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L’élu d’Orléans à la lutte contre l’immigration clandestine est juge en charge des étrangers à Lyon

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François Grouard magistrat TA Lyon et adjoint en charge de la lutte contre immigration clandestine Orleans

[Mise à jour le 24 avril à 15h] Le conseiller municipal fraîchement élu à Orléans, en charge de la fameuse et surprenante délégation de « lutte contre l’immigration clandestine » est par ailleurs magistrat au tribunal administratif de Lyon. Lequel tribunal a pour principale activité de juger les étrangers qui contestent leur expulsion.

Saisi par le président du tribunal, le « collège de déontologie » du Conseil d’Etat vient de rendre son avis. Pour une question d’impartialité, le magistrat/conseiller municipal ne doit plus traiter du contentieux sur les étrangers. 

Réélu au premier tour des élections municipales, le maire UMP d’Orléans, Serge Grouard, a rapidement commencé à appliquer son programme. Dès le 30 mars, soir du second tour, il a annoncé la nomination d’un conseiller municipal en charge de « la lutte contre l’immigration clandestine ».

Cette annonce n’est pas passée inaperçue. L’opposition de gauche comme les militants des droits de l’Homme dénoncent une « idéologie qui n’est même pas celle du FN ». L’info est devenue un feuilleton de la presse locale et a été reprise par les radios nationales, notamment par RMC :

L’élu orléanais va revenir à Lyon pour être magistrat, « comme prévu »

François Lagarde, magistrat au tribunal administratif de Lyon ©Site de campagne

En présentant son conseiller municipal, le maire a omis de préciser que François Lagarde, annoncé comme un « magistrat de 36 ans », exerce depuis juillet dernier au tribunal administratif de Lyon, après être sorti de l’ENA en décembre 2012 (promotion « Marie Curie »).

C’est d’ailleurs après un stage de cinq mois à la mairie d’Orléans que ce Montpelliérain d’origine a envisagé un parachutage politique dans le Loiret.

En quoi consiste le métier de magistrat exercé par ce François Lagarde ? Les juges du tribunal administratif de Lyon (comme dans la plupart des TA de France) passent la moitié de leur temps à s’occuper de ce que l’on appelle le contentieux des étrangers.

Son job : se prononcer essentiellement sur les obligations de quitter le territoire (OQTF). En gros, le juge doit dire en cas de recours déposé par le sans-papiers si le préfet a raison de l’expulser. Souvent l’OQTF du préfet est confirmée.

Dans une configuration classique, François Lagarde occupe la fonction de « rapporteur » au sein de la première chambre. C’est un des trois magistrats qui doivent juger collégialement les affaires. Mais en urgence, quand l’étranger est par exemple placé au centre de rétention, le rapporteur peut devenir juge unique, seul à décider s’il confirme la décision du préfet ou s’il l’annule et maintient « le clandestin » sur le sol français.

Depuis le 1er janvier 2014, François Lagarde s’est mis en disponibilité pour faire la campagne des élections municipales d’Orléans. Cette disponibilité doit se terminer à la fin du mois.

Et au début du mois de mai, François Lagarde doit revenir siéger au tribunal administratif de Lyon. Un arrêté ministériel prend acte de cette fin de disponibilité.

Nous avons cherché à joindre l’intéressé pour savoir comment il comptait concilier son nouveau mandat politique et son métier, il nous a fait répondre par le service presse de la ville qu’il « reviendrait comme il est prévu ».

 

Les avocats en droit des étrangers remontés

L’information sur cette double casquette du magistrat a commencé à circuler mercredi dans le petit milieu des avocats qui assurent la défense des étrangers en situation irrégulière. Certains s’en sont étranglés, comme « maître_tat » sur Twitter :

Ce jeudi, la commission du barreau de Lyon s’est saisie de la question pour envisager des suites à donner. Du côté du Syndicat des Avocats de France de (SAF, classé à gauche), ils sont pareillement remontés et inquiets. Le président de la section de Lyon, Thomas Fourrey, explique qu’il n’est pas vraiment surpris par le profil de ce magistrat :

« D’autres juges peuvent avoir le même type d’opinion. La différence c’est qu’il sort du bois ».

Il ajoute surtout que le SAF regardera de près le retour du juge en mai prochain :

« Quand il reviendra en mai prochain au tribunal de Lyon, ce magistrat ne doit plus juger de contentieux sur les étrangers pour qu’il n’y ait pas de suspicion sur les décisions qui vont être rendues ».

 

Lutter contre « les mariages blancs » et « les attestations d’accueil »

L’inquiétude des défenseurs des étrangers est à la mesure de la mission confiée par le maire d’Orléans au conseiller municipal et magistrat. Candidat à sa réélection, le maire d’Orléans n’a pas fait dans la dentelle en rédigeant le principal tract distribué pendant sa campagne.

