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Inspection du travail : les « emmerdeurs de patrons » seront-ils mis au pas ?

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Martine Corneloup, lors d'une grève des inspecteurs du travail en 2014.

[Dans nos archives] Les inspecteurs du travail sont en grève ce lundi et manifestent devant l’Assemblée nationale où vont s’ouvrir les discussions sur la réforme de l’inspection du travail. Nous republions un article du 9 octobre 2013, jour de la première mobilisation d’importance contre ce projet de loi.

Si l’on en croit le Figaro, l’Inspection du travail est l’une des principales administrations qui « emmerdent » les patrons. Peut-être plus pour longtemps. Le ministre du Travail, Michel Sapin, prévoit une réorganisation complète des « shérifs du code du travail ». Dans un sens favorable au patronat, disent les syndicats des inspecteurs.

 

Les inspecteurs du travail rassemblés devant l’Institut national du travail, ce mardi. Parmi les organisateurs, la responsable de la section CGT, Martine Corneloup. ©Laurent Burlet/Rue89Lyon

 

Ce mardi, Michel Sapin avait séminaire à l’Institut national du travail (INTEFP) à Marcy l’Etoile dans l’ouest de Lyon, là où l’on forme les futurs inspecteurs du travail. Il y est resté à peine une heure, le temps de répondre à quelques questions des directeurs régionaux au sujet de la réforme décriée de l’Inspection du travail.

De l’autre côté des grilles de l’INTEFP, un comité d’accueil s’était constitué à l’appel d’une large intersyndicale (CGT, FO, FSU, Sud, CNT) qui a rassemblé environ 200 personnes (120 selon la préfecture).
Les gouvernements passent, l’administration demeure. Entamée sous la droite, la réforme de l’inspection doit se concrétiser pour le début de l’année 2014.

 

« Finis les gauchistes qui font ce qu’ils veulent »

Ce n’est pas dit comme ça mais presque.
Aujourd’hui, un inspecteur du travail contrôle les entreprises qu’il choisit quand il veut (ou peut). Suite à la visite d’un salarié, l’agent de contrôle peut agir « en opportunité » et décider d’aller ici plutôt que là-bas.

Demain, avec le « plan Sapin », des directives de contrôle seront décidées sur le plan national ou régional, avec la création également d’équipes dédiées pour certains secteurs comme les transports, l’amiante ou le travail illégal.
Obligés de contrôler certains secteurs, les inspecteurs craignent de n’avoir pas le temps pour agir comme ils le souhaitent et, surtout, d’être obligés de procéder à des contrôles qu’ils ne jugent pas toujours prioritaires, comme la lutte contre le travail au noir ou illégal. Or cette lutte contre le travail illégal est classée au rang de priorité nationale pour 2014.
C’est une des raisons exposées en creux par Michel Sapin, ce lundi sur i>télé, pour justifier la réforme :

« Il faut réformer l’Inspection du travail pour protéger son indépendance, mais protéger surtout son efficacité. Si l’Inspection ne s’adapte pas, (…) les pires choses se passeront, dont l’entrée en jeu de mafias transnationales auxquelles l’Inspection du travail ne pourra s’attaquer ».

Le directeur régional de la DIRRECTE Rhône-Alpes (ce qui chapeaute les inspecteurs du travail), Philippe Nicolas, décline le discours :

« L’Inspection du travail a le cœur à gauche. Mais quand on me dit « jamais je ne demanderai ses papiers à un travailleur », ce n’est pas possible. Quand des syndicats patronaux ou de salariés nous demandent d’aller contrôler les chantiers, il faut le faire. »

 

Orienter l’action de l’Inspection du travail à la demande du Medef ?

Les différentes organisations syndicales opposées à la réforme redoutent que ces campagnes décidées au ministère du Travail soient orientées dans un sens favorable au patronat.

Dans les rangs des manifestants de ce mardi, c’est une chose entendue : le ministère est à l’écoute du Medef.
Pour la secrétaire nationale de la section CGT, Martine Corneloup, inspectrice depuis 1982, en poste en Ardèche, « ce n’est pas au pouvoir politique de fixer les priorités en matière de contrôles » :

« Entre le pouvoir politique et le patronat, il y a un lien fort. On l’a vu récemment avec l’Accord national interprofessionnel (ANI) qui a précédé la loi sur l’emploi, nouvelle casse du code du travail ».

