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Solo, le James Bond de William Boyd : smoking et pantoufles

Vu de mon canapé

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Solo, le James Bond de William Boyd : smoking et pantoufles

, c’est toujours cette impression d’enfiler de vieilles pantoufles qui prévaut. Est-ce un compliment ? Un reproche ? En tout cas, Solo, le dernier roman sur James Bond signé William Boyd est au moins à la hauteur des précédentes missions de 007, notamment celles des successeurs de Ian Fleming décédé en 1964 en pleine gloire Bondienne.

Lorsqu’il meurt d’une crise cardiaque avant le tournage de Goldfinger, le troisième film de la fameuse série tirée de ses romans, Fleming laisse sur le carreau un héros mondialement adulé, un carton littéraire et désormais cinématographique sous les traits de l’écossais Connery. Même les grands de l’époque y goûtent : quand de Gaulle se fait projeter James Bond contre Dr.No dans la salle privée de l’Elysée, JFK place Bons baisers de Russie sur la liste de ses romans préférés.

1962. Sean Connery et Ian Fleming sur le tournage de Dr. No, premier Bond de la saga.

Kingsley and co

Du coup, les éditeurs de Fleming ne tarderont pas avant de réactiver le permis de tuer de l’agent 007 et de confier à un autre romancier la rédaction d’une nouvelle aventure. Ainsi, contre l’avis de Ann Fleming, veuve de Ian, qui le trouve un peu trop left wing (politiquement à gauche), l’anglais Kingsley Amis fera revivre l’agent secret sous le pseudonyme Robert Markham. En 1965 dans deux nouvelles (The James Bond Dossier et The Book of Bond) et surtout dans le roman de 1968, Colonel Sun, A James Bond Adventure. Cette fois, ce n’est plus Blofeld, l’ennemi juré de Bond, qui menace la paix du monde, mais le sus-nommé Colonel Sun, un dangereux chinois dont le projet de faire foirer un sommet au Moyen-Orient pourrait provoquer la Troisième Guerre Mondiale. La routine, donc.

Malgré un très bon accueil critique, Amis s’en tiendra là et il faudra attendre 1980 pour que la suite des aventures de Bond soit confiée au romancier John Gardner pour une série de quatorze romans et deux novelizations. Alors que le Bond cinématographique s’est depuis des années bien éloigné de l’oeuvre de Fleming en ne conservant souvent que le titre des romans et quelques noms de personnages, Gardner prend soin de respecter l’oeuvre originale tout en l’ancrant dans les années 80. Bond fume et picole un peu moins, surveille sa santé et remplace momentanément sa vieille Bentley par une Saab.

En 96, Gardner pose sa plume et l’américain Raymond Benson prend la relève. Il est bien connu des fans de 007 pour avoir rédigé à leur intention une sorte d’encyclopédie bondienne, The James Bond Bedside Compagnon, joli pavé qui traite aussi bien des romans que des films. Après six romans et quelques nouvelles situés dans les années 90 et 2000, Benson passe la main en 2002 après la sortie de The Man With The Red Tatoo.

En 2008, pour le centenaire de la naissance de Fleming, Sebastian Faulks renvoie James Bond en 1967, juste après le dernier roman de Fleming, L’homme au pistolet d’or (sorti un an après sa mort)* tandis qu’en 2011, dans Carte blanche, Jeffery Deaver lui fait faire un bond dans le temps en situant sa naissance en 1980 et en faisant de 007 une sorte d’agent indépendant embauché par une agence créée après les événements du 11 septembre 2001. Peu convaincant.

William Boyd présente Solo à l’hôtel Dorchester de Londres, avec la Jensen FF du livre.

Back in 1969

Mais revenons à nos pantoufles. Car le talent de ces différents auteurs, Deaver excepté, est d’avoir fait en sorte que dès les premières pages de leurs oeuvres respectives, on sait immédiatement que c’est bien une aventure de Bond qu’on tient entre nos mains. On s’y sent bien, toujours en terrain connu, un peu comme dans la version cinématographique, où durant plus de 40 ans, de Connery à Brosnan en passant par Moore, on retrouvait tous les deux ans sur nos écrans cet univers familier, ce cocktail aux ingrédients bien connus (filles, gadgets, méchants dingues et décors géants), un ronron confortable auquel mettra fin l’arrivée du turbulent Craig en 2006.

