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Les pratiquants du Parkour à Lyon : « Devant la police, il ne faut pas s’enfuir »

SERIE « LA VILLE COMME TERRAIN DE JEU » #1 / Depuis la fin des années 1990, on croyait les Yamakasis disparus. Mais en réalité, il existe toujours des acrobates du mobilier urbain, appelés pratiquants du Parkour. Ils font de Lyon un terrain de jeu très spécial, loin de l’image donnée par le film de Luc Besson. Épisode 1 d’une série sur les sports urbains, pratiqués sans licence, qu’on ne découvre souvent qu’en se rendant sur zone.

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Parkour

Un traceur pendant un saut © Parkour Lyon

Comme tous les mercredis soirs, ils sont une bonne vingtaine à venir perfectionner leur « Art du Déplacement » à la Part-Dieu, à l’ombre du Crayon. Parmi eux, un public essentiellement masculin (nous n’avons en tout cas pas vu de fille lors de notre visite), 20 ans de moyenne d’âge. Ils attendent l’arrivée de Manuel Fernandez, un peu plus agé, 30 ans. Cet ancien électricien est ce qu’on appelle un « traceur », le nom donné aux adeptes du Parkour.

Pionnier de la discipline à Lyon, depuis huit ans, il enseigne à des plus jeunes cet art du déplacement au sein de l’association Parkour Lyon.

Vidéo par Pierre Maier/Rue89Lyon.

 

« La peur du vide »

Aujourd’hui, Ils sont environ une centaine d’amateurs d’acrobaties à Lyon. Le Parkour semble retrouver un second souffle. Il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a huit ans Manuel Fernandez était un peu seul à pratiquer la discipline à Lyon :

« Avant même de nommer la discipline Parkour, je bougeais, je sautais, je me faisais plaisir même si j’étais un peu seul à le faire. Point important, à l’époque, Youtube n’existait pas. Pas de vidéos virales donc. Le lieu de rendez-vous des amateurs de la discipline était un forum (parkour.net), dans lequel on s’échangeait des conseils, des petites vidéos de mouvements. Du coup j’ai pris conscience que c’était une vraie discipline. J’ai pu mettre des noms et un certaine efficacité sur les mouvements que je réalisais. »

Au début, Manuel a d’ailleurs dû composer avec un handicap assez contraignant pour la discipline :

« Non seulement j’ai commencé à 22 ans, ce qui est assez tard pour le Parkour, mais j’avais en plus la peur du vide. Aujourd’hui, je n’ai pas la prétention d’être le plus doué mais je réussis à me faire plaisir en ayant une capacité de progression. C’est pour ça que j’enseigne à des jeunes ».

« On essaie de combattre l’image du risque »

Les temps ont changé. Manuel n’est plus seul à affronter le mobilier urbain. Ils sont même trois à enseigner le Parkour. Joris et Loïc l’ont rejoint. La discipline a pris de l’importance. D’ailleurs, ils préparent tous les trois un BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et du Sport), pour leur permettre de devenir éducateurs sportifs et enseigner l’art du déplacement aux jeunes.

En 2001, avec le film de Luc Besson notamment, la France découvre une bande de potes dont la principale activité est de sauter de toits en toits entre les barres HLM de Choisy-le-Roi (Val de Marne). Ils se font appeler Rocket, Tango, l’Araignée… Ce sont les Yamakasis. Le phénomène est lancé.

À l’époque, différents reportages télé parlent de la discipline et de son côté spectaculaire, à base de cascades et d’acrobaties.

C’est toujours ce côté casse-cou qui attire vers le Parkour, comme l’explique Manuel :

« Dans les vidéos que l’on peut voir sur internet, on voit des types qui envoient des sauts, des pirouettes et toutes sortes de figures impressionnantes. Seulement, ce sont des pratiquants très expérimentés qui maîtrisent parfaitement leur sujet. Il y a un côté risqué dans notre discipline mais ce dernier est malheureusement lié à une fausse image qui n’est que la partie immergée de l’iceberg… D’un autre côté, c’est aussi cette image spectaculaire qui contribue au succès de notre discipline. »

Son acolyte Joris Maréchal précise :

