devenir adjoint à l’action sociale et vice-président du CCAS. Après avoir pris quelques disponibilités imprévues pour la nouvelle année scolaire, il se souvient désormais de ce qu’il a baptisé « le syndrome de l’installation ».
« Les premières semaines, j’occupais tout mon temps à rencontrer les acteurs, à répondre aux sollicitations et à prendre connaissance du fonctionnement des services, sans même avoir le temps de lire les dossiers qui m’étaient transmis. Mais avec le temps et la connaissance progressive des dossiers, nous pourrons travailler plus rapidement et plus efficacement ».
Par manque de disponibilités et parfois d’aptitude à la communication, les élus néophytes sont d’abord restés dans l’ombre, prolongeant quelques mois encore la redoutable communication centralisée qui avait fait ses preuves durant la campagne.
« Nous sommes passés du statut de challenger à celui de gibier pour la presse et nos opposants. C’est désormais leur rôle de nous acculer et d’appuyer sur nos divergences ou nos erreurs », reconnaît Alain Denoyelle.
Des formations complémentaires et les conseils « façon grande-sœur » délivrés par les fins limiers des rouages politiques ont fini de parfaire leur instinct de « chassé ». L’adjoint Vincent Fristot ayant servi d’exemple :
« Il y a toujours des maladresses en début de mandat. Travailler quotidiennement avec la presse nécessite d’être vigilant pour éviter les contre-sens. À travers un titre assassin, on m’a fait annoncer des suppressions d’emplois à la régie publique d’électricité alors que nous travaillions au maintien de l’emploi sur des postes vacants ».
Après déjà 5 mois de mandat, les « élus citoyens » – pierre-angulaire du discours de campagne – doivent désormais parvenir à se tailler une place de choix dans la communication municipale.
Il y a quelques jours, lors de sa médiatique tournée de rentrée des écoles à vélo, l’adjoint aux écoles, Fabien Malbet est venu constater « la disponibilité de salles de classe, mais l’absence de professeurs ». Il était inévitablement accompagné d’Eric Piolle … au risque d’être occulté.
4. La majorité : juste « une bande de copains » ?
La nouvelle municipalité est souvent comparée – essentiellement par ses opposants pour la discréditer – à une bande de copains, coutumiers du battage de pavés, parvenus aux manettes par un heureux hasard. Même si l’image d’Epinal protestataire est très réductrice, Corinne Bernard lui concède un fond de vérité.
« Certains élus sont tellement habitués à l’opposition et au militantisme qu’ils vivent mal d’être dans une majorité. Ils oublient parfois que les responsables désormais, c’est nous ».
La franche camaraderie suffira-t-elle à assurer la parfaite unité de cet assemblage politique bigarré tout au long du mandat ? Claus Habfast, co-président du groupe ne s’en contente pas.
« Notre dénominateur commun, c’est essentiellement notre projet. Ce serait très difficile si on élargissait à la politique nationale, c’est clair. Il nous arrive de nous engueuler. Mais c’est mon rôle de co-président de groupe de réunir tout le monde autour de la table et de continuer la discussion, comme nous l’avons fait de nombreux mois avant la campagne ».
5. Le Parti de gauche, ce partenaire ambitieux
Signe apparent de cette cohésion politique : tous les élus de la majorité siègent dans un unique groupe, au conseil municipal comme au conseil communautaire. De quoi contraindre également tout le monde à assumer le bilan des politiques menées et dissuader les baroudeurs de s’essayer à une échappée solitaire en fin de parcours si les circonstances de courses venaient à évoluer durant l’étape. Matthieu Chamussy, chef de file de l’opposition de droite, le présage déjà.
« Cette alliance politicienne tient encore mais elle sera rapidement soumise aux aléas nationaux. Grenoble n’a pas à subir l’évolution des rapports entre Madame Duflot et Monsieur Mélenchon. Même s’ils sont aujourd’hui convergents dans leurs critiques du gouvernement, le vent tourne rapidement ».
Car c’est peut-être dans les ambitions futures accordées à cette réussite électorale qu’apparaît la première craquelure. Jean-Luc Mélenchon ne tarie pas d’éloges sur le travail d’alliance avec les écologistes réalisé par ses partisans isérois. Un travail inspirant pour celui qui cherche une nouvelle issue rassembleuse à porter en 2017. Mais les Verts pourraient-ils se satisfaire de ce chef de file, au risque de revoir à la baisse leurs propres ambitions et de repousser une partie de leur électorat que le tribun agace ? Cet été encore, c’est justement depuis Grenoble qu’il torpillait les communistes et faisait de l’œil aux écologistes. Il pourra compter sur l’appui d’Elisa Martin pour défendre « les pionniers grenoblois ».
« Nous sommes très empreints de faire la démonstration qu’une autre gauche collective est possible. La nouvelle voie à gauche, déliée des socialos, c’est mon fil à plomb ».