Plus largement, ils sont nombreux à craindre que les priorités de Paris ne répondent pas aux besoins du terrain. Une inspectrice de l’Ain témoigne :

« Des salariés viennent à ma permanence. Ils nous parlent de harcèlement ou d’heures supp’ non-payées. Déjà, nous n’avons pas le temps de répondre à toutes ces demandes. Si demain, on nous impose des contrôles, comment je pourrai y répondre ? On va devenir comme les inspecteurs de l’Urssaf ou des impôts. On aura une marge de manœuvre réduite ».

Membre du bureau national du PS, l’inspecteur à la retraite Gérard Filoche est venu soutenir ses ex-collègues. ©Laurent Burlet/Rue89Lyon

 

Fin de l’autonomie des inspecteurs du travail

Cette perte de latitude dans les contrôles fait dire aux inspecteurs que cette réforme porte atteinte à leur indépendance. La convention 81 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) énonce que les inspecteurs du travail doivent être « indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue ».

Tout est alors question d’interprétation.
Pour l’administration, par la voix du directeur Rhône-Alpes, cette réforme remet en question leur « autonomie » mais pas leur « indépendance » au sens de la convention 81 :

« Les inspecteurs sont actuellement beaucoup trop autonomes. Ils sont payés par les impôts. Ils ont des comptes à rendre. Ce n’est pas une profession libérale. Il n’est pas normal que certaines missions, comme le travail illégal ou le contrôle des chauffeurs routiers, ne soient pas assurées. »

Pour Benoît Verrier (inspecteur en Isère et syndiqué à Sud), comme pour l’ensemble des organisations syndicales mobilisées, l’autonomie ne peut pas être détachée de l’indépendance :

« On nous propose un modèle à l’Espagnol. Le lundi, l’inspecteur du travail arrive et on lui donne un programme de contrôles pour la semaine. Certes, il conserve la liberté des poursuites à engager (dresser ou pas un procès verbal). Mais dans les faits, son action est orientée et encadrée. »

Jusque là, les inspecteurs du travail dirigeaient une section composée de deux contrôleurs et d’une secrétaire. Désormais, avec le plan Sapin, les inspecteurs du travail seront regroupés par unité de contrôle (UC) d’une dizaine de personnes. Les inspecteurs du travail passent donc d’un système où leur hiérarchie était éloignée (direction départementale ou régionale) à un management qui sera confié à un « responsable » d’UC qui va pouvoir planifier et contrôler les agents de contrôle.

 

Les objectifs chiffrés des « shérifs en 2 CV »

Ce changement de culture managériale n’est pas totalement nouveau. Depuis 2006, la pression sur les agents (contrôleurs ou inspecteurs) était montée d’un cran avec la mise en place d’objectifs chiffrés de contrôles à faire (200 par agent). Mais suite à une série de suicides, le ministère du Travail avait supprimé ces objectifs.

Avec la mise en place de la réforme, les objectifs reviennent. « Ils ne seront plus individuels mais au niveau de l’unité de contrôle », relativise le directeur régional.

Les inspecteurs craignent donc le retour des « risques psychosociaux » au sein de leur administration alors qu’ils sont censés les combattre.
Avec environ 3 000 agents de contrôle pour 20 millions de salariés et une moyenne de 3 000 entreprises par agent, l’Inspection du travail est en sous-effectif chronique. Ce déséquilibre risque de s’accentuer avec les nombreux départs à la retraite des agents qui ne seront pas remplacés.

« Comme il y a un an, annonce un inspecteur de Savoie, on va nous pousser à faire du quantitatif pour mettre un maximum de bâtonnets dans les cases. Mais on ne valorisera pas les dizaines d’heures passées sur le cas d’un salarié pour des heures non payées ».

Membre du bureau national du PS, l’inspecteur à la retraite Gérard Filoche est venu soutenir ses ex-collègues. Il se montre définitif :

« Cette réforme est un nouveau cadeau du gouvernement fait au Medef ».

C’est transmis à ses camarades du gouvernement.

 


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