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Blog du taulard #1 : « Dans le fourgon qui m’emporte à la taule »

Tu ne connais pas le temps subi, lecteur, goutte à goutte. C’est un temps qui se dilate comme un chewing-gum que tu tires avec deux doigts alors que tu en gardes un bout entre tes dents, parce que tu commences à en avoir marre de le mâcher.

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centre pénitentiaire d'Aiton

Rue89Lyon

Ce temps de la prison est d’une élasticité inconcevable. Il s’étire et s’étire encore. Le taulard redoute autant l’effilochement infini que la rupture soudaine et imprévisible, parce que, si ça rompt, ça bascule dans le délire. Il est entre ces deux peurs de la fausse éternité et de la disparition du temps. Alors il faut gérer les heures, les concrétiser, les apprivoiser.

Quand les cow-boys de la BAC sont venus me chercher, comme j’ai hélas un peu d’expérience, en préparant mes affaires j’ai immédiatement pensé à emporter quelques livres. Et pendant la garde à vue, je me suis réfugié dans le sommeil.

Au moment de l’arrestation, l’énergie intérieure dépensée est énorme. L’émotion, les idées qui déferlent, comment prévenir, organiser le départ en deux temps trois mouvements. Alors il n’est pas difficile de se réfugier dans le sommeil dans la cage du commissariat. J’ai réussi à dormir pendant presque la totalité. Dormir c’est échapper aux minutes qui s’écoulent.

Dans le fourgon qui m’emporte à la taule, je sais qu’il ne faut pas cogiter. Il est nécessaire de lutter contre la force de la pensée qui te pousse à réécrire le moment où ils te passent les bracelets, à revisiter tout ce que tu aurais pu faire pour leur échapper, car alors c’est le refus du présent, une sorte de dénégation qui te fait fuir cette dureté. J’ai regardé le paysage défiler à travers le bout de vitre depuis la cage du fourgon, en me tordant le cou.

Photo d’illustration – Le centre pénitentiaire d’Aiton (Savoie) © Wikimedia commons

 

La porte qui se referme

Et quand tu arrives dedans, la taule t’avale. Je n’ai pas vu la porte qui se ferme derrière le panier à salade, mais je l’ai entendue. Et là, le rituel commence. Fouille à poil, alors que tu sors de chez les flics qui t’ont déjà fouillé, le guichet du greffe où tu signes et où on reprend les empreintes, la photo pour la carte de circulation interne qu’on te remet.

Direction le quartier arrivants. Peu de mots, juste des demandes à exécuter. Et voilà la cellule avec la porte qui se ferme dans le dos. On n’a pas encore nos affaires, il faut qu’elles soient vérifiées. Seulement le paquetage de couvertures, draps, l’assiette, le bol et le verre et autres objets qu’on t’a jeté dans les bras.

Pour contrer la pensée folle qui te laisse espérer qu’il y a peut-être une issue, je n’ai pas regardé la tête des matons, je n’ai pas cherché à repérer les lieux ou à poser des questions. J’ai ignoré volontairement tout ça pour rester concentré sur l’essentiel : veiller à mon horloge interne, à entrer dans la patience, sans rien devancer, à ne pas me précipiter dans l’attente qui va me grignoter.

Pour y parvenir j’ai plongé dans le présent en faisant mon lit, en rangeant les couverts, en lisant le petit bouquin sur la taule remis avec le paquetage, pour mieux me préparer à ne pas passer la nuit blanche dans ces ténèbres mortes. Et à bout de ressources, j’ai allumé la télé.

 

 


#Prison

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Photo : Sébastien Erome / Signatures.

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