47 familles (soit 110 enfants pour la grande majorité scolarisés) qui se retrouvent actuellement privés d’hébergement ou en passe de l’être. Ce jeudi, des parents d’élèves ou des enseignants de ces écoles faisaient « goûter solidaire » au square de l’école élémentaire Gilbert Dru, à la Guillotière. Parmi ces familles SDF, les Carpaciu, que nous avons rencontrés.
Roxana Carpaciu a 23 ans. Elle fait partie de la minorité Roms de Roumanie. Un visage déjà marqué par les épreuves. Comme chaque matin, à 8h30 pétantes, elle vient déposer ses trois mômes, Philip (10 ans), Tabita (7 ans) et la petite dernière Sarah (4 ans) tous scolarisés à l’école Berthelot. Assise sur un banc face à l’entrée, elle les suit du regard. Une bouffée d’oxygène, l’école. Quelques bonjours de courtoisies fusent. L’histoire de Roxana a pris un nouveau tournant le 7 avril dernier. Depuis la fin du plan froid, toute la famille s’est retrouvée sans abri. L’école, elle, entame une nouvelle mobilisation.
120 euros par mois
La famille Carpaciu a débarqué sur le territoire français en 2007. Roxana avait alors 16 ans. Avec Roméo, son mari, et ses deux premiers enfants, elle a décidé de quitter sa ville, Oradea, dans le département de Bihor. 2 000 kilomètres et deux jours de bus plus tard, les voici enfin sur Lyon.
« En Roumanie, il n’y a pas de travail. Et puis, la vie est chère : le logement, l’école, la cantine ».
Depuis la rentrée 2011, les enfants sont inscrits à l’école Berthelot, en classe d’initiation non-francophones (CLIN). Trois après-midis par semaine, ils suivent des cours avec Marion Duchemin, une enseignante spécialisée. Le reste du temps, Philip, Tabita et Sarah sont scolarisés dans des classes ordinaires.
« Philip a appris très vite le français. Sa soeur, elle, va savoir lire avant lui. Le plus difficile, c’est l’incertitude qui plane sur leur avenir. Les enfants sont inquiets. Ils ne se confient pas forcément à leurs camarades de classe. Ils ont besoin de parler. C’est ce qu’ils font, un peu, avec moi », explique Marion Duchemin.
Les parents d’élèves aident Roxana et Roméo. Parmi eux, Barbara Vernet, de la FCPE :
« On les accompagnent surtout pour l’insertion et le côté administratif: dossier RSA, CAF… Une membre FCPE travaille d’ailleurs à Pôle Emploi ».
Les parents suivent actuellement deux heures de cours de français par semaine à l’Arche de Noé ainsi qu’à l’école Berthelot. La mère, Roxana, travaille depuis janvier comme femme de ménages. Six heures par semaine, elle se rend chez quelques familles dont les enfants sont scolarisés à l’école Berthelot.
« Elle est payée en chèque-emploi service », précise la FCPE.
Elle bénéficie aussi du suivi de la mission locale du 7e. Son mari, lui, s’est inscrit à Pôle emploi le 23 janvier dernier, depuis que les Roumains ont accès à l’ensemble du marché du travail. Il s’y rend chaque jeudi pour faire un point. Il recherche activement un CDD « plongeur en restauration » et « nettoyage de bâtiments ».
Avec à peine 120 euros par mois et sans allocations familiales, il est impossible pour la famille de trouver un logement. Cela dure depuis sept ans maintenant. Depuis leur arrivée en France, les Carpaciu ont enchaîné les squats, hôtels et autres foyers d’accueils.
Dix nuits dans l’école Berthelot
L’hiver dernier, leur quotidien est devenu encore plus incertain. Début décembre, le squat quai de Perrache où ils vivaient a été vidé de ses occupants. L’école Berthelot s’est alors mobilisée pour la famille Carpaciu. Chantal Naudin, la directrice, se souvient :
« Le 10 décembre, au matin, les parents délégués ont frappé à ma porte. Quatre familles sont à la rue. Il fallait leur trouver absolument un endroit ».
