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[En video] « La loi sur la pénalisation des clients de prostituées est paternaliste »

Après avoir été votée en première lecture par l’Assemblée nationale, la proposition de loi pénalisant les clients de prostituées doit revenir dans les prochains jours devant les sénateurs. Nous avons rencontré Lilian Mathieu, sociologue et directeur de recherche au CNRS (ENS Lyon). Il est l’auteur de plusieurs livres sur le sujet dont le dernier « La fin du tapin ». Morceaux choisis de l’entretien par écrit ; son intégralité à voir en vidéo et dans la partie actu du webdoc « les filles de Gerland ».

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Par Laurent Burlet et Jean-Louis Rioual
Vidéo : Pierre Maier et Natacha Bouktevich

Image tirée du webdoc « Les Filles de Gerland », par Rue89Lyon.

1/ Quels sont les enjeux de cette loi de pénalisation des clients ?

La proposition de loi de pénalisation des clients de prostituées est l’aboutissement d’un long processus que nous pouvons faire remonter à la loi de sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy (2003). Cette loi pénalisant le racolage passif était censée lutter contre la traite des êtres humains. Elle a été fortement critiquée : pour aider les prostituées, on les réprimait.
Cette critique a été développé par la gauche et le PS qui a préconisé une nouvelle manière d’appréhender les prostituées : elles sont des victimes donc il faut les secourir.
A travers cette proposition de loi, les prostituées sont présentées comme des victimes de la traite des êtres humains et des victimes des clients car la prostitution est définie comme une violence sexiste.

« Un discours victimaire et misérabiliste est développé par le mouvement abolitionniste »

L’exposé des motifs de la loi de pénalisation est un copier-coller du discours abolitionniste, notamment fédéré au sein du collectif Abolition 2012 qui s’est fortement remobilisé depuis 15 ans. C’est un discours victimaire et misérabiliste qui a été développé par le mouvement abolitionniste et certaines fractions du mouvement féministe, à quelques exceptions près, comme le Planning familial.

« Avec cette loi, on a une argumentation pour rapatrier les prostituées avec bonne conscience »

Il y a une élaboration très méticuleuse de la question définie comme un problème de violence avec des victimes et des coupables.
Ce discours s’articule autour d’une argumentation logique au sens très général du terme : si la prostitution n’a plus de débouchés (car il n’y aura plus de clients), les prostituées seront amenées à chercher un autre travail.
Cette solution rencontre les préoccupations des acteurs politiques. Les politiques de droite comme de gauche répètent qu’ »on a » un problème avec l’immigration irrégulière. Or une fraction féminine de cette immigration irrégulière est constituée de prostituées. Donc on a une argumentation pour les rapatrier avec bonne conscience : on va dire qu’elles sont victimes de la traite et sont venues contre leur gré en France.

 

2/ Pourquoi le « modèle suédois » est-il mobilisé ?

La Suède en 1999 a innové en édictant une loi pénalisant les clients des prostituées. Le problème de cette loi est qu’elle n’est évaluée que par ses promoteurs qui l’a trouve remarquable. Il n’y a pas eu d’évaluation indépendante.
Il est établi que la prostitution de rue a été divisée par deux. Mais on ne sait pas ce que ces prostituées sont devenues.

« Avec le modèle suédois, on entre dans un logiciel répressif »

Les sondages d’opinion montrent que les Suédois sont désormais favorables également à la pénalisation des prostituées elles-mêmes. Cela veut dire qu’avec la pénalisation des clients on entre dans un logiciel répressif.
Les problèmes sociaux et d’intégration sont abordés, pas seulement en Suède, sous un angle répressif et compassionnel : il y a des méchants et des gentils; et c’est à la police de prendre en charge ces questions.
Dans les années 1960, le personnage central de la politique abolitionniste était le travailleur social. Aujourd’hui, c’est le policier.

 

3/ « Les chiffres sur la prostitution sont militants »

On est dans un espace de débat où les chiffres sont mobilisés fréquemment pour l’argumentation. La raison ? Cela permet d’éloigner le discours trop immédiatement moral. Car l’abolitionnisme, mouvement qui vient du christianisme, est toujours taxé d’être l’allié de l’ordre moral. Il s’agit de présenter des arguments qui se présentent comme objectifs et scientifiques tout en suscitant de l’émotion par leur énormité.
Mais la quasi totalité des chiffres ne veulent strictement rien dire. Exemple : « 80% à 90% des prostituées sont victimes de la traite« .
Il y a une difficulté à la base : la prostitution est une activité informelle donc il est impossible de connaître précisément ceux et celles qui l’exercent. Par ailleurs, comment comptabiliser la prostitution occasionnelle et autres ?

