C’est un drôle de jeu qui nous tombe entre les mains. Ou plutôt, dans les oreilles. « A Blind Legend » pourrait présenter toutes les caractéristiques d’un jeu d’aventure classique, disponible sur téléphone mobile :
« Vous incarnez Edward Blake, un chevalier dont la femme, Dame Caroline, a été enlevée par le redoutable Thork, maître du donjon de l’ile de High Castle et ennemi juré du héros.
Vous partez alors pour un long voyage et devrez traverser de sombres forêts, de gigantesques montagnes, affronter une mer en furie, éviter les dangers du donjon de High Castle pour enfin affronter Thork lors d’un duel homérique et sans pitié… »
Sauf que, pas de bol :
« Ce jour-là, Thork vous a crevé les yeux ! Guidé par votre fille Louise, vous partez affronter l’armée de Thork et braver les dangers pour sauver votre dulcinée. »
L’idée est venue du « Virtual Barber Shop »
Dans « A Blind Legend », on se retrouve donc dans la peau d’un aveugle. En pratique, ça donne un jeu sur smartphone hors du commun : devant vous, un écran noir, vos écouteurs pour seuls guides.
L’idée est venue du « Virtual Barber Shop », nous explique Nordine Ghachi, l’un des créateurs du jeu. Ce projet avait été initié par le QSoundLabs, impressionnant de réalité, qui nous met à la place d’une personne se faisant tailler les cheveux et la barbe (écouteurs ou casque obligatoires).
Pour créer un univers sonore à trois dimensions, les créateurs du « Virtual Barber Shop » s’étaient servis d’un micro à deux entrées : une qui représente l’oreille gauche, et l’autre, la droite. Ensuite, c’est plutôt simple : on les positionne de façon à capter ce que nos tympans capteraient en réalité. L’espacement entre les deux entrées est calculé pour être l’espace « moyen » des deux oreilles d’un être humain normalement constitué (environ 18 centimètres).
Un son en 3D entièrement créé
Seul hic : un tel matériel coûte cher. Les créateurs du projet « A Blind Legend » ont trouvé la solution pour amortir les coûts de production. Sans rentrer dans des élucubrations techniques, ils se servent d’un algorithme spécial qui permet de « transformer des sons ‘normaux’ en sons binauraux », nous indique Pierre-Alain Gagne, gérant et co-fondateur de Dowino, la start-up à l’origine du projet :
« Tout est fait à l’ordinateur. Grâce à un plug-in [un programme informatique qu’on intègre à un logiciel], on va recréer des sons binauraux, c’est-à-dire un univers sonores en trois dimensions. »
Et pour recréer des sons fidèles à la réalité et aux mouvements des joueurs, les créateurs ont d’abord dessiné un véritable univers 3D, « un peu sommaire », puis l’ont tout simplement caché :
« Par exemple, pour la démo, les dessins sont très simples : des cubes, des formes basiques. On a dessiné un gros cylindre pour représenter un oiseau, par exemple. On le place dans un espace en trois dimensions, et grâce à des calculs, cette forme va émettre un son qui sera situé, lui aussi, dans l’espace », explique Pierre-Alain Gagne.
Attention, ça ne marche pas pour tout le monde
Comme indiqué sur le blog du jeu, le repérage d’un son dans l’espace par notre cerveau dépend de plusieurs paramètres :
« Ce ne sont pas seulement nos oreilles qui permettent de repérer les sons aussi finement. La morphologie de notre crâne, avec toutes ses aspérités (menton, pommettes, front, nez, yeux… etc) va permettre de ‘filtrer’ les sons différemment. Ces informations de filtrage sont envoyées au cerveau qui a alors suffisamment d’informations pour situer le son dans l’espace le plus précisément possible ! »
Ainsi, il a fallu recréer informatiquement ces paramètres morphologiques. Ce sont ce qu’on appelle des filtres HRTF (Head-Related Transfer Function). Il existe, bien entendu, autant de filtres que de formes de crânes. Sacré casse-tête (sans mauvais jeu de mot) pour lancer un jeu tout public.
Heureusement, l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (IRCAM) possède d’énormes bases de données de ces filtres, et a réussi à établir « une formulation moyenne convenant pour un grand nombre de personne et pour de nombreuses applications ».
« Pour ‘A Blind Legend’, nous sélectionnerons quelques filtres parmi les plus répandus et proposerons aux joueurs de sélectionner celui qui leur va le mieux avant de commencer l’aventure », peut-on lire sur le blog du jeu.
Dowino, une start-up à Villeurbanne dans le serious game
La start-up villeurbannaise Dowino existe depuis novembre dernier et a déjà lancé deux applications sur mobile : un guide pour des chercheurs d’emploi handicapés, et une interface pour inciter le public handicapé à interpeller les candidats aux élections européennes sur les problématiques les concernant.
Dowino fait dans l’éthique, donc. Et, plus récemment, dans le « serious game » :
« En fait, on préfère dire ‘game for change’, moins péjoratif. On essaye de faire des jeux vidéos pour éduquer, sensibiliser, intéresser les gens dans les domaines de la santé, de l’environnement, de l’éthique, etc. » nous précise Nordine Ghachi, un créateur du jeu.
« A Blind Legend » est conçu pour les non-voyants comme pour les voyants. Et il sera gratuit. Pour le financer, l’équipe a lancé un projet de financement participatif, autrement dit de crowdfunding, qui a d’ores et déjà atteint le premier stade, primordial au lancement, de 40 000 euros.
Les deux autres stades de financement participatif, s’ils sont atteints, pourront donner naissance à deux autres niveaux de jeu – il y en aura 3 pour le jeu basique – une version en espagnol, et une version PC ou Mac. En attendant, si vous voulez vous faire une idée du projet, vous pouvez télécharger la démo du jeu : une partie de cache-cache avec Louise, votre fille.
Selon Pierre-Alain Gagne, le gérant de Dowino, la production du jeu devrait démarrer cet été, pour une sortie prévue « d’ici la fin de l’année ».
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