Ce mercredi matin, le plus important bidonville de l’agglomération lyonnaise a été expulsé boulevard Sampaix à Saint-Fons, suite à une décision de justice datant de novembre dernier. « 133 personnes ont été évacuées » selon la préfecture du Rhône qui précise que quatre familles avec des enfants de moins de trois ans (onze personnes) ont été prises en charge.
Comme à l’accoutumée en matière d’expulsion de « camps de Roms », certains occupants avaient déjà rejoint le bidonville qui s’est recréé il y a un mois, à quelque centaines de mètres de là, rue de Surville, à Lyon. D’autres les y ont rejoints ce matin. Surtout, de nombreuses autres familles (une cinquantaine de personnes) se sont retrouvées sans aucun abri.
Chose inhabituelle, le chargé de mission pour les questions sociales du diocèse de Lyon, le père Bruno-Marie Duffé, était présent dès l’aube avec une quinzaine d’autres catholiques pour trouver un hébergement à ces familles.
Paroisses mobilisées
Depuis trois jours, ces paroissiens viennent à l’aube sur le terrain du boulevard Sampaix, répondant à un appel envoyé par le père Duffé sous forme de mail.
« Nous savions que l’expulsion était imminente. Nous voulions être présents comme témoins, pour s’assurer que tout se passerait bien avec la police », raconte Charles, un paroissien venu avec son fourgon depuis la commune de Messimy.
Ce mercredi matin, à 7 heures, « tout s’est bien passé avec les policiers, plus nombreux que les 133 occupants restant du bidonville », selon le père Duffé. Mais les catholiques présents aux côtés des associations comme Médecins du Monde, le Mrap ou CLASSES (scolarisation des squats) n’ont pu que constater, une fois de plus, que de nombreuses personnes se retrouvaient sans solution d’hébergement d’urgence. Le dispositif 115 étant toujours saturé malgré le plan froid.
Le père Duffé et les paroissiens ont alors activé tous leurs réseaux catholiques. Du matin jusque tard dans la soirée, ils ont passé des appels pour convaincre les curés d’héberger provisoirement des Roms.
Bilan des opérations, ce mercredi soir, environ 77 personnes ont pu être mises à l’abri dans des paroisses, dans les 2e, 3e, 5e et 7e arrondissements de Lyon, à La Mulatière.
L’hébergement est précaire. Il s’agit de salles paroissiales dans lesquelles des matelas ont été posés.
Bruno-Marie Duffé ne cache pas une certaine improvisation dans cette mise à l’abri :
« On a découvert aujourd’hui même le nombre de personnes qui n’avaient aucune solution. On a passé des coups de fil à tous ceux qui pouvaient nous aider ».
Il s’est aussi tourné vers ses contacts au sein des services sociaux de plusieurs mairies.
« J’ai contacté trois municipalités du département. Les services m’ont répondu qu’ils aurait pu les prendre en charge mais qu’avec les élections municipales, ce n’était pas possible ».
Il s’est finalement rabattu sur les paroisses. Ensuite, c’est avec leurs propres véhicules que les paroissiens ont conduit les familles chez les curés.
L’hébergement des Roms par les catholiques : une histoire longue
Ce n’est pas la première fois que des curés ouvrent leur paroisse à des sans abri. Le père Charre à Vaulx-en-Velin ou le curé de Saint-Polycarpe dans le 1er arrondissement de Lyon le font depuis plusieurs années.
En 2011, le curé de Gerland avait initié l’hébergement post-expulsion d’une soixantaine de Roms. Il a récidivé à plusieurs reprises.
Dernièrement, suite à une expulsion à Villeurbanne, c’est le curé de la paroisse de la nativité qui a ouvert une salle paroissiale.
Ce mercredi, pour la première fois, des catholiques emmenés par le responsable des « questions sociales » au diocèse se sont déplacés sur le terrain même où avait lieu l’expulsion. Surtout, les curés inscrits dans le courant du catholicisme social, fort à Lyon, ne sont pas les seuls à avoir ouvert leurs portes.
Joël Blanco, responsable du Secours catholique du 7e arrondissement, ne cachait pas satisfaction. Lui qui est depuis de longues années sur les squats, vient de mettre en place avec quelques autres un groupe de réflexion et d’animation sur les bidonvilles.
« Depuis deux mois, ça bouge. pourvu que ça perdure. Maintenant, il faut trouver des solutions pérennes pour l’hébergement. »
Avec la bénédiction du cardinal Barbarin
Les catholiques lyonnais sont encouragés à accueillir des sans abri par toute la hiérarchie catholique, du pape François au cardinal Barbarin. L’évêque de Lyon se garde bien d’entrer dans le débat politique mais ils encourage des ouailles à prendre en charge la grande détresse.
Il y a trois semaines, le cardinal avait rendu symboliquement visite aux Roms hébergés dans la paroisse de la nativité à Villeurbanne pour « manifester la solidarité de l’Eglise catholique ».
Le cardinal bénit un enfant rom accueilli pour quelques jours dans les locaux de la paroisse de Villeurbanne pic.twitter.com/EgRyRz8FxB
— Pierre Durieux (@ComCardBarbarin) February 7, 2014
Le préfet sous la pression de l’Eglise catholique ?
L’accueil des Roms dans les paroisses est en train de se systématiser à Lyon. Une réflexion qui remonte aux premiers accueils par le curé de Gerland et qui se concrétise progressivement, comme l’explique Geneviève Iacono, de l’Antenne sociale du diocèse de Lyon :
« On milite sur le fait que la dignité des personnes est non négociable. Depuis deux ans, on essaye de créer un lien permanent entre tous ceux susceptibles de pouvoir accueillir du monde ».
Mais ces paroissiens ne réfléchissent pas qu’en termes de charité ou d’hospitalité chrétienne. Ils parlent également droits fondamentaux et droit opposable au logement. Et évoquent de nouveaux recours devant la justice pour obliger le préfet à prendre en charge des personnes, précisément au nom de ce droit à un hébergement qui prévoit, dans un de ses articles que :
« Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ».
Ils évoquent des recours qui ont abouti :
- En avril 2013, le préfet a été condamné à reloger dix familles.
- La semaine dernière, c’est quatre familles qui ont été relogées de cette manière.
Progressivement, une manière d’agir se met en place. Le père Duffé complète :
« On aimerait ne pas le faire à la place de l’Etat. Mais on est devant une impuissance politique : l’Etat met énormément de moyens policiers pour les évacuations de bidonville qui conduisent à créer d’autres bidonvilles qui seront eux-mêmes évacués ».
Ces catholiques promettent de continuer et d’approfondir la réflexion sur une meilleure prise en charge.
Dans un passé récent, le préfet du Rhône, Jean-François Carenco, a déjà changé de politique du fait, notamment, de l’action des catholiques. C’est à la suite de l’hébergement par le curé de Gerland, que le programme d’intégration « Andatu » a été créé.
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