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Que reste-t-il de Friends ?

Increvable bouche-trou des chaînes de la TNT, la sitcom vedette des années 90 survit pourtant douloureusement à un revisionnage intégral. Petit récapitulatif des 236 épisodes à destination de ceux qui ont autre chose à foutre. Et republication de cet article du 25 février 2014 à l’occasion des 20 ans de la série !

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Que reste-t-il de Friends ?

« Donc personne ne t’a dit que ta vie allait se dérouler comme ça / Ton boulot craint, t’es fauché, ta vie amoureuse est déclarée morte / C’est comme si t’étais coincé en seconde / Et c’est pas ton jour, ta semaine, ton mois ou même ton année mais / Je serai là pour toi / Quand il commencera à pleuvoir / Je serai là pour toi / Comme si j’étais déjà passé par là / Je serai là pour toi / Parce que t’es aussi là pour moi. »

Les paroles des Rembrandts, dans toute leur immédiateté et leur assaisonnement mélodique power pop à en vomir, font office de déclaration d’intention des premières saisons, avant de se voir dévoyées par le processus de normalisation des personnages. Tant que les aléas de la vie (chômage, recherche d’apparts, galères sentimentales…) se précipitent à ton chevet, tu peux toujours compter sur ta bande de potes.

Mais dès que tu décides de renier tes idéaux pour mieux te plier aux conventions de la vie adulte, c’est chacun pour sa gueule. A compter de sa saison 6 (année a priori maudite pour les sitcoms au long cours, si l’on en croit le renoncement encore plus spectaculaire de How I Met your Mother au gré de l’arc narratif principal de sa sixième année – la destruction de l’immeuble The Arcadian), Friends entame une descente progressive, quasi imperceptible vers la trahison quasi-totale de ses prémisses.

Soit, à l’origine, le quotidien de six personnages sur la fin de leur vingtaine, à ce stade de la vie où l’on a encore le droit d’être un loser selon les canons sociétaux des années 90 :

  •  Monica Geller, ancienne boulimique reconvertie dans la restauration, animée par un esprit de compétition profondément malsain qui atteindra d’insupportables apogées dans les dernières saisons, joue pourtant le rôle de ciment du groupe grâce au superbe appartement hérité de sa grand-mère
  •  Rachel Greene, fille de riche prise d’un sursaut de conscience le jour de son mariage avec un dentiste richissime, décide de pourvoir elle-même à ses besoins et de rencontrer l’amour, le vrai
  •  Phoebe Buffay, ex gosse des rues au père fuyard et à la mère suicidée, a apparemment échappé de peu au destin de mass murderer en devenant tour à tour coloc de Monica, masseuse et chanteuse amateur – de loin le personnage le plus intéressant du show, jusqu’à ses compromissions éthiques de l’ultime saison
  •  Chandler Bing, lui aussi traumatisé, mais par une mère nympho et un père travesti, compense son mal-être par un humour déplacé et en privilégiant systématiquement une carrière confortable à ses authentiques aspirations
  •  Joey Tribbiani, homme à femmes (normal, il est d’origine latine), comédien lamentable, voit son idiotie congénitale sans cesse soulignée par le groupe, et ce alors qu’il en demeurera l’ultime reliquat d’intégrité (ceci expliquant SANS DOUTE cela)
  •  Et enfin Ross Geller, a priori le plus adulte de la bande de par son statut tant professionnel que de jeune divorcé, gaspille un temps précieux à s’apitoyer sur son sort suite à l’échec de son mariage et tente de séduire Rachel avec la finesse d’un tractopelle rouillé

Tous plus ou moins paumés, ils forment néanmoins un tout homogène, squattant plus que de raison les uns chez les autres. La matrice de Friends est le groupe. Livrés à eux-mêmes, les personnages s’embourbent dans des situations inextricables et réagissent n’importe comment. Ce n’est qu’ensemble, au Central Perk ou dans leurs appartements, qu’ils parviennent à avoir du recul, qu’ils redeviennent sympathiques et suscitent l’empathie recherchée par tout créateur de sitcom des années 90 autre que Jerry Seinfeld.

Pour accélérer l’identification aux personnages, les créateurs de Friends les font évoluer dans un monde quasi abstrait, où le social et le politique n’existent pas : tout n’est n’y que sociétal. Aucun événement extérieur ne vient perturber un ronron dont le cycle tout tracé consiste à 1/ avoir un bon job ; 2/ un bon appartement ; 3/ un beau mariage ; 4/ de beaux enfants, et si possible dans cet ordre-là.