Le local réservé d’ordinaire aux parents d’élèves a servi d’hébergement de fortune. Les Carpaciu, comme trois autres familles, y ont passé dix nuits, de 18 heures à 7h30, avant la reprise des cours, en compagnie, à tour de rôle, de deux autres parents d’élèves ou d’enseignants de l’école qui ont soutenu ce mouvement.
Quatre mois après, Chantal Naudin garde toujours un goût amer. Dans cet épisode, elle s’est sentie un peu délaissée par les pouvoirs publics, jusque la prise en charge par la préfecture du Rhône de la famille dans le cadre du plan froid. La famille Carpaciu a alors pu s’installer à l’hôtel Saint-Michel (7e). La stabilité n’a duré qu’un temps. Le 7 avril, le plan froid a pris fin. La rue s’est profilée à nouveau.
Ils ont finalement atterri dans un garage squatté par une famille que connaît Roméo, dans le quartier Grand Clément.
« C’est difficile, surtout pour les enfants. Il y a l’électricité, c’est vrai. Mais nous n’avons pas l’eau chaude ».
« On n’a pas le temps de s’occuper des rythmes scolaires »
Leur nouveau squat est loin de l’école Berthelot. Quarante minutes de marche sont nécessaires. Ils arrivent même en avance. L’entraide joue. Les fournitures sont offertes, comme la cantine. Les familles d’élèves épluchent les annonces pour un travail, font jouer leurs contacts.
Des dons de vêtements s’organisent aussi. Le dernier en décembre dernier. Une quarantaine de sacs remplis de vêtements, des couvertures, des matelas, des duvets… De temps en temps, des ventes de gâteaux solidaires ont lieu. L’argent est ensuite redistribué. Le soir, c’est plus compliqué. Il faut manger, souvent aux Resto du Coeur, se laver aussi. Barbara Vernet, elle, perd parfois patience :
« C’est aussi lourd pour les parents d’élèves. On n’est pas élus pour ça. Du coup, on n’a pas forcément le temps de s’occuper d’autres questions. Les rythmes scolaires par exemple ».
20 écoles concernées par « 110 enfants à la rue »
Ce jeudi, fin de journée sur le square de l’école élémentaire Gilbert Dru, à deux pas de la Place du Pont à la Guillotière. Parents d’élèves, professeurs, membres d’associations sont réunis pour un « goûter solidaire » et partager un même constat : les cas de familles avec enfants privées d’hébergement d’urgence se multiplient depuis la fin du plan froid, le 31 mars.
Au niveau de chaque école, enseignants ou parents d’élèves ont recensé ces élèves qui dorment provisoirement chez des amis, dans des squats, des bidonvilles ou carrément à la rue.
Bilan du recensement non exhaustif : 110 enfants au sein de 47 familles, pour la plupart scolarisés vivent, disent-ils, « dans la rue » ou dans des situations d’une extrême précarité. 20 écoles sont concernées. Et la liste s’allonge.
Ce réseau informel de profs, d’associatifs et autres parents d’élèves n’a pour l’instant pas envisagé d’occupation d’écoles comme il y a pu en avoir pour la famille Carpaciu ou d’autres en décembre dernier.
L’heure est encore au constat. Certains ont rappelé le nombre d’enfants SDF. D’autres ont évoqué « l’illégalité » de cette situation en se référant, outre au droit au logement français, à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant des Nations Unis.
« C’est inadmissible et illégale », s’insurge un professeur des écoles.
« L’école, c’est un droit. Le logement, c’est un droit », ajoute une membre de l’association CLASSES (sur la scolarisation des enfants des squats), en rappelant les obligations de l’Etat, c’est-à-dire, la préfecture du Rhône en matière d’hébergement d’urgence.
La famille Carpaciu, elle, repart du square à pied. Le 15 mai, elle devra quitter son squat. Enième départ pour elle.
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