Les politiques culturelles ont été questionnées comme jamais au Festival d’Avignon cette année. La crise des intermittents a mis la culture sous le feu des projecteurs, et avec elle, l’impact de ce secteur sur l’économie. Le rôle de la gauche a également été relevé, et l’inertie du Ministère de la Culture pointée du doigt.
Tribune de Farida Boudaoud, vice-présidente de la Région Rhône-Alpes déléguée à la culture et à la lutte contre les discriminations.
Certains sont allés jusqu’à constater l’agonie de l’Etat culturel, qui consacre ses maigres moyens à arroser toujours les mêmes terres fertiles, négligeant le reste, et en particulier les cultures émergentes et urbaines. Un Etat sans imagination, entend-on, sans discours sur les arts, et une déception immense chez tous les gens de gauche qui pensaient jusque-là que la culture était un marqueur politique.
« Se débarrasser de tout ce qui dépasse »
Il est clair que l’Etat culturel est en panne. Le Ministère de la rue de Valois ne sait plus donner le tempo, encore moins innover. Les dynamiques culturelles sont désormais du côté des collectivités territoriales, qui ont pris l’ascendant sur le Ministère ces trente dernières années, grâce aux lois de décentralisation, et qui procèdent à de douloureux arbitrages depuis six ans, sacrifiant les secteurs que la Loi ne leur impose pas de financer.
C’est ainsi que l’on a vu les Conseils généraux se désinvestir massivement du champ culturel depuis 2008, à mesure qu’ils devaient faire face à l’envolée des dépenses sociales du fait de la crise économique. Demain, si la culture reste une compétence facultative — fut-elle partagée — le risque est grand que les pouvoirs locaux s’en détournent. Et ce n’est évidemment pas l’Etat qui compensera le manque à gagner.
Par ailleurs, dans le cadre des réformes en cours, l’effacement des Conseils départementaux conduira à l’extinction des politiques culturelles départementales, et les Régions, renforcées dans leurs compétences obligatoires, seront incitées à se débarrasser de tout « ce qui dépasse ».
Une compétence culturelle obligatoire aux Régions
Face à ce constat, il y a deux attitudes possibles. Laisser faire, et admettre la mort programmée des politiques culturelles territoriales. Ou faire différemment, et proposer des perspectives aux professionnels de la culture et aux habitants.
Loin de tout fatalisme, la gauche a là une occasion historique de marquer l’histoire de la décentralisation culturelle. Il s’agit de partir de la déclaration de l’Association des Régions de France lors du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel du 17 juillet dernier, et d’inscrire par amendement dans le projet de loi MAPAM la proposition de Jean-Jack Queyranne de conférer une « compétence culturelle obligatoire » aux nouvelles Régions, dont les contours restent à définir, avec une « compétence exclusive » sur les industries créatives (cinéma, audiovisuel, livre).
La nouvelle architecture culturelle, configurée pour répondre aux défis de l’époque, fera en outre l’objet d’un « pacte » liant l’Etat, les Régions, les intercommunalités et les villes, afin que le soutien aux arts reste une ambition commune et une compétence partagée.
Les Régions ont toutes agréé ce texte. Elles veulent exercer une compétence culturelle obligatoire non pas par caprice, mais parce qu’elles disposent déjà de politiques culturelles opérantes, et que l’échelle des futures Régions permettra de concevoir des stratégies de long terme, notamment pour intégrer une dimension d’aménagement culturel du territoire et éviter que tous les projets ne se concentrent au cœur des métropoles — voire au cœur de l’hyper-centre des métropoles.
Imaginer un transfert de fiscalité
De part leur taille, les nouvelles Régions permettront une mise en réseau des acteurs, et articuleront cette vision d’ensemble avec les fonds structurels européens, dont elles assurent désormais la gestion, pour susciter l’innovation et offrir des réponses aux disciplines émergentes, aux arts numériques, aux cultures urbaines, etc.
Dans ce nouveau schéma, l’Etat conservera son pouvoir réglementaire et normatif, mais il devra déléguer une partie des attributions des DRAC aux Régions, pour plus d’efficacité et de simplicité : je pense en particulier aux politiques de soutien à la création, à la diffusion et à la médiation culturelle, qui ne peuvent plus faire l’objet de deux guichets parallèles répondant quasiment aux mêmes règles et critères.
Les économies, pour le coup, seront réelles. Les Régions pourront en outre gérer la majeure partie des compétences culturelles jusque-là exercées par les Départements. Il faudra alors imaginer un transfert de fiscalité pour leur permettre de remplir cette nouvelle mission.
La Région : l’espace géographique de la concertation
Enfin, les conférences territoriales de l’action publique (CTAP) prévues dans le cadre de la future loi de décentralisation seront déclinées sur le champ culturel pour permettre aux collectivités publiques de construire une « stratégie culturelle régionale », définissant les objectifs à atteindre et le rôle assigné à chaque échelon.
Chaque territoire, en fonction de son histoire, de ses enjeux propres, de ses priorités politiques, fixera les termes et les axes de cette stratégie territoriale, sans ingérence d’un échelon sur un autre, et en concertation avec les acteurs culturels et les citoyens.
La région deviendra naturellement l’espace géographique de la concertation, tandis que l’échelon de la proximité sera de plus en plus l’intercommunalité.
La culture n’est pas un secteur comme les autres
Ces évolutions ne sont pas révolutionnaires. Les Régions ont déjà les capacités d’intégrer une telle montée en puissance. Mais les effets produits sur la culture et les professionnels, eux, révolutionneront totalement la donne. Les paperasseries qui contraignent les structures culturelles et en particulier les petites associations seront simplifiées.
La stratégie culturelle du territoire sera connue, conçue et évaluée en concertation avec les habitants, en toute transparence. Les nouvelles pratiques artistiques seront prises en compte, dans le cadre de politiques publiques « évolutives », soucieuses des démarches transversales et pourquoi pas du « hors cadre » — car la culture, qu’on le veuille ou non, s’invente dans les marges.
Les crédits affectés à la culture seront mieux répartis, afin qu’il n’y ait plus les rentiers d’un côté et les précaires de l’autre. Les liens entre la culture et l’éducation populaire seront recherchés, encouragés, suscités. L’éducation artistique et culturelle sera le fil conducteur de toute intervention publique, afin que les lieux se soucient davantage — et aient les moyens — de conquérir de nouveaux publics, en particulier dans les quartiers et les campagnes.
La culture n’est pas un secteur comme les autres. Elle est l’affaire de tous. Elle est ce qui marque nos vies, et ce qui colore une action politique. Il est important, alors que l’occasion est offerte par la réforme territoriale, de bousculer l’ordre établi et d’inscrire une nouvelle étape dans la décentralisation culturelle. La France, avec la gauche à sa tête, peut — et doit — montrer l’exemple au reste de l’Europe.
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