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Nymphomaniac volume 2, attention chef-d’œuvre

Fin du diptyque de Lars von Trier, qui propulse très haut sa logique de feuilleton philosophique en complexifiant dispositif, enjeux, références et discours, avec d’incroyables audaces jusqu’à un ultime et sublime vertige. On ose : chef-d’œuvre !

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Nymphomaniac volume 2, attention chef-d’œuvre

5+3. Cette addition, qui lançait la vie sexuelle de Joe dans le premier volume de Nymphomaniac, est aussi la répartition choisie par Lars von Trier entre les chapitres de chaque partie. 5 pour le coït vaginal et le volume 1 ; 3 pour la sodomie et le volume 2 qui, de facto, fait un peu plus mal que le précédent… Après nous avoir laissé sur un climax diabolique, où la nymphomane hurlait : «Je ne sens plus rien !», von Trier reprend les choses là où elles en étaient : dans la chambre de Seligman, qui ne va pas tarder à expliquer les raisons de sa chaste attitude face au(x) récit(s) de débauche de Joe-Gainsbourg ; et dans celle de Joe-Martin et de Jerome, premier amant, grand amour idéalisé, compagnon et père de son enfant.

Mais avant d’embrayer sur un nouveau chapitre et un nouvel épisode entre fantasme (romanesque) et fantasme (sexuel), le voilà qui digresse déjà en flashback sur Joe-enfant et son premier orgasme, où lui apparaissent deux icônes qu’elle prend pour des visions de la vierge Marie, mais que Seligman va rectifier en grande putain babylonienne annonciatrice de la venue d’un(e) antichrist. Le ton est donné : dans le labyrinthe de références, emprunts et citations qu’est Nymphomaniac, Lars von Trier a laissé une large place à ses films précédents, qu’il va tordre avec une perversité bien plus grande que celle de son héroïne.

 

Anti-Antichrist

Le chapitre 6 est un puzzle fascinant où von Trier s’offre à la fois le passage le plus drôle de l’ensemble — à condition d’accepter qu’un film puisse héberger en son sein des santés contradictoires — et le plus hardcore. Joe s’y initie au sado-masochisme auprès de K, adepte d’un bondage clinique — Jamie Bell, très loin de Billy Elliott et de Tintin

Une séquence exceptionnelle de Melancholia montrait Charlotte Gainsbourg mesurant la distance entre la planète menaçante et la terre à l’aide d’un jeu de cerceaux artisanal ; par la force de sa mise en scène, c’est-à-dire par un travail extrêmement savant sur les durées et sur la proximité avec son actrice et ses émotions, le cinéaste parvenait à faire naître l’angoisse et le suspense. Les séquences SM de Nymphomaniac rejouent ce tour de force avec la même virtuosité, les étirant jusqu’à rendre plus insoutenable l’attente des coups que les coups eux-mêmes.

Puzzle, disait-on… Tandis que Joe profite des absences de Jerome pour se livrer aux sévices de K, elle laisse un soir son enfant seul à la maison. Attiré par la neige qui tombe dehors, il sort de son parc et se penche à la fenêtre. Le spectateur reconnaîtra le prologue d’Antichrist, repris en version caméra portée mais avec la même musique de Haendel.

Lars von Trier fait subir deux modifications de taille à sa propre séquence : la première consiste à faire des ébats un hors champ adultère ; la deuxième ne doit pas être racontée, mais introduit une forme d’autodafé de la part du cinéaste face à son opus le plus controversé. On ne connaît pas d’exemples similaires d’une telle réécriture par un auteur de sa propre œuvre, et ce palimpseste particulièrement retors dit la position complexe que von Trier s’est assigné à l’intérieur de son film, sans doute liée au vœu de silence prononcé après son excommunication cannoise.

Mille et une nuits

Est-ce lui qui parle à travers les mots de Joe, dépourvue de tabous, libre de proférer le scandale — le dialogue sur les «nègres», qui se transforme en procès d’un langage émasculé — mais aussi à travers les objections de Seligman, comme un surmoi rationnel et asexué ? Le féminisme, clairement revendiqué au terme d’un dernier échange bouleversant, libère une émotion longtemps contenue et pourrait être un plaidoyer sincère de von Trier pour en finir avec les accusations de misogynie planant sur sa personne ; incorrigible, il redouble cet instant lumineux par un accès de noirceur qui vient tout remettre en question. On pensait qu’il nous parlait à cœur ouvert ; mais il ne faisait que préparer un nouveau masque…

C’est pourtant tout le génie de Nymphomaniac que de maintenir sans cesse le spectateur sur la brèche, dans l’incertitude face à la réalité des histoires de Joe, qui semble les improviser tel Kayser Soze dans Usual suspects, prélevant dans l’environnement chargé de signes de l’appartement de Seligman matière à récit. L’ampleur romanesque et la durée — une nuit jusqu’au petit jour — ne font que peu de doutes sur la visée de von Trier : écrire Les Mille et une nuits d’aujourd’hui, jusqu’à en adopter la forme cyclique, la mille et unième nuit synonyme d’éternité étant le récit de Joe à Seligman.

Cette boucle, le dernier chapitre l’accomplit à la fois littéralement (avec le retour cruel du 5+3) et métaphoriquement. Pensant accomplir un acte de transmission, Joe ne parvient en fait qu’à reconduire sa propre névrose et à s’enfermer dedans, assistant en spectatrice impuissante à sa propre perdition. D’où l’étrange mélancolie qui s’empare de nous lors du noir final ; ce feuilleton philosophique pourrait durer encore et encore, et Joe, Shéhérazade pop et porn, pourrait nous raconter mille autres histoires pour le pur plaisir du récit, que von Trier aura ressuscité avec une fougue somptueuse.

Nymphomaniac volume 2
De Lars von Trier (Dan, 2h04) avec Charlotte Gainsbourg, Stellan Skarsgard, Willem Daffoe, Jamie Bell…

Par Christophe Chabert sur petit-bulletin.fr.


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