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Centrifugeuse de visionnage, épisode 22

Où l’actualité cinéma est prise de hoquets souffreteux qu’un minimum d’imagination ou d’audace suffit à guérir.

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Centrifugeuse de visionnage, épisode 22

The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson

De film en film, le petit théâtre de Wes Anderson se déploie avec majesté. Des reconstitutions fétichistes de l’imaginaire cinématographique d’un adolescent sur les planches de son éternel lycée dans Rushmore à l’invention d’un pays entier, avec ses lois, son langage, sa monnaie dans The Grand Budapest Hotel, l’artiste gagne en assurance et brusque magnifiquement ses habitudes. S’il reprend les grandes lignes de son dispositif d’installation, il s’amuse à en tordre les principes fondateurs avec des éléments jusqu’alors inédits.

Ainsi, pour la première fois de toute sa carrière, il quitte sa zone de confort asexuée pour composer, avec l’aide précieuse d’un Ralph Fiennes somptueux, un personnage aventurier, baroudeur, culbuteur de vieilles dames en série, n’hésitant pas à jurer comme un charretier dès que son langage châtié ne lui est plus d’aucun secours. Avec le personnage de vampire / homme de main de Willem Dafoe, il introduit même quelques touches de gore dans son décorum acidulé – le genre réussit merveilleusement à son cinéma, mais ce n’est pas vraiment une surprise.

Car Wes Anderson est un génial interrogateur de formes, un virtuose de la mise en place qui parvient à nous faire croire que ses personnages ne sont que des accessoires au service de l’univers dans lequel ils évoluent, avant de les envoler hors de leurs sentiers battus avec une émotion d’une justesse précieuse. Zero et Gustave, compagnons de galères à l’amitié indéfectible, tissent une relation gagnant en splendeur à chaque coup du sort. Si la matière romanesque est féconde, elle sait toujours laisser place à de splendides manifestations de chaleur humaine, unique alternative au chaos et à la fourberie grondante.

C’est là tout le propos de The Grand Budapest Hotel, libre réinterprétation des écrits de Stefan Zweig appropriés ici avec une insolence rieuse : retrouver, dans « cette barbarie autrefois connue sous le nom d’humanité », le soupçon de beauté et d’élégance. Un propos que l’on peut largement appliquer au cinéma du réalisateur.

La Grande Aventure Lego de Phil Lord et Christopher Miller

Le propre d’un miracle est de se produire quand on s’y attend le moins. Ainsi de ce navire d’apparence purement commerciale, laissant présager des pires augures d’un cinéma de demain entièrement phagocyté par des marques drivant des produits calibrés au millimètre pour flatter la maison mère et le consommateur lambda. Mais contre toute attente, La Grande Aventure Lego se situe à l’opposé du spectre cinématographique de trucs comme les Transformers ou la comédie Google-ultra friendly Les Stagiaires.

Contre toute attente, car même si Phil Lord et Christopher Miller s’étaient faits les dents sur un autre film de commande (21 Jump Street) en moquant ses prérogatives mercatiques, rien ne laissait entrevoir l’étendue du hold-up artistique à l’œuvre ici. Le prologue augure simplement d’un produit pour enfant au rythme comique suffisamment soutenu pour que les parents ne s’ennuient pas trop, dans l’esprit de l’hystérique L’Île des Miam-Nimaux – Tempête de Boulettes Géantes 2, mais sans l’impression de vomi de la palette graphique qui aurait été laissé tel quel.

La suite se pose ni plus ni moins en chronique d’une société totalitaire, à mi-chemin des démocraties consuméristes et de l’univers catastrophiste décrit dans le chef-d’œuvre de Mike Judge Idiocracy : un employé de chantier normal jusqu’à la transparence y fait joyeusement tout ce qu’on lui dit de faire, en cadence sur le tube génialement imbécile Everything is Awesome composé par Mark Mothersbaugh de Devo, featuring Tegan and Sara et les sbires de The Lonely Island. Son accession au statut de héros n’en sera que plus poussive, et subtilement décalée jusqu’au bout d’un parcours se posant en ode à l’imagination, à l’anticonformisme, et à la réappropriation des codes préétablis.

A l’instar du remake de Robocop, le film contient en son sein le déminage de toute critique, son stratagème de connivence avec le spectateur pour désamorcer toute remise en cause de son principe-même. Mais il faut avouer que dans un film conçu pour le jeune public, fort d’une insolence et d’une connaissance totale de son sujet (la multitude de détails, comme le « cosmonaute des années 80 » au casque éternellement pété et au logo effacé par le temps, révèle que les scénaristes du film ont sans doute plus joué au Lego que les actuels sociétaires de la firme), c’est beaucoup plus inattendu.