Pour être honnête, il convient de souligner que la série aborde de front des sujets qui, vingt ans plus tard, font encore frémir les chaumières « pour tous » : homoparentalité, Gestation Pour Autrui, mariage gay… tant qu’une donnée participe du bonheur des autres, la série ne fait pas de tri politique sélectif et l’incorpore à son corpus narratif avec un naturel même pas feint. En revanche, quand l’actualité fait de rares apparitions, c’est toujours en marge des discussions, dans des digressions d’une phrase n’appelant aucune réponse. Et dans certains cas, avec le recul des années, c’est vraiment pas plus mal :

Est-ce que Friends décrit pour autant une utopie hippie-marxiste ? Très loin s’en faut. La vision des épisodes dans leur version uncut (avec des scènes et des dialogues coupés) dévoile déjà à quel point sa diffusion télévisuelle l’a transformée en objet tronqué et pudibond, chacune des pourtant innombrables références sexuelles du show passant notamment à la trappe. Comme si ça ne suffisait pas, l’atroce version française de la série rajoute une couche d’aseptisation en lissant le jeu de tous les interprètes (Lisa Kudrow et David Schwimmer en particulier), quand elle n’escamote tout simplement pas des blagues un tantinet borderline. Mais même en version originale uncut, l’arrivisme profondément individualiste des personnages l’emporte sur l’apologie de la dynamique de groupe.

Passés les interminables répétitions et autres pénibles épisodes best of de cette fameuse saison 6, les Friends doivent évoluer, ou plus exactement se poser. Monica décroche son premier vrai boulot en faisant virer un chef ; Rachel gravit les échelons de sa boîte en agitant le spectre du harcèlement sexuel ; Phoebe, dans une ultime saison en forme de chemin de croix de son aura militante, finit par bosser pour une grosse compagnie « pour le salaire, l’assurance-maladie et le confort » ; Ross multiplie les manœuvres douteuses pour se faire titulariser ; même Chandler, décrit comme « le plus intègre d’entre nous », se conduit comme un authentique fils de pute au bureau, traitant ses subalternes comme des merdes et refusant une promotion à un collègue juste parce qu’il se trompe sur son prénom. Encore une fois, Friends est en avance sur son temps, en l’occurrence sur la rhétorique conservatrice du moment qui ne comprend pas comment on peut critiquer la réussite – quels que soient les moyens employés pour y arriver. Seul Joey reste égal à lui-même, pur et satisfait de son statut de star de soap opera.

L’officialisation de la relation entre Monica et Chandler en début de saison 7 scelle le sort de la série. L’interminable préparation de leur mariage est un festival de désaveux, de souillures des personnages qui ne pensent désormais qu’à s’installer. Chandler devient une loque émasculée, dont les variations physiques de son interprète Matthew Perry suite à ses problèmes d’addiction sont peut-être les derniers restes d’humanité. Monica explose littéralement en control-freak castratrice, imbuvable, et ses rares élans de générosité sont avant tout motivés par sa compétitivité pathologique. Même les quelques flashbacks du temps de son obésité ne tournent plus qu’autour du running gag “hihi, regardez, elle est grosse“, là où les créateurs de la série s’en servaient auparavant pour expliquer ses failles actuelles.

Pendant ce temps, toutes les combinaisons amoureuses sont testées entre les autres personnages, en vain, puisque la raison narrative finira par l’emporter. Phoebe épousera Mike, le gentil rêveur, Rachel et Ross épuiseront un stock considérable de casus belli anecdotiques avant de finir ensemble dans l’ultime épisode, et Joey, après une tentative de romance avec Rachel (qui lui enlève toute singularité le temps de cette pénible digression), reste une nouvelle fois seul mais il l’accepte. Il embrasse sans souci ni remords sa vie de célibataire instable, sans attache. Est-ce pour cette raison que les scénaristes l’infantilisent de plus en plus souvent, n’hésitant pas à l’assimiler au mieux à un gosse, au pire à un débile léger ? Il est tentant de le penser.

Cette aspiration normative, que les concepteurs de la série ont a tort considérée comme son évolution logique, a eu raison de la dynamique de groupe. Les Friends sont ensemble sans l’être, obnubilés par leur reconstitution d’un modèle familial qu’ils conchiaient. Ils se vouent à reproduire les erreurs de leurs parents dysfonctionnels (à l’exception de Joey, toujours) en se persuadant qu’ils sont meilleurs qu’eux. Tout du long de la saison 10, tous les personnages croisés par Chandler et Monica n’arrêtent pas de leur répéter qu’ils vont être de bons parents, comme si les créateurs de la série tentaient de se convaincre eux-mêmes.

Friends est la lente histoire d’une trahison qui ne s’assume pas. Un show amputé par ses diffuseurs de ses meilleurs blagues, approprié par ses spectateurs sur la foi de la liberté et de l’extravagance de ses personnages avant qu’on ne les fasse rentrer docilement dans le rang, comme s’il s’agissait de l’unique voie possible. Une série qui peu à peu, relègue la marginalité sur le bas-côté et oublie ses fondements pourtant matriciels : la singularité de chacun et l’amitié dans les temps difficiles.


#Courtney Cox

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