Tout est étrange en Ecosse. En dépit de leur fâcheuse tendance à conduire du mauvais côté de la route, les Ecossais semblent aborder l’étape d’une potentielle indépendance – ce qui, entre nous, n’est pas une mince affaire – avec un flegme apparemment total. En ce jour du fameux vote, qui aurait pu marquer soit la fin de 300 années d’union avec le Royaume-Uni, soit la naissance d’une Ecosse aux « pouvoirs renforcés », les rues de Glasgow ressemblaient à celles de Glasgow, à n’importe quel jour de l’année.
Certes, n’étant officiellement habitant de Glasgow que depuis peu de temps, mon avis est loin d’être objectif. Mais j’ai eu l’occasion, depuis plusieurs semaines, d’être mêlé aux discussions, débats plus ou moins alcoolisés, plus ou moins animés entre ces Ecossais, Anglais, Irlandais, Allemands, Français, Espagnols (et Lyonnais) qui peuplent cette ville. Et j’ai la curieuse impression, aujourd’hui peut-être plus qu’un autre jour, que plus personne ne veut en parler.
La morosité a gagné Glasgow – sauf peut-être la place Georges Square, qui accueille chaque jour les plus prompts défenseurs du Oui face à l’Hôtel de Ville. Pourtant, rien ne saurait expliquer cette morosité : l’issue du vote n’est pas connue à ce moment, ni pliée à l’avance ; en cas de victoire du Oui, Glasgow serait sans doute le théâtre d’une gigantesque beuverie ; également, l’Ecosse pourrait devenir indépendante.
Comment expliquer que les Glaswégiens fuient les questions sur le référendum ? Une partie de l’explication pourrait résider dans le poids des mots – à défaut du choc des photos. La semaine dernière, un retentissant sondage donnait le Oui gagnant face au Non, pour la première fois depuis des mois de sondages.
Ce jour-là, je m’en souviens comme si c’était hier : le Guardian plaçait le mot « shock » en caractères 230 sur sa Une. Tout le monde en parlait, depuis le café du lendemain de cuite jusqu’au pub de la veille de cuite. C’est comme si tout un pays avait réalisé que oui, merde, peut-être qu’en fait c’est possible. Depuis, plus rien, ou presque.
Pire que les gros mots, les actes
Pire que les gros mots – au sens littéral -, le trop plein de mots. L’overdose médiatique de ces derniers jours aura sans doute eu raison de la volonté de s’intéresser au débat de plus d’un. Et les affiches floquées d’un « YES » blanc sur fond bleu clair, collées par centaines aux vitres des immeubles du West End, ne font plus vraiment office de grand argumentaire. Même si David, étudiant écossais de 22 ans, me faisait remarquer qu’il serait bon de « jeter quelques oeufs » sur cette porte d’immeuble arborant le honteux « No Thanks ».
Pire que les gros mots – au sens figuré -, les actes. Quelques oeufs, me direz-vous, c’est bon enfant. Et apparemment coutumier en Ecosse, comme peut en témoigner Jim Murphy, député travailliste défendeur de l’Union. Mais tout partisan du Non ne peut pas se satisfaire d’un aussi bon traitement par ses adversaires. Dans le Times du jour, un article recense les diverses attaques – verbales, voire carrément physiques – des défenseurs de l’Ecosse britannique. Ainsi, en vrac, des jeunes filles faisant du porte-à-porte insultées d’ « idiotes qui ne comprennent rien à rien », des députés travaillistes « secourus » par la police lors d’un rassemblement à Glasgow, ou encore un caméraman de Sky News frappé avec un bâton.
Sur Byres Road, on distribue des badges aux passants qui portent les mêmes badges
Sale temps pour les unionistes. Tellement orageux que le Times cite une dame qui aurait bien fait campagne pour l’Union, mais qui avait peur de risquer sa peau pour ça. L’intimidation des militants du Non est devenu, selon un militant cité par le journal, « un sérieux problème ces derniers jours ». Difficile de juger ça crédible ou non. Je n’ai vu, personnellement, aucune bagarre dans les rues de Glasgow ces dernières semaines. Les seuls idiots qui en viennent aux mains supportent soit les Celtics, soit les Rangers.
Pour être honnête, l’Ecosse se débrouille très bien. Je n’ose imaginer ce qui se passerait en France si Paris décidait de devenir indépendante. Ou pire, Marseille, avec des débats télévisés organisés à Paris ou à Lyon.
A Glasgow, le Oui a emporté le combat des rues, et de manière drôlement pacifique. Chaque jour depuis maintenant une semaine, sur la passante Byres Road, des militants – disons plutôt, des sympathisants – distribuent badges, affiches et t-shirts aux passants qui portent les mêmes badges, affiches et t-shirts. Lorsqu’un vieil homme passe devant l’un de ces stands avec le honteux « No Thanks » accroché au veston, on lui tend quand même avec un grand sourire un badge pour le Oui, comme si au fond du fond, on s’en foutait. Car tout est étrange en Ecosse.
Chargement des commentaires…