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Erdogan à Lyon : meeting controversé pour la plus grande communauté turque de France

Le très controversé Premier ministre turc tenait un meeting ce samedi à Lyon. A deux mois des élections présidentielles, Recep Tayyip Erdogan est venu chercher les voix de la première communauté turque de France. Dans une ambiance de stade, il a été accueilli en rock star. Reportage.

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Meeting d'Erdoagn à Lyon, le samedi 21 juin 2014. © Mathieu Martiniere.

Ce samedi 21 juin, la navette TCL spéciale 100, départ « Vaulx-en-Velin-La-Soie », arrivée « Eurexpo – Entrée centrale », a exceptionnellement changé son terminus. En quinze minutes, elle nous conduit à des milliers de kilomètres, traversant le Bosphore et la plaine d’Anatolie.

Devant Eurexpo, peu avant le meeting d’Erdogan à Lyon, samedi 21 juin 2014. © Mathieu Martiniere.

A la descente du bus, devant le parc d’expositions, des écharpes et des drapeaux rouges brillent sous le soleil. Sur des tables, des urnes sont disposées pour financer des futures mosquées de la région. Dans la cour intérieure, les effluves nous transportent au cœur des marchés stambouliotes : pains simit au sésame, köfte au grill, pizzas turques « lahmacun » chauffées sur d’immenses poêles au sol, baklavas à la pistache…

Entre 15 000 et 20 000 personnes, selon les organisateurs, ont fait le déplacement pour assister au meeting lyonnais du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan.

Meeting d’Erdoagn à Lyon, le samedi 21 juin 2014. © Mathieu Martiniere.

 

« Mon père est venu travailler en France pour s’acheter un tracteur »

Mustapha vient juste d’avoir 18 ans. Franco-Turc, il est venu de Nantua (dans l’Ain) pour écouter le discours du Premier ministre. Les 10 et 24 août, il pourra voter pour les élections présidentielles en Turquie dans les consulats de Lyon, Paris, Marseille, Nantes ou Strasbourg. Une première en France.

« Je suis de la troisième génération. Mon grand-père est arrivé en Rhône-Alpes dans les années 1970. Il était pauvre, il venait de la campagne et il est venu travailler en France pour s’acheter un tracteur. »

Après des meetings chahutés en Allemagne et en Autriche, après une courte visite hier à l’Elysée pour parler Syrie avec François Hollande, Recep Tayyip Erdogan n’est pas venu à Lyon par hasard, même s’il n’a pas encore officiellement annoncé sa candidature pour les présidentielles. La région Rhône-Alpes abrite la plus grande communauté turque de France, près de 200 000 personnes selon les associations. Pas moins de 220 associations franco-turques sont recensées dans la région.

Murat Akbulut est membre de l’UETD, l’Union des démocrates turcs et européens, l’association qui a invité le Premier ministre turc à Lyon :

« La communauté turque est très bien intégrée en Rhône-Alpes. Il y a de fortes concentrations à Lyon bien sûr, mais aussi à Mâcon, à St-Etienne, en Savoie et en Haute-Savoie. A Saint-Etienne, c’est les industries qui ont attiré les travailleurs turcs. »

M. Alam est secrétaire de l’Association culturelle turque de Saint-Etienne (ACTS). Il précise :

« Il y a plus de 1000 familles turques à Saint-Etienne, entre 5000 et 6000 Turcs. L’immigration en France et en Rhône-Alpes s’est faite dans les années 1970 et 1980. Beaucoup de Turcs sont venus, notamment d’Allemagne, pour travailler dans le bâtiment, un secteur où il n’y avait pas de problème de langue. On fête cette année les 50 ans des débuts de l’immigration franco-turque. »

 

« Le seul homme politique qui bosse »

Officiellement, l’association se veut culturelle et « apolitique ». Officieusement, M. Alam a aidé à l’organisation du meeting. Il lâche :

« C’est un signe fort. C’est la première fois que le chef du gouvernement turc vient à Lyon. Depuis qu’Erdogan est au pouvoir, les conditions en Turquie se sont améliorées. »

Depuis son accession au pouvoir avec son parti l’AKP en 2002, la Turquie a connu une prospérité économique qui se chiffre : le taux de croissance est monté à 8% en 2011. Le Premier ministre turc a lancé une politique de réformes et de grands travaux, dont la construction du plus grand aéroport du monde à Istanbul. En 2023, l’année du centenaire de la République, il rêve de faire rentrer la Turquie dans le top 10 des nations les plus riches de la planète.

