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Cour d’appel de Lyon : « Les problèmes de société ne sont plus ceux des magistrats »

On a l’habitude de l’entendre : « Quand on est condamné à des peines de prison ferme, c’est qu’on a commis quelque chose de grave ». Quand c’est la quatrième chambre des appels correctionnels de Lyon qui a prononcé la décision, rien n’est moins sûr. Sur 137 dossiers où des peines de prison ont été décidées en six mois, 63 d’entre eux, soit près de la moitié, concernent des faits d’atteinte aux biens, commis sans violence aucune.

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Cour d’appel de Lyon : « Les problèmes de société ne sont plus ceux des magistrats »

La quatrième chambre de la cour d’appel de Lyon tape fort. Et peu importe la gravité des faits. En 6 mois, de juin à novembre 2013, 85 % des 74 dossiers d’atteintes aux biens (vols, escroqueries, etc.) commis sans violence qu’elle a examinés se sont terminés par une peine de prison. En première instance, la prison avait été prononcée moins souvent, dans 69 % des cas. Et globalement, les peines ont été aggravées 6 fois sur 10.

  Total des condamnations prononcées Aggravation Atténuation Confirmation
    nombre % nombre % nombre %
Toutes infractions 163 94 57,7 23 14,1 46 28,2
Atteintes aux biens 74 42 56,8 7 9,5 25 33,8
Violences volontaires 45 29 64,4 7 15,6 9 20,0
Stupéfiants 29 17 58,6 7 24,1 5 17,2
Menaces, outrages 6 4 66,7 1 16,7 1 16,7
Autres 9 2 22,2 1 11,1 6 66,7

 

Six mois ferme pour cinq parfums chez Tati

Rue89Lyon

Ainsi, régulièrement, la prison ferme s’abat pour des vols simples avec des préjudices ridicules. Quelques cas en décembre :

  • Thomas, SDF, vol de 10 BD « d’une valeur de 60 euros », par la suite « restituées à la victime » : quatre mois fermes.
  • Vasilica, vols de métaux dans une déchetterie : six mois fermes.
  • Banu, SDF, vol de parfums et rébellion lors de son interpellation : un an ferme avec placement immédiat en détention.

En première instance, ils avaient respectivement écopé d’une dispense de peine, d’une relaxe et de deux mois de prison avec placement immédiat en détention.

Quant à Kakha, il est déjà détenu à la maison d’arrêt de Corbas depuis le 15 juin. Il exécute quatre peines de quelques mois pour vols en réunion et conduite sans permis. Il a volé en récidive cinq flacons de parfum chez Tati pour un préjudice « estimé à 18 euros » selon son avocate à l’audience. Il devait être libéré le 27 novembre, mais la cour a avancé son délibéré pour que la peine soit prononcée et mise à exécution avant sa sortie : six mois ferme.

Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, la prison justifie la prison. Sauf exception, les peines inférieures à un an (en cas de récidive) doivent normalement être aménagées. Ici, la mise à exécution immédiate de la peine en prison est motivée par ces seuls mots dans l’arrêt rendu par la cour :

« Pour assurer la continuité de l’exécution de la peine il y a lieu de prononcer un mandat de dépôt ».

La « souricière », le local d’attente des prisonniers qui comparaissent devant la Quatrième ©Antoine Pâris/Rue89Lyon

 

Chez le juge de droite, l’« exemplarité » de la peine

Rendez-vous avec le président de la quatrième chambre, Gérard Burkel, membre actuel de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) et ancien membre de la droitière Association professionnelle des magistrats. Face à l’emprisonnement de Kakha, on se dit étonné. Ce n’est pas son cas :

« On lui a mis combien à lui ? Un an ferme ? Ah, 6 mois. Mais il y avait une récidive dans le dossier, non ? C’était pas sa première condamnation, voilà. Alors qu’est-ce qu’on fait ? C’est le problème de l’effectivité de la peine, de la crédibilité de la justice ».

En effet, dans l’arrêt, la justification de la peine d’emprisonnement prononcée tient en une ligne : par le passé, « la réitération des faits délictueux » et « la récidive qui lui est aujourd’hui reprochée ».