Ainsi, sous la plume de Gardner, Benson ou Faulks et aujourd’hui sous celle de William Boyd, Bond reste Bond. Tout est là, bien à sa place. L’environnement londonien d’abord, et des personnages fameux : M, le patron de Bond dont le bureau donne toujours sur Regent’s Park, Moneypenny, secrétaire enamourée toujours vissée derrière sa machine à écrire, Félix Leiter, le vieux  copain de la CIA, etc… Bref, on retrouve les éléments clés de l’univers créé par Fleming en 1953 avec le roman Casino Royale. Seules absentes, la traditionnelle Bentley, en panne et remplacée par une Jensen FF, et May, la gouvernante de Bond mise à la retraite. Mais on retrouve le goût qu’avait Fleming pour les descriptions détaillées d’intérieurs et de vêtements, son intérêt pour les arts culinaires et les alcools, et pour les marques de luxe.

Cette fois l’action se situe en 1969, si bien qu’on peut facilement imaginer l’australien George Lazenby dans le rôle de 007 puisque la même année sortait sur les écrans la version cinéma du roman Au service secret de Sa Majesté (écrit par Fleming en 1963), dans lequel ce comédien débutant endossait sans complexe le smoking laissé vacant par l’immense Connery avant de retomber dans l’oubli après un seul épisode pour cause de pétage de plomb et prise de melon king size.

Solo se déroule en 1969, année où Bond était incarné par George Lazenby à l’écran.

Bond en solo

Lorsqu’en 2012, les nièces de Fleming proposent à William Boyd (Un anglais sous les tropiques, Comme neige au soleil, Armadillo…) de continuer la saga James Bond (100 millions d’exemplaires depuis sa création), Boyd, qui admire Fleming, accepte immédiatement. Dans cette nouvelle aventure, 007 vient de fêter ses 45 ans, tout seul au bar de l’hôtel Dorchester. Ça le travaille un peu mais alors qu’il se console dans les bras d’une actrice, le MI6 l’envoie en Afrique pour mettre fin à une guerre civile. Contraint de désobéir à M, son supérieur, toujours cette figure paternelle si bien décrite par Fleming et aujourd’hui par Boyd, Bond continue sa mission pour son propre compte, en Solo donc, motivé par un profond désir de vengeance suite à… Mais n’en disons pas plus.

Roman violent, un rien sadique par moments (des scènes de torture un peu pénibles), Solo surprend parfois. Il semble d’ailleurs que la famille Fleming ait un peu tiqué à la lecture des premières épreuves décrivant Bond comme un assassin. Mais qui connait le Bond littéraire original, celui que l’on retrouve encore dans le premier film de la saga, James Bond contre Dr. No (Terence Young, 1962) et d’une certaine façon dans les versions récentes avec Craig, sait que Bond a souvent la gâchette facile et que son permis de tuer lui donne effectivement ce pouvoir sans qu’il en tire cependant le moindre plaisir.

Si dans Solo, Bond apparait un peu moins tourmenté que dans les romans originaux, moins sexiste et réac également, il reste un personnage sombre et complexe qui picole et qui pleure, et qui la nuit cauchemarde sur son passé de jeune soldat débarqué en Normandie sous les balles allemandes. Les racines africaines de l’auteur (Boyd est né au Ghana en 1952) sont un sérieux atout dans la description de ce petit pays fictif d’Afrique, le Zanzarim, et sa grande connaissance de l’oeuvre de Fleming (il a tout relu avant de s’y mettre) le met à l’abri des impairs. Entre le Londres des swinging sixties et la violence de cette Afrique déchirée, Solo est un bouquin dépaysant, infiniment supérieur au Carte blanche de Jeffery Deaver. A deux ou trois longueurs près (mais Fleming aussi pouvait être un peu emmerdant), c’est un hommage sérieux et appliqué, curieux mélange d’émotions, entre suspense et mélancolie, appréciable y compris par les non amateurs du genre bondien.

Car Solo n’est pas seulement un bon James Bond, c’est aussi juste un bon bouquin.

* Octopussy et The Living Daylights sortirent deux ans après la mort de Fleming mais il s’agissait de nouvelles.


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