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A Lyon, une boulangerie bio livre à vélo et carbure à l’autogestion

Un boulanger qui ne travaille ni la nuit ni le week-end, c’est possible. Depuis deux ans, une bande d’idéalistes fait du pain bio, livré en vélo à Lyon. Et comme si le pari n’était pas assez fou, la coopérative, « La Miecyclette » vise l’autogestion.

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A Lyon, une boulangerie bio livre à vélo et carbure à l’autogestion

Emmanuel et Rachid sortent la dernière fournée de pain du four à bois. © Leïla Piazza / Rue89Lyon

 13h30 : la dernière fournée de pain de la journée sort toute chaude du four à bois, aussitôt mise en sac et chargée sur un vélo triporteur à assistance électrique. L’idée de cette boulangerie lancée en février 2012 pouvait paraître farfelue.

Créer une entreprise qui fait du pain bio selon des techniques ancestrales (pétrin à la main, four à bois), le tout livré en vélo dans l’agglomération lyonnaise pour limiter le bilan carbone de l’entreprise.

Mais au bout de presque deux ans d’expérience, le bilan est plutôt positif, annonce fièrement Rachid, l’un des quatre membres de la Miecyclette :

« Tout ce qu’on avait idéalisé, on l’a mis en place ».

Les trois créateurs de la Miecyclette (Emmanuel, Rachid et Christophe), seront bientôt rejoints par une quatrième personne (Julien).

 

Le pain est doublement bio

Le pain est à la fois doté du label AB et certifié Nature en Progrès.

« C’est un label plus large, explique Rachid. Cela implique des critères en terme de pollution mais aussi sur la manière de travailler. »

Les ingrédients sont soigneusement choisis : farine bio moulue sur une meule en pierre, sel de Guérande d’un producteur artisanal, graines bio et locales. Même l’eau est filtrée pour enlever le chlore.

 

« Mettre la main dans le pétrin »

Mais il n’y a pas que la composition du pain qui fait la différence. A la Miecyclette, le pain est fabriqué « à l’ancienne ». C’est-à-dire avec un minimum de machines. Il est pétri à la main, avec du levain (et non pas de la levure chimique) et cuit dans un four à bois.

Un savoir-faire enseigné à Rachid par un boulanger de Villefranche-sur-Saône, lorsque celui-ci préparait son CAP boulangerie. Une méthode que Rachid a ensuite transmise à ses collègues, comme à Julien :

« Ca lui semblait évident de continuer comme ça. Mais il y a aussi des raisons plus philosophiques et politiques. On a une réflexion sur l’aliénation que représente le fait de travailler avec des machines. »

Son collègue, Christophe, explique :

« Lorsque tout est mécanisé, on ne travaille plus à un rythme humain. C’est une mini-usine. Et puis, pour sentir ce qu’on fait, il faut mettre la main dans le pétrin. On peut ressentir où en est la pâte, son niveau d’humidité, etc. »

Ici, le pain est fait avec du levain et pas de la levure chimique. ©Leïla Piazza / Rue89Lyon

 

Pour la baguette, on repassera

Le résultat de ces techniques ? Ici, il ne faut pas venir acheter une baguette. On ne trouvera que des gros pains de 1kg, compacts, qui se conservent et vendus au poids. Et de différentes sortes : complet, demi-complet, blanc, au sésame, au tournesol et au lin, aux raisins et aux noisettes ou encore à la farine de petit épeautre…

Le mode de vente est lui aussi surprenant. Les quatre boulangers ont une boutique située dans le 8e arrondissement de Lyon, certes. Mais ce n’est pas l’essentiel de leur activité. La majorité de leurs ventes se font par le biais d’intermédiaires soigneusement choisis : des amap, des épiceries bio ou équitables, des groupements d’achats, des collectivités…

Le choix du bon produit ou l’art du compromis

Dans cette boulangerie, la balance ne sert pas qu’à peser les ingrédients. Elle permet aussi de faire l’équilibre entre idéalisme et réalisme. « On n’a pas la volonté d’être intégristes », sourit Christophe. Ils essaient plutôt de faire des « choix éclairés », comme ils disent, en privilégiant le bio et la proximité.

Pour les farines, il s’agit d’un moulin qui travaille en biodynamie dans l’Allier.

« La biodynamie  implique un cahier des charges plus exigeant que le label AB. Et aussi l’autonomie de la ferme », explique Christophe.

Bien sûr, ils auraient pu trouver plus près. Surtout que leurs blés proviennent d’assez loin.

« Là dessus on n’est pas exemplaires », reconnaît Christophe.

Ils ont été obligés de faire un compromis, expliquent-ils, car dans le département, il n’y a pas de structure capable de fournir autant de farine avec la même qualité.

« Avant même le critère de proximité géographique, on préfère connaître les producteurs, soutient par ailleurs Julien. Il existe des plateformes bio. Mais on ne connait pas les paysans. »

A l’inverse, ils ont un sourire malicieux lorsqu’ils parlent de « Pascal le Paludier », celui qui les fournit en sel de Guérande et qui leur envoie régulièrement des lettres pour leur dire le plaisir qu’il a à travailler avec eux et à éviter ainsi les circuits de la grande distribution.