Comme le reconnaît Serge Grouard lui-même dans ce document, un maire n’a pas de compétence en matière d’immigration.

Toutefois, une municipalité dispose de quelques leviers non pas pour « lutter » directement contre « l’immigration clandestine » mais contre l’immigration tout court. Les deux idées contenues dans le tract sont les suivantes :

  • En matière de mariages mixtes, une mairie peut rendre la vie des futurs époux impossible en signalant systématiquement ces mariages au procureur de la République au nom de la « lutte contre les mariages blancs ».
  • Concernant les « attestations d’accueil » : à la demande du maire d’Orléans, le conseiller municipal doit se montrer « plus ferme ». Cela va surtout gêner les étrangers qui ont de la famille à Orléans et qui demandent, dans leur pays, un visa pour la France pour un court séjour.

 

Le « collège de déontologie » saisi par le président du tribunal administratif

Le tribunal administratif de Lyon ©Rue89Lyon

Contacté par Rue89Lyon, le président du tribunal administratif de Lyon, Etienne Quencez, rappelle tout d’abord que « la juridiction administrative est bien entendu totalement étrangère à cette désignation » de François Lagarde comme conseiller municipal chargé de la lutte contre l’immigration clandestine.

Le président qui a en charge l’organisation du tribunal, ne peut pas s’appuyer sur un article de loi qui interdirait ce genre de double casquette. Le code électoral prévoit seulement qu’un juge administratif ne peut pas être élu conseiller municipal dans « le ressort de la juridiction où ils exercent ou ont exercé depuis moins de six mois » (art. L. 231).

Le code électoral est complété par une « Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative ». Ce texte expose que le juge peut être « affecté et son travail organisé, de façon à éviter les situations dans lesquelles un doute pourrait naître quant à son impartialité ou son indépendance ».

La décision revient donc au président du TA de Lyon. Celui-ci précise qu’il la prendra uniquement après avoir recueilli l’avis du « collège de déontologie » qui siège auprès du Conseil d’Etat :

« Cette délégation à la lutte contre l’immigration clandestine constitue une situation nouvelle et inédite pour le tribunal au sein duquel il doit normalement reprendre ses fonctions début mai. C’est la raison pour laquelle j’ai aussitôt saisi le collège de déontologie de la juridiction administrative pour recueillir son avis sur les éventuelles conséquences à tirer de cette élection, pour l’exercice de ses fonctions juridictionnelles ».

 

Le magistrat ne doit plus traiter du contentieux sur les étrangers

Le « collège de déontologie » vient de rendre son avis. Dans une décision datée du 17 avril, le « Collège de déontologie » explique qu’il a été saisi par le président du tribunal administratif de Lyon sur « le bien fondé de son intention de demander au magistrat, (…) compte tenu de la connotation de sa mission [municipale], (…) de ne plus traiter de dossiers concernant le contentieux des étrangers ».

Le « Collège de déontologie » est allé dans le sens du président du tribunal administratif. Après avoir rappelé les différents avis rendus sur des cas similaires, il tranche :

« Quelles que soient les raisons pour lesquelles le magistrat a cru pouvoir accepter, avec la notoriété qui ne pouvait manquer de s’y attacher, des fonctions de « délégué en charge de la lutte contre l’immigration clandestine », celles-ci l’exposeraient, s’il traitait au sein du tribunal des dossiers relatifs au droit des étrangers, à faire l’objet de contestations, voire de demandes de récusation s’appuyant sur les articles L.721-1 et R. 721-1 du code de justice administrative. L’image d’impartialité de la juridiction en serait du même coup inévitablement affectée. »

Et de conclure :

« Dans ces conditions, le Collège ne peut qu’approuver sans réserve la position que vous (le président du TA de Lyon) envisagez d’adopter ».

Etienne Quencez, le président du TA de Lyon, attend le retour du magistrat, au début du mois de mai, pour lui annoncer directement quels contentieux François Lagarde aura la charge.

C’est un premier revers pour la mairie UMP d’Orléans et François Lagarde qui avait également saisi ce collège de déontologie.

Une seconde déconvenue est arrivée sur le bureau du maire. Comme l’a annoncé la République du Centre, la municipalité d’Orléans est également sommé, par le préfet du Loiret (sur demande du ministère de l’Intérieur), de changer l’énoncé de la délégation « afin d’éviter toute confusion avec les compétences de l’État ».

Il s’agit pour le moment d’un recours gracieux. Le maire d’Orléans, Serge Grouard, a deux mois pour s’y conformer. Sans quoi le préfet pourrait saisir le tribunal administratif.

> Article mis à jour le 24 avril à 15h avec l’avis du « collège de déontologie » et le recours gracieux du préfet du Loiret.


#Elections municipales 2014

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