. Ses ongles sont rongés. Témoignage.
Depuis le 7 avril, le tram-train de l’ouest lyonnais a repris intégralement son service. Le boitard, la pièce défectueuse à l’origine du déraillement le 3 décembre dernier, a été changé sur l’ensemble du parc. Le tram-train a-t-il enfin pris un vrai départ? Pas vraiment.
Les syndicats n’ont pas vraiment attendu la reprise du tram-train pour monter au créneau. Dès son lancement en septembre 2012, ces derniers ont pointé du doigt les salaires réservés aux conducteurs de tram-train. Il faut dire aussi que ce poste est tout nouveau dans l’organigramme de la SNCF. Régis a signé son contrat le 2 mai 2011. Il a obtenu son examen de conducteur la première quinzaine de juin. Ses premiers kilomètres au volant du tram-train ont été effectués le 24 septembre 2012.
« Un conducteur est payé moitié moins qu’un conducteur de TER quasiment à boulot égal, et dans des conditions pires. Je touche entre 1500 et 1600 euros nets par mois ».
« Ce problème est réglé en interne »
Début avril, une « concertation immédiate » s’est tenue entre la direction de la SNCF (directeur d’établissement et directeur des ressources humaines) et deux membres de chaque syndicat : CGT, CFDT, Sud-Rail et un membre FO en tant qu’invité. L’UNSA, elle, n’a pas été conviée. Au cours de cette réunion, la SNCF a émis une proposition de revalorisation salariale.
Pour cela, l’entreprise publique a débloqué une enveloppe de 40 000 euros. La somme est à dispatcher sous forme de primes trimestrielles. Pour l’obtenir, les conducteurs de tram-trains doivent remplir deux objectifs. Comme l’indique le document officiel, « Proposition de dispositif de reconnaissance de la performance des CRTT de l’Ouest lyonnais » :
« Les critères sont considérés comme remplis si et seulement si:
- Pour 2014, la NRO (Non Réalisation de l’Offre opérationnelle) est inférieur ou égale à 1,2% et la ponctualité est supérieure ou égale à 96%
- Pour 2015, la NRO est inférieure ou égale à 1,1% et la ponctualité est supérieure ou égale à 96,5% « .
En revanche, aucun objectif n’est déterminé pour 2016. Cette prime est-elle seulement prévue sur deux ans ? Et ensuite ?
A nos questions, la SNCF adresse une réponse laconique :
« La SNCF ne souhaite pas polémiquer avec ses partenaires sociaux par média interposé. Il y a un dialogue social mais ce problème est réglé en interne ».
Les syndicats ont refusé cette proposition.
La course à l’objectif
Régis, lui, a sorti la calculette. En imaginant obtenir cette prime, il aurait touché à la fin de l’année entre 900 et 1000 euros nets supplémentaires. Pourtant, Régis refuse d’être pénalisé pour des incidents qui ne sont pas imputables aux conducteurs. Solidarité oblige. Pour lui, quand un tram-train est supprimé ou a du retard, « c’est soit une cause de machine, soit une cause d’infrastructure. Toujours un problème externe au conducteur ».
Pour lui comme pour ses collègues, la solution passe par une revalorisation de la Prime Moyenne Journalière de Service (PMJS). Elle atteint 23 euros par jour, peu importe le nombre de trajets effectués.
« LA SNCF refuse cette éventualité car, si on touche à cela, tous les CRTT de France pourraient demander une revalorisation de la PMJS ».
La proposition de la SNCF a un autre défaut : elle favoriserait la course à l’objectif.
« Soit j’applique mes documents tranquillement et calmement et je respecte les règles de sécurité. Soit je repars vite sinon cela risque de faire baisser les chiffres et je ne vais pas obtenir ma prime. En plus, cela aurait pu créer des tensions entre la personne qui respecte la sécurité et celle qui ne pense qu’aux objectifs », décrit Régis.
Le jeune conducteur ne mâche pas ses mots. Au fil des mois, son emploi s’est détérioré.
« Les journées légères, 4 voyages en moyenne, sont de plus en plus rares. En règle générale, c’est 7 et cela monte jusqu’à 10 ».