Il est 15 heures. Le Premier ministre turc est en retard. Plusieurs centaines de spectateurs attendent depuis midi leur idole. Au micro, le speaker harangue la foule. Des « Recep Tayyip » sont chantés. Des drapeaux géants sont déployés. Dans le public, se retrouvent de nombreux travailleurs de la région, notamment dans le bâtiment.

Comme Ayhan, 34 ans, qui porte dans le dos un drapeau à l’effigie d’Erdogan, comme une cape. Il est fan :

« Les Turcs sont des travailleurs, et Erdogan, c’est le seul homme politique qui bosse.  »

Avec Ayhan, pas question d’évoquer le scandale de corruption qui entache la réputation de celui qu’il voudrait voir à la tête de la Turquie.

 

Les routes en Turquie et Sevil Sevimli à Lyon

Plus loin, Ismail, 23 ans, étudiant franco-turc en école de commerce, rappelle :

« Erdogan a développé l’économie et le tourisme. Avant, mes amis me disaient que tu ne pouvais pas accéder à certains hôpitaux car il manquait des routes. »

Si la Turquie connaît un ralentissement économique depuis quelques années (une croissance à 4% annoncée pour 2014), si les investisseurs ont été freinés par les manifestations de Gezi et les récents scandales de corruption, le bilan économique reste sans conteste le point fort d’Erdogan, qu’il rappelle dans tous ses meetings. Afin de mieux faire oublier les atteintes récurrentes à la liberté d’expression ou aux droits de l’homme.

En 2012, Sevil Sevimli, une étudiante franco-turque à l’université Lyon 2, en a fait l’amère expérience. En année d’Erasmus à Eskisehir dans l’Anatolie, elle avait été accusée de terrorisme et avait passé trois mois en prison pour avoir simplement manifesté et assisté à un concert de rock contestataire.

 

 » La visite de Recep Tayyip Erdogan est un scandale »

Mais Sevgi, 42 ans, aide-soignante à Bron venue avec sa fille au meeting, préfère voir le côté positif :

« Erdogan a amélioré les routes, la façon de vivre, la sécurité des Turcs en général. Il a beaucoup fait pour le droit des femmes voilées également. Si les personnes sont en prison, c’est qu’elles le méritent, croyez-moi ! »

Quelques heures plus tôt, place Carnot, entre 500 manifestants selon la police, et 1 000 selon les organisateurs, ont rappelé les dérives autoritaires du Premier ministre turc. L’appel avait été lancé par la communauté alévie de France, dont fait partie Sevil Sevimli. Stigmatisée en Turquie, elle encourage un islam plus progressiste. Des banderoles « dictateur », « assassin » ou « égalité et liberté pour tous » étaient brandies.

Etienne Copeaux, chercheur associé au Groupe de Recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen Orient (Gremmo) du CNRS, et ancien pensionnaire de l’Institut Français d’Études Anatoliennes (IFEA – Istanbul), commente :

« La visite de Recep Tayyip Erdogan est un scandale qui me remplit de honte (…) Sa présence à Lyon est une provocation envers les démocrates de Turquie et de France, les Alévis, les Arméniens. Le maire de Lyon et notre Président devront s’en expliquer. »

A la tribune, en attendant Erdogan, le speaker harangue la foule. A Eurexpo, Lyon, samedi 21 juin 2014. © Mathieu Martiniere.

16h30. La moustache du Premier ministre apparaît sur l’écran géant d’Eurexpo, sous les acclamations. Des milliers de drapeaux et d’écharpes rouges envahissent le centre des expositions. Des myriades de smartphones immortalisent l’instant. L’accueil est digne de celle d’une rock star. Recep Tayyip Erdogan n’est toujours pas candidat à l’élection présidentielle en Turquie mais son public l’a déjà élu.

 


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