Dans le bureau de Gérard Burkel, le mot est lâché :

« Il faut qu’il y ait de l’exemplarité. Il faut qu’on soit dissuasifs. Ça veut dire deux choses la dissuasion : quand on prononce de la prison, on fait passer un message. A l’auteur pour qu’il ne re-commette pas les faits. Mais à la salle aussi, au public ».

C’est vrai qu’à l’audience, spécialement quand il y a des classes d’école, ou même à destination des prévenus qui attendent ou de leurs proches, il est souvent démonstratif :

« Vous savez, nous sommes avant tout des citoyens et des pères de famille. On a en charge la protection de nos concitoyens. Si les magistrats n’assument pas leur fonction de répression c’est la rue qui va l’assumer. Une justice qui ne fait pas son travail, elle n’est plus crédible, elle fait le lit des extrêmes ».

 

Chez les juges de gauche, « la faute aux peines planchers »

Rencontrés tous les deux, Françoise Neymarc et Gilles Sainati, les deux conseillers de la quatrième chambre, qui sont aussi membres du Syndicat de la magistrature, classé à gauche, invoquent le carcan de la loi. Ils s’en prennent surtout aux peines planchers créées sous Sarkozy en 2007, qui fixent une peine minimum de principe en cas de récidive :

« Les peines planchers, ça dit aux juges on réprime et c’est ça qu’il faut faire ».

Françoise Neymarc explique que ce nouveau dispositif a renversé la pratique des juges. Avant, dans les principes, c’était la prison par exception, maintenant, en cas de récidive, c’est la prison sauf exception :

« On ne motive plus nos décisions sur l’insertion des prévenus, on motive sur les critères qui permettent d’écarter la peine plancher et ça a entraîné un glissement. Par exemple, si le prévenu n’a pas de logement, ou s’il ne vient pas à l’audience et que donc il ne produit aucune attestation, on va être obligés de prononcer la peine plancher ».

Pour expliquer les peines de prison prononcées dans des cas de vols simples, elle se retranche derrière les critères fixés la loi :

« Le point noir, c’est les personnes sans domicile. Pour toutes les mesures de probation, la loi exige une adresse fixe alors on ne peut rien faire. On pourrait aussi prononcer une peine d’amende, mais ils n’ont pas d’argent. Alors c’est vrai, là souvent on va mettre de la prison ».

Gilles Sainati enfonce le clou :

« On est tenus par les critères de la loi. Ce critère des garanties de représentation, ça revient à criminaliser la pauvreté ».

 

L’exemplarité l’emporte

Mais dans le cas de Kakha, comme dans d’autres arrêts consultés, l’explication des peines planchers et celle des garanties de représentation ne tient pas. Il est en effet « inséré » avec logement à la clé, comme le relève d’ailleurs la cour d’appel elle-même dans son arrêt qui a écarté la peine plancher :

« Sa situation personnelle est stabilisée en France avec un même logement depuis plusieurs années et l’obtention d’un statut d’étranger malade qui devrait lui permettre de travailler à l’avenir ».

Au vu des seuls critères de la loi, Kakha aurait pu échapper à la prison. Dans son cas comme dans d’autres, c’est donc la philosophie du président qui l’a emporté. Avec ses propres mots, ça donne :

« Si les autres peines n’ont rien donné, alors excusez-moi l’expression, mais on considère qu’il faut que la personne soit mise en dehors de la société ».

Et avec les mots de Gilles Sainati :

« Quand une peine de prison a déjà été prononcée pour les mêmes faits, pour la même personne, on ne peut pas aller en dessous. C’est toujours la même chose, c’est le problème de l’exemplarité de la peine ».

Gérard Burkel n’a pas de cas de conscience :

« Les problèmes de société, ce n’est plus les problèmes des magistrats. Par exemple, dans quelles conditions on accueille les étrangers, en leur permettant de vivre et de travailler, ça ne relève pas du tout des magistrats. Nous on est là pour appliquer la loi ».

Sévères, mais neutres.

 

 


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