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Blog du taulard #9 : Les couleurs de la prison

Le noir corbeau est bien présent

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Louis de Funès et Bourvil, La Grande vadrouille (Gérard Oury, 1966).

Sais-tu lecteur, que les taulards ne peuvent pas porter des vêtements bleu marine à l’intérieur de la rate (de la taule, de la prison, quoi) ? C’est apparemment sans rapport avec le mouvement d’extrême droite de Marine Le Pen. Quoi que. Nous ne pouvons pas nous habiller de cette couleur. C’est interdit. Il faut distinguer les matons des prisonniers. Le prétexte, ce sont les risques d’évasion.

Pourtant, il n’y a que dans les romans de gare ou dans les films de série B qu’on peut voir un mec se barrer caché dans leur costume. Si tu crois cela possible, lecteur, c’est que vraiment tu ne sais rien de la taule et que tu as regardé « La Grande vadrouille » au premier degré.

Louis de Funès et Bourvil en pleine évasion, La Grande vadrouille (Gérard Oury, 1966).

Le véritable motif qui justifie ce point de règlement de l’administration pénitentiaire, c’est le symbole de l’uniforme, la marque de ce corps d’état qu’il ne faut pas tacher, même s’il n’est que le bandage qui dissimule la gangrène du pouvoir souverain. Et crois-moi, le choix des couleurs n’est jamais innocent, lorsqu’il s’agit d’en assurer la prérogative.

 

D’ailleurs, puisqu’on évoque la coloration, est-ce un simple hasard si magistrats ou avocats, à la suite des curés, portent des robes noires ? Certes, les procureurs, dans les cours d’assises, se démarquent avec un costume rouge sang. Il est vrai que les assises c’est le grand théâtre où chaque rôle est bien défini, sans surprise. Il faut du lustre. La comédie française prend ses distances avec le cabaret. On chiade la tenue puisque justement le coup de théâtre à la Feydeau est absent.

Mais en règle générale, dans les tribunaux de Monsieur et Madame tout le monde, le noir corbeau est bien présent et écrase la diversité de l’arc en ciel du vivant. Finalement, dans la noirceur du système judiciaire (non, je n’arrive plus à dire justice tant elle est étrangère à son fonctionnement), les acteurs annoncent la couleur. Ils le font dans la continuité de l’inquisition qui, comme chacun sait, était loin de la joyeuse farandole et de la franche rigolade.

Le noir, c’est le deuil, c’est la mort. Cette mort dont on ne ressuscite pas. Le signe de la renaissance n’est pas dans la coloration de cette palette-là. Les acteurs doivent faire peur, doivent contraindre, et les « voyous » faire pénitence. Les corbeaux doivent faire de la peine. Il faut bien le reconnaître, le jaune ou le rose fluo ne seraient pas dans le ton. Ce n’est pas la gay pride, mais la Justice pour tous dont ni toi ni moi ne faisons partie.

Et puis pouvait-on laisser cette couleur aux pirates et aux anarchistes, hein ? Pas question de laisser de l’espoir. Comme le disait notre Johnny national, Noir c’est noir. Ah que oui, il ne faut pas plaisanter avec ces choses-là.

Je l’avoue, je suis d’humeur taquine. Mais je viens de finir, sur la paillasse de ma cellule, le livre délicieux de Nicolas Bedos, « La tête ailleurs ». Et je te jure que derrière les barreaux, ça fait du bien. Si tu es du genre sérieux, le cours de Michel Foucault au collège de France (1972-1973) vient d’être édité sous le titre « La société punitive », ça vaut le détour, d’autant que l’un n’empêche pas l’autre.

 


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Photo : Sébastien Erome / Signatures.

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