« 80% des vidéos que l’on voit sur internet sont des vidéos de freerun. En premier lieu, il s’agit de l’anglicisation du mot Parkour. C’est une variante de la discipline axée sur le côté spectaculaire. Dans le Parkour, il y a vraiment une notion d’efficacité de déplacement avant toute chose. »

Patience et détermination sont les meilleures alliées du traceur. Le but n’est pas de former des ninjas comme l’explique Manuel :

« Le but est qu’ils fassent quelque chose de propre et sans danger. Ceux qui ont la détermination vont évoluer efficacement en prenant du plaisir. C’est d’autant plus gratifiant quand on sait faire les choses après avoir galéré un peu. L’image risquée est inhérente à notre discipline mais c’est celle qu’on essaye de combattre. En fait le sport en lui-même n’est pas si difficile que ça, c’est juste qu’il demande beaucoup de pratique. »

Chaque traceur doit donc passer par un entraînement laborieux et répétitif. Lors de notre visite nous avons assisté à une séance particulièrement physique : on répète les gammes. « Jusqu’à ce que ça rentre », soit 10, 100, 1000 fois, comme le prétend Manuel Fernandez :

« C’est la répétition qui fait la maîtrise. On ne va jamais faire un saut à trois mètres de haut si on ne maîtrise pas ce saut au sol dans un premier temps. On ajoute de la hauteur petit à petit. »

Séance d’entraînement à côté de la Part-Dieu © Pierre Maier

« On finit par se blesser tôt ou tard »

Un entraînement nécessaire car le Parkour n’est pas sans risques. Manuel s’est déjà brisé la cheville lors d’une mauvaise réception. Les adhérents sont en tout cas prévenus. Si on ne veut pas se blesser, « il faut faire autre chose » :

« Tôt ou tard on fini par se faire des petits bobos. On prévient tous ceux qui viennent s’entraîner avec nous que s’ils espèrent rentrer chez eux sans la moindre égratignure c’est pas la peine de venir. Il faut jouer à la pétanque ! »

C’est donc compliqué pour trouver un accord avec les assurances. Le Parkour n’entre dans aucune des catégories sportives prédéfinies. Pour l’instant, la discipline est rattachée au Crossfit (considérée en tant que telle par les assureurs) ce qui semble convenir à tout le monde. Cependant, la Fédération de Parkour (FPK, crée en 2011) est en train d’adapter ses statuts pour une reconnaissance plus spécifique de la part des assureurs. Le renforcement de cette Fédération permettrait de mieux faire connaître et d’apporter un cadre supplémentaire à la discipline. Ce qui manque au Parkour à Lyon, c’est l’organisation de grands événements qui permettraient d’ « annuler les clichés ».

 

 « Avec les autorités, ça se passe bien dans 80% des cas »

Le film Yamakasis montre des jeunes qui s’amuse à semer et à faire des pieds de nez à la police. Les héros usent de leur agilité pour échapper et narguer les forces de l’ordre. Toujours avec style. Dans la réalité, c’est évidemment plus difficile. Certains sont tentés de le faire dans les rues de Lyon, lorsque les riverains appellent la police. Face à la gêne occasionnée Manuel préfère opter pour une approche plus pédagogique :

« La première chose à faire, c’est de ne pas s’enfuir. On va expliquer ce qu’on est en train de faire pour qu’ils voient que l’on ne dégrade rien, que l’on a rien à se reprocher. On essaye de faire preuve de bonne volonté en assumant nos responsabilités. Si on parvient à s’entendre et que la police nous laisse continuer, ce qui arrive dans 80% des cas, on continue. S’ils insistent pour qu’on parte, on s’en va. On peut comprendre que notre discipline puisse déranger. En plus, il y a plein d’endroits où s’entraîner, si ça pose problème à quelqu’un, on va voir ailleurs. Notre but c’est de nous faire connaître, pas d’entrer en conflit avec les gens. »

Une autre façon de voir la ville

Être traceur reste en tout cas « un mode de vie » d’après Manuel. Un précepte que les pratiquants de la discipline semble avoir adopté, comme Silver, une vingtaine d’années au compteur :

« Lors d’une balade, là ou les gens voient une simple barrière ou un simple muret, nous on voit un obstacle intéressant. On regarde toujours autour de nous pour découvrir un tracé et différentes façons de le franchir. Quand on fait du Parkour, on voit la ville autrement. »


#Culture

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