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Dans l’est lyonnais, à Jonage, le maire UMP ne veut pas de kebab

Pendant la campagne des élections municipales, on a parlé impôts, transports ou cadre de vie. A Jonage, dans l’est de l’agglomération lyonnaise, un autre sujet s’est invité : l’étrange comportement du maire qui fait acheter par la municipalité un bar PMU pour empêcher l’implantation d’un kebab.

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PMU-kebab-Jonage

La mairie de Jonage. Cette commune du Grand Lyon compte 5 800 habitants ©Rue89Lyon

Jonage est une charmante bourgade de l’agglomération lyonnaise, à dix minutes des pistes de l’aéroport Saint-Exupéry. A une trentaine de kilomètres à l’est de Lyon, les lotissements s’agglutinent au pied d’une colline devenue centre-ville.

Le maire UMP, par ailleurs vice-président du Grand Lyon, se présente aux élections pour un quatrième mandat. Lucien Barge a une fierté  : il a réussi à maintenir une activité commerçante dynamique. Contrairement aux autres banlieues pavillonnaires dortoirs, Il n’y a pas seulement des pharmacies, des banques et des professions médicales. On y trouve également une papeterie, un pressing écolo, une boucherie, un bar-presse et un PMU.

Tous les commerçants racontent un maire qui mouille le maillot pour attirer les boutiques. Pour faciliter leur implantation, la municipalité met la main au porte-monnaie. Elle possède ainsi neuf pas-de-porte qu’elle loue à des tarifs préférentiels. Et cet interventionnisme ne connaît pas de limite.

 

« Vous savez tous ce que sont les kebabs »

Dans ce gros bourg, tout finit par se savoir. Quand, il y a un an, le maire a appris que la patronne du PMU, madame Napolitano, comptait vendre son fonds de commerce à « un Turc » pour en faire une sandwicherie kebab, Lucien Barge a immédiatement poussé la porte du bar. Madame Napolitano raconte la scène :

« Il m’a dit qu’il ne voulait pas de kebab dans sa commune et que, si je vendais, la commune utiliserait son droit de préemption. Il m’a alors proposer de racheter le PMU ».

Des paroles sous forme de menace qui ont eu de l’effet. La propriétaire du PMU s’est ravisée et a accepté l’offre du maire.

En octobre dernier, en conseil municipal, a donc été votée une délibération permettant à la municipalité d’acheter le PMU pour une somme de 135 000 euros. Pour cela, la commune doit souscrire à un emprunt. Coût total de l’opération : 176 500 euros.

Face à aux élus de l’opposition interloqués, le maire, décomplexé, ne cache pas ses intentions. Ses propos sont repris quelques jours plus tard dans les pages locales du Progrès :

« On ne va pas se cacher les choses. Si on n’intervient pas sur cette opération, on se retrouvera avec un kebab. Vous savez tous ce que sont les kebabs, et les inconvénients qu’ils peuvent avoir. Cela fait déjà trois ou quatre que je bloque, car je pense que ce n’est pas le type de restaurants qui convient à notre commune ».

Le maire a même affirmé, selon le Progrès :

« Des personnes sont allées proposer des dessous-de-table aux vendeurs ».

Mais le Progrès a euphémisé le propos. Selon plusieurs témoins, le maire a clairement parlé de « Turcs » qui auraient proposé des « dessous-de-table ».

En lisant le journal, la patronne du PMU s’est étranglée. Certes, les personnes qui sont venues la voir sont bien d’origine turque mais à aucun moment il n’a été question de  « dessous-de-table ». Elle attend toujours un démenti du maire dans le journal.

« La cravache d’or », le PMU de Jonage acheté par la municipalité. ©Rue89Lyon

 

Le bon et le mauvais client

Au début du mois de mars, lors du dernier conseil municipal de la mandature, le maire a enfoncé le clou. Cinq mois après la décision d’achat, la commune revend le PMU. L’opération financière, explique le maire, est neutre financièrement. Son objectif consiste seulement à se positionner en garant de la bonne clientèle, comme l’écrit alors le Progrès.

Dans cet acte de vente, la commune restera propriétaire de la licence 4. Le maire veut également « un pacte de préférence » en cas de revente éventuelle pour que la commune ait son « mot à dire » sur le futur acquéreur. Toujours la peur du kebab.

Lucien Barge, le maire UMP de Jonage. ©Capture d’écran Jonage Avance.

Contacté par Rue89Lyon, le maire de Jonage explique que son « interventionnisme » n’a pas pour objectif d’empêcher l’implantation d’un kebab. Ses mots n’avaient valeur que de simple « boutade ». En réalité, nous explique Lucien Barge, la commune se devait d’intervenir pour préserver un « centre-ville attractif ».

Avec une interprétation toute personnelle des principes de la liberté du commerce, le maire UMP affirme que la loi lui permet « d’intervenir sur les fonds de commerce » :

« Nous avons acheté le bar PMU car il était vieillissant. Il n’avait pas été rénové depuis 20 ans. Il avait besoin d’un coup de fraîcheur pour qu’il soit plus attractif. L’opposition raconte n’importe quoi. Nous sommes dans notre logique. Si la commune n’avait pas eu une politique pour favoriser l’installation des commerces, il en y a certains que nous n’aurions pas. Quant à ceux qu’on a, quand on a l’opportunité d’améliorer les choses, on le le fait ».

 

« Une politique anti-jeunes »

Dès le mois de décembre, l’opposition divers gauche s’est insurgée contre l’attitude du maire. Sandrine Privé, tête de liste socialiste, sait l’électorat de sa commune bien ancré à droite. Au premier tour des élections présidentielles, Nicolas Sarkozy a récolté 32,14% et Marine Le Pen 23,52%. La candidate déclare :

« Avec ces propos et cette attitude, il rassure son électorat. Pour lui, c’est totalement normal. Pour nous, c’est un dérapage à caractère discriminatoire ».

Une liste divers droite se présente également contre le maire sortant. Sa tête de liste, Laurent Chervier, s’interroge surtout sur le rôle de la municipalité dans cette affaire :

« Ce n’est pas à la mairie de gérer des commerces. Aujourd’hui l’endettement est important. Or la mairie emprunte 176 500 euros pour acheter ce PMU que le nouvel acquéreur remboursera progressivement. En comparaison, elle dépensera 300 000 euros pour la réforme des rythmes scolaires ».

Ce n’est pas la première fois que le maire de Jonage se fait remarquer. La commune est en effet réputée pour son absence de logements sociaux. En raison de sa proximité avec l’aéroport Saint-Exupéry, Jonage n’est pas soumis à la loi SRU qui oblige à 20% de HLM (relevé depuis septembre 2012 à 25% pour 2025). Résultat : un taux de logements sociaux qui flirte avec les 0%.

Un client de l’ancien PMU, âgé d’une vingtaine d’années, n’y voit pas forcément de discrimination raciale :

« Pas de HLM, pas de kebab : le maire mène une politique anti-jeunes. Il veut nous virer de Jonage ».

C’est donc un PMU, « plus attractif » selon Lucien Barge, qui devrait remplacer l’ancien.


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