La Belle et la Bête de Christophe Gans

Pour la première fois depuis The Drowned, son sketch pour l’anthologie Necronomicon réalisé en 1993 (tout de même), Christophe Gans met sa mise en scène au service du récit et non l’inverse. Et forcément, le ressenti de l’œuvre y trouve son plus grand bénéfice. A un ralenti malheureux près, Gans livre un film à l’esthétique entièrement maîtrisée, aux images fortes d’un souffle épique qu’on n’osait plus lui soupçonner. Mieux : il parvient à faire oublier des défauts pourtant envahissants (les insupportables seconds rôles en particulier) et même à rendre Léa Seydoux attachante.

Robocop de José Padilha

Apparemment, le réalisateur des deux Tropa de Elite bouillonnait d’idées pour ce remake, et en effet, le film lance son lot de pistes intéressantes (l’ingérence américaine et ses sous-traitances, le libre-arbitre de Murphy…) aussitôt abandonnées sur le bas-côté comme un petit chiot malade. Le seul reste un peu consistant de son traitement réside sans surprise dans le personnage de Michael Keaton, parodie d’exécutif hollywoodien balancée comme du grain à moudre pour les critiques en mal de subversion. C’est bien peu à mettre au crédit d’un remake peine à jouir, visiblement désireux d’honorer son modèle mais systématiquement ravalé au rang de polar timoré par ses bailleurs de fonds.

Mea Culpa de Fred Cavayé

Fred, t’es mignon, t’es sympa, tu m’as l’air sincère, mais là, tu en demandes trop. C’est pas faute de vouloir l’aimer, ton film, après les excellentes surprises de Pour Elle et même A bout portant, mais à force de tourner en rond sur les mêmes thématiques, tu ne fais plus gaffe aux clichés que tu avais jusque-là brillamment évité. Il a suffit que tu baisses un tantinet la garde pour que Gilles Lellouche, convaincant dans ton dernier film, redevienne tristement égal à lui-même ; pour que les dialogues et les flashbacks aux teintes bleutées (argh) sonnent terriblement faux. Tu restes sans conteste le meilleur réalisateur français dans le domaine du polar, mais tu n’en es pas encore au stade où la mise en scène compense tout. Pas encore. Nonobstant, je t’embrasse.

Les Trois Frères, le retour de Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus

Pour être tout à fait honnête, à côté d’abominations comme Le Jeu de la Vérité ou Belle comme la Femme d’un autre, le grand retour des Inconnus au cinéma s’avère presque honorable. C’est là le seul atout de la comédie française d’aujourd’hui : elle apprend à se contenter de peu. De très peu, en l’occurrence. Côté mise en scène, Les Trois Frères, le retour ne se distingue de La Vengeance de Morsay qu’à la grâce relative de la présence d’un directeur photo et d’un preneur de son. Les seuls gags fonctionnant à peu près correctement sont purement visuels ; le timing comique est mort pendu, et la fâcheuse tendance du film à privilégier l’humiliation du comédien le plus doué du trio (Bernard Campan) donne un arrière-goût assez dégueulasse à l’ensemble.

I, Frankenstein de Stuart Beattie

D’ores et déjà le plus gros challenger au titre du scénario le plus con de l’année. Jugez plutôt : la créature de Frankenstein se retrouve prise au beau milieu d’une guerre ancestrale entre les gargouilles, gentils soldats de Dieu en sous-effectif, et les méchants démons, dans un contexte narratif absurde et de toute façon jamais respecté – la guerre doit absolument rester secrète, et pourtant, de gros machins volants en pierre (kudos aux CGI d’une laideur totale) explosent régulièrement des espèces de vampires bondissants en gerbes de flammes visibles à deux kilomètres à la ronde.

Ce n’est même pas le moindre des plot holes d’un film donnant l’impression de se foutre ouvertement de la gueule du spectateur. Le sommet est atteint en amorce du grand combat final, où le héros guide les gargouilles jusqu’à l’antre « secrète » des bad guys, que les combattants divins ont cherché en vain pendant des siècles : un château gardé par des men in black à 200 mètres en ligne droite de leur propre QG. C’était pourtant pas très compliqué.


#I Frankenstein

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