Des lignes qui demandent beaucoup d’attention
Ces enchaînements de voyages influent sur la concentration du conducteur. D’autant que les lignes de l’Ouest lyonnais demandent une attention toute particulière. C’est écrit noir sur blanc dans le rapport d’expertise sur le projet « Evolution de l’Ouest lyonnais », présenté en réunion plénière le 18 mars 2011.
Frédéric Mallet, syndicaliste à Sud-Rail, tire la sonnette d’alarme:
« On a beaucoup d’écarts de sécurité, des dépassements de vitesse. En cause : la déconcentration des conducteurs ».
Régis désespère : « la SNCF ne comprend pas ».
« Les couteaux suisses de la SNCF »
Les conducteurs de tram-train tirent sur la corde. Le mal-être semble important à l’intérieur des équipes. Les cadences augmentent. Le stress aussi. La concentration tendrait à faiblir. Les arrêts de travail se multiplient comme les retards. Sur les 36 conducteurs de tram-train, six étaient au moment de nos interviews en arrêt maladie, longue durée.
« Aujourd’hui, la SNCF en est arrivée à faire un plan de transport adapté, car il n’y a pas assez d’effectif. Au niveau du cadencement, on est passé à la demi-heure à la place du quart d’heure ».
Face à cette vague d’arrêts maladie, de nombreuses inspections ont été menées.
« Les médecins du travail partent du principe que c’est au niveau du recrutement que cela a pêché. En gros, les conducteurs ne sont pas assez motivés ».
Il y a un hic. Ces médecins sont salariés de la SNCF. Régis ironise sur leur prétendue indépendance.
Alors, pour pallier ce manque d’effectif, un poste est là pour colmater les trous : les chefs de lignes. Ils sont trois dans l’ouest lyonnais. Le rapport d’expertise consacre un paragraphe. Le titre est assez évocateur:
Trois types d’activités sont attendues du chef de ligne : aussi bien des tâches d’exécution que de formation ou d’encadrement. Voici ce que dit le rapport :
« La majorité des activités des Chefs de ligne sera déterminée en fonction des besoins plus ou moins prévisibles et a priori en concertation avec le Permanent Voyageur de Tassin: remplacement de conducteurs au pied levé, gestion des aléas, coordination en opérationnel … En situation d’aléas, de nombreux besoins seront concomitants ».
Aujourd’hui, la plus grande partie de leur temps est dédiée à la conduite du tram-train. Régis les surnomment de manière assez évocatrice:
« Ce sont les couteaux suisses de la SNCF ».
Des incidents depuis la reprise
Le boitard a été changé sur l’ensemble du parc. Le tram-train repart-il sur de bons rails ? Cela aurait pu être le cas. Quelques semaines plus tard, Régis égrène les dysfonctionnements :
« On n’a eu que des incidents sur les machines. Des problèmes de portes. Des organes de sécurité qui se déclenchent tout seul, sans aucune raison. Rien que moi, sur une journée, j’ai fait supprimé sept tram-train. J’ai mis plus de 35 minutes de retard à tous les trains juste parce que j’avais un problème sur le premier de la journée, à 5h42 ».
Il assène même :
« On ne sait pas vraiment si on est en sécurité. Heureusement que l’on ne sait pas tout ».
« La situation est très grave »
Eliane Giraud, vice-présidente à la Région déléguée aux transports, perd patience. Il y a de quoi compte tenu de l’investissement de la Région dans cette affaire. Le projet aura coûté 297 millions d’euros, qu’elle a financé en partie.
« Le tram-train, cela ne va pas. La qualité du service n’est pas au rendez-vous de l’investissement de la Région. Je ne peux admettre que les gens soient en situation difficile en matière de transport alors qu’on investit autant et que l’on a défendu le service public. La situation est très grave ».
L’élue PS prophétise :
« Si le service public continue à être aussi malmené, je pense que cela fera les beaux jours de certains, le privé par exemple ».
Si la situation perdure, Régis ne fera de vieux os ici. Il prendra une autre voie.
« Je ne vais pas me pourrir la vie pour un boulot et pour des personnes qui n’ont rien à faire de nous. Plusieurs personnes veulent changer de travail. Des demandes ont déjà été faites pour quitter le poste de conducteur de tram-train ».
*Son prénom a été modifié.
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