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Aux Célestins, quand Ibsen tousse, Ostermeier bégaye

Abonné aux Célestins, le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier remet Henrik Ibsen sur le métier et travaille pour la première fois avec des acteurs français. La rencontre déçoit, tant il tourne autour des Revenants sans jamais les attraper.

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Aux Célestins, quand Ibsen tousse, Ostermeier bégaye

Les Revenants, de Thomas Ostermeier au théâtre des Célestins. © Mario Del Curto

Quand il crée Un ennemi du peuple au festival d’Avignon en 2012, Thomas Ostermeier se dit « moins intéressé par les thèmes psychologiques, par les questions sur le couple ou la famille ». Ces thèmes et questions innervent pourtant Les Revenants. Le metteur en scène berlinois, star incontestée du théâtre européen, monte à nouveau cette pièce, très mal perçue à sa publication en Norvège en 1881, après la réception déjà tumultueuse d’une Maison de poupée. Une précédente adaptation l’avait laissé insatisfait. Au vu de sa première collaboration avec des comédiens français, elle semble décidément lui résister. Est-ce pour lui l’Ibsen de trop ?

Outre Shakespeare,  Thomas Ostermeier assoit avec le dramaturge de Kristiana sa réputation de directeur d’acteurs hors pair. De Nora, réécriture en 2004 de La Maison de poupée à John Gabriel Borkman, de Solness le constructeur à Hedda Gabler, il trouve toujours chez lui matière à « exhumer la vérité d’une époque ».

A ses yeux, Les Revenants exhument de « vieilles idées qui reviennent aujourd’hui comme des mantras ». D’après Ostermeier,

« Nous vivons une crise terrible et les formules qui fleurissent proviennent toutes d’un monde ancien : le bonheur domestique, le retour à la nation, le recours à la religion ».

Il en tire un spectacle funèbre, où les acteurs mettent la liberté de leurs personnages à l’épreuve des dogmes bourgeois. L’expérience est sans appel : personne ne s’en sort vraiment. Inédite chez lui, la sensation de redite, de bégaiement, naît peut-être du déroulé implacable mais prévisible de la pièce.

 

Mémoire bafouée

Très inspirée de la propre vie d’Ibsen, elle déplie une thématique bien connue depuis l’antiquité du théâtre, le rejaillissement de la faute des parents chez leurs enfants. L’innocence y bataille sans le savoir avec la malédiction familiale et le secret qui l’a faite se reproduire. Tout ou presque se passe à vue dans le vaste salon d’une demeure cossue, où plane partout l’ombre du père si respectable en apparence.

Demain, un orphelinat doit être inauguré à sa mémoire. Entre les quatre murs ouatés, chacun affole sa boussole dans son coin. La veuve règle les derniers détails de l’opération avec le pasteur Manders, édile engoncé qui a renoncé à elle autrefois. Osvald le fils, l’artiste perdu, est revenu de Berlin la fièvre au corps. Régine, la bonne, résiste aux assauts  de son propre paternel, le menuisier Engstrand, qui sûr de son affaire veut ouvrir en ville une pension pour vieux marins où la jeune fille monnayerait ses charmes. Le panier de crabes remue l’air fétide du passé au moment même où se fait jour la liaison de Régine et d’Osvald. La mère, si soucieuse des convenances et de l’honneur de la famille Alving, ne peut plus cacher au monde qu’ils sont frère et soeur.

Les Revenants, de Thomas Ostermeier au théâtre des Célestins. © Mario Del Curto

A la fin du XIXe siècle, Les Revenants enfoncent le clou d’une Maison de poupée. A chaque fois plus outré par la censure larvée de ses pièces, Ibsen jongle avec les situations promptes à fissurer la morale de la bourgeoisie protestante. Ici, il n’y va pas de main morte. Monogamie mise en pièce, inceste plus ou moins avéré à tous les étages, raillerie du prêche, euthanasie suggérée… Il décline en creux les funérailles torves de l’individualisme dans une société si corsetée.

Ce fracas choque moins aujourd’hui, à quelques lycéens près… La traduction d’Olivier Cadiot, qu’on a connu plus inspiré, ne rattrape pas tout à fait les  tirades explicatives, comme lorsque la veuve Alving déroule en une réplique le programme de la pièce :

« Les Revenants… ça revient. Pas seulement l’héritage de nos parents qui revient nous hanter. Il y a aussi toutes sortes de vieilles idées et de croyances mortes. Elles nous encombrent l’esprit, nous n’arrivons pas à nous en défaire. »

 

Mauvaise partition

La pièce oscille entre le trop-plein et quelques flous. Entre les registres aussi, de la tragédie familiale au boulevard quasi grotesque, où James Joyce en son temps a vu de quoi faire une pure comédie. Thomas Ostermeier ne fait pas ce choix, ne tire pas un fil plus que l’autre.

Tous les comédiens ne sont pas à l’aise avec la partition. Si Valérie Dréville est souveraine, modulant l’autorité de la maîtresse-femme de maison avec des emportements d’adolescente et des intonations à la Jacqueline Maillan dans ses réparties comiques qui l’emportent jusqu’à l’ultime et digne don de soi, si les deux grognards Jean-Pierre Gros et François Loriquet campent avec précision les deux fous de Dieu plus ou moins vertueux par qui le mensonge se propage, Eric Caravaca et Mélodie Richard, aperçue plus tôt cette saison dans Perturbation de Krystian Lupa, peinent à trouver l’équilibre d’Osvald et de Régine. Précision à apporter : ce n’est plus Eric Cavada qui campe Osvald pour les représentations lyonnaises, mais Matthieu Sampeur.

Le fils maudit est tenu en retrait, dans une continuelle demi-teinte. La bonne surtout n’est animée que par à-coups de maladresses. La justesse variable des personnages étonne chez Ostermeier. Faut-il y voir la pudeur excessive des acteurs français devant la franchise de sa troupe allemande ?

Les Revenants, de Thomas Ostermeier au théâtre des Célestins. © Mario Del Curto

La déception se loge ailleurs. Le texte par trop démonstratif n’inspire pas au directeur hyperproductif de la Schaubühne de Berlin les situations paroxystiques qui ont fait sa marque jusque là. De Damönen par exemple, la pièce de Lars Noren au propos volontairement plus convenu, vue aux Célestins en 2011, il dégageait une interprétation d’une tout autre intensité. Les Revenants semblent le laisser entre deux eaux.

Des images fortes subsistent (cette scène à l’extincteur où Osvald éteint l’incendie de l’orphelinat et précipite son destin de supplicié), la scénographie au romantisme noir impressionne, mais pour la première fois les traits caractéristiques de sa mise en scène se banalisent. En témoigne ce plateau tournant parfois à vide. Alors qu’il brasse depuis des années les mêmes saillies du théâtre de l’attraction, cet Ibsen là nous laisse Ostermeier sur une impression inconfortable de déjà-vu.

 > Article modifié le 26 mars avec la précision sur la distribution des acteurs.

INFOS PRATIQUES

Où et quand voir Les Revenants ?

Du 18 au 22 mars au théâtre des Célestins, Lyon 2e.


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