Localement, il est surprenant de constater l’espace ténu réservé à ce partenaire privilégié déjà irrité par la composition très verdoyante du cabinet du Maire. Hormis le maroquin de la 1ère adjointe, les autres élus du parti de gauche sont relégués à des délégations plus secondaires, alors que les écologistes occupent des postes prépondérants des exécutifs municipal et métropolitain.
6. Une opposition à reconstruire
Mais pour l’heure, les garants inespérés de l’unité de la majorité sont paradoxalement ses deux oppositions. Désunies et inexercées à ce rôle, elles ne parviennent pas à déceler les divergences du « Rassemblement » pour glisser du sable dans ses rouages. Le socialiste Jérôme Safar ne dispose pas d’une équipe d’élus d’opposition disponible, préparée et volontaire pour endosser le costume d’opposant et s’atteler au minutieux travail que cela nécessite.
« Minorité ou opposition, c’est de la sémantique. Nous n’avions pas envisagé cette configuration. Le logiciel n’est plus bon. Mais un logiciel, ça s’améliore. On va y travailler. Nous savons gérer et porter les critiques quand elles seront nécessaires sans le réflexe stérile de s’opposer systématiquement à la majorité. »
La droite grenobloise pour sa part est restée aphone de ses désunions de campagne. Dans ses rangs, tout le monde n’est pas prêt à assumer la stratégie frénétique des sympathisants infatigables d’Alain Carignon, qui peinent à faire monter en neige « l’affaire Raise Partner ». Le maire EELV de Grenoble est en effet co-fondateur et actionnaire de cette société ayant des clients dans les paradis fiscaux.
7. Après la folle campagne, trouver la vitesse de croisière
Eric Piolle et son équipe nous avaient habitué à l’hyperactivité de leur campagne électorale d’initiatives permanentes. A contrario, ils ont consacré les trois premiers mois de mandat à une urgence de ralentir. Alain Denoyelle justifie cette méthode.
« Nous ne voulons pas précipiter des décisions hégémoniques. Tout comme les deux premiers mois de mandat ont été nécessaires pour prendre connaissance des dossiers, les prochains seront consacrés à la concertation avec les Grenoblois ».
Il y a bien eu quelques délibérations symboliques placées avant la trêve estivale : la réduction des indemnités des élus, l’annulation de l’armement des policiers municipaux, le positionnement de Grenoble en « Zone hors TAFTA » et une série de décisions concernant de grands équipements grenoblois. Mais globalement, Michel Destot, l’ex-Maire de la cité alpine s’inquiète de cet « immobilisme ».
« Un conseil municipal diffusé sur le net, la confusion sur le maintien des cameras de vidéo-surveillance, l’installation de moutons à la place des tondeuses (décision prise sous mandature de Michel Destot, NDLR), le retrait des publicités et des constructions de logements, … tout cela ne fait pas une politique cohérente et mobilisatrice.
Que répond la nouvelle municipalité aux deux questions prioritaires pour nos concitoyens : l’emploi et le logement ? Le temps qui passe est du temps perdu. Et dans un contexte économique toujours difficile, dans l’inévitable concurrence nationale et internationale, une ville qui n’avance pas recule ! ».
Cette décélération de la cadence ne risque-t-elle pas d’essouffler le capital sympathie accumulé par Eric Piolle et son équipe si elle venait à être interprétée comme de l’inaction par ses administrés ? C’est un risque à prendre pour l’intéressé selon qui, comme Rome, la nouvelle Grenoble ne se fera pas en un jour.
« Ma priorité est double : mettre du rythme dans nos mesures phares ; mais que cette vitesse puisse permettre l’engagement citoyen. C’est seulement ainsi que nous transformerons la ville. Le chantier est colossal. Il faut 5 à 6 ans rien que pour faire sortir de terre une école publique »
8. Impliquer les Grenoblois pour gageure
Entre changement rapide et concertation, la majorité est soumise à son propre paradoxe. Ils doivent rapidement prouver ce qui les différencie des prédécesseurs tout en prenant le temps d’un maximum de concertation conformément à leur engagement de campagne. Pour Elisa Martin, l’un et l’autre sont malgré tout profondément imbriqués.
« Notre priorité, c’est de réparer les cassures et de recréer de la confiance. Notre projet politique demande le soutien des citoyens, mais aussi leur implication. Et pour la confiance, il faut des actes. »
La démocratie locale apparaît justement comme le grand chantier transversal de rentrée sur l’échéancier de la municipalité qui propose désormais des formations publiques à la lecture du budget. Une enquête publique vient également d’être lancée pour la modification du plan local d’urbanisme (PLU). Enfin, des « Assises citoyennes de la démocratie locale » se tiendront en octobre. Parmi les mesures qui seront proposées figure l’introduction d’une dose de tirage au sort dans les conseils de secteur « pour qu’ils soient réellement représentatifs et pour éviter notamment qu’ils soient monopolisés par les retraités de droite » confie un proche d’Eric Piolle.
Ce repiquage local de la République de Platon sera arrosé d’une belle enveloppe de deux millions d’euros de budget participatif pour voir germer le « pouvoir de l’habitant ». Attendons maintenant de voir fleurir.
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