« La quasi totalité des chiffres ne veulent rien dire : les chiffres sur la prostitution sont militants »

Les chiffres les plus sérieux sont ceux de la police mais n’importe quel sociologue sait que ces chiffres reflètent l’activité policière. Or s’agissant de prostitution, ces chiffres reposent sur les interpellations pour racolage passif et de séjour irrégulier. La police s’intéresse surtout à celles qui apparaissent comme étrangères. Donc dans les statistiques on trouve un grand nombre de personnes étrangères.

 

4/ Que peut-on attendre de l’application de la loi de pénalisation ?

On peut penser que le gouvernement montre que cette loi de pénalisation marche. Des consignes seront certainement données aux policiers.
Mais comme pour la loi sur le racolage, on peut s’attendre qu’après une phase de médiatisation, l’action policière s’estompe.
Pour le racolage passif, le nombre de condamnations a baissé. A Lyon, par exemple, des prostituées ont pu ainsi revenir sur les quais du Rhône. Il y aura des actions policières quand les riverains et les entreprises se plaindront.

« On peut supposer qu’il y aura la même application que pour la loi sur le racolage passif : après une phase de médiatisation, l’action policière va s’estomper »

L’objectif de cette loi est de dissuader les clients. Or, en matière de prostitution, on est dans le marché libéral, pur et parfait, rêvé. Par conséquent, si la demande baisse, les prix des passes vont baisser et les prostituées seront moins exigeantes avec les clients.
D’où une augmentation des risques d’agressions ou de passes sans préservatifs. En terme de santé publique, c’est catastrophique.

« Cette proposition de loi réinstaure un vieux clivage qu’on croyait disparu depuis le XIXe siècle entre les pauvres méritants et les pauvres non méritants »

Les revenus alternatifs au travail proposés sont essentiellement l’allocation temporaire d’attente, comme pour les demandeurs d’asile. C’est 340 euros pas mois. Si elles complètent avec de la prostitution, elles se disqualifieront. Donc il n’y aura pas de raison d’être « sympa » avec elles. C’est le piège terrible dans lequel vont se trouver les prostituées étrangères : régularisation avec injonction d’arrêter de se prostituer. Et si elle complète avec de la prostitution, ce sera l’expulsion du territoire. Il faut rappeler qu’en terme de titre de séjour, elles n’auront droit qu’à une autorisation temporaire de séjour, donc soumis à l’arbitraire des préfets.
Finalement, cette proposition de loi réinstaure un vieux clivage qu’on croyait disparu depuis le XIXe siècle entre les pauvres méritants et les pauvres non méritants, dans un esprit paternaliste et autoritaire.

 

5/ En quoi la politique en matière de prostitution suit-elle la politique urbaine ?

Il n’y a pas de spécificité lyonnaise dans l’éloignement des prostituées du centre-ville. Mais la Ville de Lyon met en scène de manière exacerbée des processus que l’on retrouve ailleurs, comme à Lille.
La Ville de Lyon a anticipé en 2002 la loi sur le racolage passif en interdisant les prostituées dans le centre de la Presqu’île qui était le quartier traditionnel de la prostitution depuis le Moyen Âge.
La politique en matière de prostitution suit la politique urbaine. Les problèmes commencent avec les prostituées en Presqu’île juste après l’inscription de Lyon au patrimoine mondial de l’Unesco. De la même manière pour la Confluence et Gerland. Quand la Confluence devient la nouvelle frontière de Lyon, les prostituées deviennent un problème. Idem à Gerland, ce sont les entreprises qui se plaignent car c’est mauvais pour l’image de marque.

« Conséquence de la gentrification : c‘est une logique de prestige et de moralisation de la ville qui se joue autour de la prostitution »

Il y a une logique d’exacerbation des tensions sociales entre des couches favorisés de la population destinés à peupler des quartiers gentrifiés et les fractions les plus dominés : les Roms, les clochards, les prostituées… Ceux qui font taches dans le paysage. C’est une logique de prestige et de moralisation de la ville qui se joue autour de la prostitution mais également des nuisances sonores, de l’affichage sauvage.
La ville doit être rendue la plus propre possible pour attirer ceux à qui la moindre tache pourrait faire peur.


#Prostitution

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