Un choix bien réfléchi, encore une fois, explique Rachid :

« A la base, on a cherché en Méditerranée. Mais tout a été racheté par La Baleine. Il a fallu aller sur la façade atlantique pour trouver des indépendants, qui travaillent de façon artisanale. »

Lorsque cela est possible par contre, ils se fournissent au plus près, comme pour les graines ou la farine de chataigne.

« On est à Lyon, commente Christophe. C’est compliqué. Quand tu t’installes en ville, tu es obligé de faire des compromis. »

 

Il faut environ 2h30 de tournée chaque jour pour livrer les différents clients collectifs. Ce jour-là c’est Christophe qui s’y colle. ©Leïla Piazza / Rue89Lyon

 

Des stars locales

Ca c’est ce que tout le monde sait de la Miecyclette, entreprise largement médiatisée depuis son lancement.

Dans les premiers mois qui ont suivi sa création, tous les médias alternatifs et locaux en ont parlé. Que ce soit France 3 Rhône-Alpes, Le Progrès à plusieurs reprises ou encore Tribune de Lyon, qui a fait sa Une sur l’entreprise en mai 2012.

Encore il y a quelques jours, on parlait de l’entreprise dans les médias nationaux : La Vie y a consacré un reportage en partenariat avec l’émission de France Inter, Carnet de Campagne.

 

Une coopérative autogestionnaire

Ce que l’on sait moins c’est que la Miecyclette est une utopie alimentaire et écologique mais c’est aussi un projet social.

A l’origine, les trois associés se sont connus par le biais d’une association qui avait lancé une réflexion sur un projet de livraison de pain en vélo. Ils se sont reconnus dans cette idée et ont commencé à travailler ensemble à sa réalisation. Ils se sont finalement montés en société coopérative de production (Scop).

Cette structure juridique impose des critères de démocratie au sein de l’entreprise. Un salarié-associé = une voix. Et les bénéfices sont partagés à part égale. Des valeurs dans lesquelles se retrouvaient parfaitement Christophe, Rachid et Emmanuel. Mais ils ont voulu aller plus loin. Ils ont notamment décidé de tous se rémunérer au même niveau, celui le plus élevé. Ainsi, quelles que soient leurs qualifications, ils touchent le salaire d’un boulanger-pâtissier (1300 euros net) alors que seul Rachid avait le savoir-faire à la base.

« J’ai apporté la compétence boulangère mais d’autres ont apporté leur savoir concernant les livraisons en vélo par exemple. Chacun a des compétences utiles », tient à relativiser Rachid.

 

« L’autonomie, le plus important à reconquérir »

A la Miecyclette, on parle d’autogestion. Les décisions sont prises en commun. Mais pas question de voter, comme l’explique Emmanuel :

« Ca obligerait certains à travailler dans un sens qui ne leur conviendrait pas. »

Les salariés-associés organisent des réunions hebdomadaires pour prendre les décisions importantes pour l’entreprise, raconte Rachid :

« On travaille au consensus. Cela prend parfois du temps, celui de la réflexion. Mais en général ça marche pas trop mal car on a tous une approche constructive. On essaie de sortir de nos partis pris et de reconnaître lorsqu’on a tort. »

 

A la Miecyclette, tous les choix sont discutés collectivement. De gauche à droite : Julien, Emmanuel et Rachid. ©Leïla Piazza / Rue89Lyon

Et à les regarder, effectivement, l’entente semble bonne. La recette ? « Des caractères compatibles », des valeurs communes et un an de discussions avant de se lancer. Mais pour Julien, qui vient d’être embauché, il ne faut pas oublier un ingrédient majeur :

« Il y a surtout la volonté chez chacun de prendre en charge soi-même les tâches que l’on peut réaliser, sans se reposer sur les autres. Si on arrive dans ce genre d’aventure avec une mentalité de salarié, ça ne fonctionne pas. L’autonomie, pour moi c’est le plus important à reconquérir aujourd’hui. Même si ce n’est pas évident. C’est moins confortable que d’être ingénieur dans une grande entreprise. »

 

Un boulanger qui ne travaille pas le week-end et la nuit

Les quatre membres de la Miecyclette ont décidé de ne pas se tuer à la tâche. Christophe en rigole :

« Boulanger, c’est éreintant dans la tête des gens. Quand on leur dit qu’on ne travaille pas la nuit et le week-end, ils sont presque déçus. »

Ils donc décidé d’allier la qualité de production à la qualité de vie. Et comme leur pain se conserve, c’est parfait. Cela demande un peu d’organisation toutefois. En effet, la confection du pain démarre à 7h le matin. En début d’après-midi, lorsque sort la deuxième fournée de pain (180 kg sont fabriqués chaque jour), aussitôt la personne chargée des livraisons prépare les commandes, les charge sur le vélo triporteur à assistance électrique (qui transporte jusqu’à 150 kg) et file livrer le pain dans l’agglomération lyonnaise (même si la majorité des clients se trouvent en centre-ville). Et à 16h30, quatre fois par semaine, la boulangerie ouvre ses portes pour vendre directement aux gens du quartier. Une savante organisation à laquelle s’ajoute un marché du soir une fois par semaine.

 

Rotation des postes partielle

Et comme si cela n’était pas déjà assez compliqué, les quatre associés de la Miecyclette ont décidé d’établir une rotation des postes. Mais pas totale. Par exemple, certains font deux jours de boulangerie dans la semaine, d’autres un seul.

Chacun garde ses prérogatives mais petit à petit chacun apprend à réaliser toutes les tâches de l’entreprise. Christophe raconte :

« Avant, Rachid ne faisait que le pain. Maintenant, Julien le remplace. Comme ça, Rachid peut tenir le magasin une fois par semaine. C’est valorisant, il voit le résultat de son travail. »

Et Rachid d’ajouter :

« On a aussi instauré ce système car sinon, comme à la base j’étais le seul à savoir faire du pain, cela aurait été difficile pour la survie de l’entreprise si je partais. Et puis, c’est important d’avoir un regard extérieur et naïf. Cela permet de se remettre en question et de trouver de meilleures manières de faire. »

La préparation des commandes, une opération méticuleuse, explique Julien. ©Leïla Piazza / Rue89Lyon

 

« Ne pas s’exploiter soi-même »

Aussitôt, Christophe précise :

« Le but n’est pas non plus d’être totalement interchangeables comme chez Amazon. On a tous nos spécificités. Mais on est contre la spécialisation et la segmentation à outrance. »

Pas de segmentation trop forte des tâches donc, pas de travail en poste non plus.

Ils essayent également de limiter le temps de travail. « On voudrait sortir du mythe selon lequel un artisan travaille 70 heures par semaine », affirme Christophe :

« On essaie de concilier des exigences qualitatives avec un temps de travail normal. Du coup, on se restreint en terme de variété de pains. Sinon, on travaillerait 80h par semaine. »

L’entreprise est jeune, alors pour le moment ce n’est pas réalisable. Mais à terme, ils ont comme objectif d’atteindre les 35h hebdomadaires D’ailleurs, pour cela, ils imaginent déjà embaucher une cinquième personne.

Julien résume le crédo de l’entreprise en quelques mots :

« Notre équation : faire du pain bio, de qualité, le plus abordable et sans s’exploiter ou exploiter les autres. Cela n’aurait pas beaucoup de sens d’être en autogestion et de s’exploiter soi-même. »

Quelques curieux viennent observer la vitrine de la boutique. © Leïla Piazza / Rue89Lyon

 

« C’est que du pain pour bobo » ?

«  Si on n’avait pas cette volonté d’ouverture sur le quartier, le magasin serait fermé », poursuit Christophe.

Il faut dire que ce ne sont pas les ventes à la boulangerie qui font tourner l’entreprise. La Miecyclette s’est installée dans un quartier populaire du 8e arrondissement, avenue Paul Santy. Avec des tarifs plus élevés que ceux de la baguette classique (mais pas forcément plus que les pains spéciaux vendus en boulangeries et grande surfaces), la clientèle a encore du mal à y émerger.

« Mais on tient aux ventes à la boulangerie ! s’exclame Julien. On ne veut pas entretenir la critique classique, qui dit « c’est que du pain pour bobo ! » »

C’est un peu le hasard qui les a amenés dans ce quartier. A l’origine, la Miecyclette voulait s’installer à la Guillotière, où se situe l’essentiel de sa clientèle. Problème : les tarifs des commerces étaient trop élevés.

« Mais c’est intéressant, tempère Julien. On est en train de conquérir une clientèle difficile. »

Son collègue Christophe enchaine aussitôt (ici, l’un finit souvent les phrases de l’autre) :

« C’est intéressant de vendre à des personnes qui ne sont pas sensibilisées au bio. Au départ, elles voient ça comme une arnaque et disent que le pain est trop cher, qu’on fait pas de baguettes. Au final, petit à petit, on arrive à convaincre des réfractaires, qui trouvent que finalement, le pain est bon et que c’est pas si cher. »

Un travail de longue haleine, qui porte tout doucement ses fruits. Mais de là à parler de mixité sociale dans leur clientèle, il y a un pas que Rachid ne franchira pas :

« Il y a relativement peu de mélange dans le quartier. Il y a un gros clivage entre, d’un côté, des retraités de classes moyennes qui ont acheté des maisons individuelles dans les années 70-80 et une catégorie plus populaire, qui vit en immeuble. Eux, on ne les voit quasiment jamais. Il y a une distance géographique, ils sont plus proches d’autres commerces. Et puis ils ne sont pas sensibilisés au bio, trouvent ça trop cher. »

 

La boutique est ouverte quatre soirs par semaine. ©Leïla Piazza / Rue89Lyon

Christophe, tout comme ses trois collègues, le regrette :

« On ne veut pas faire du pain que pour les riches. Mais la réalité c’est qu’on a plus des gens CSP + ou des babas-cools qui viennent par conviction… »

Pourtant, ils ne baissent pas les bras. Et cherchent des recettes. Régulièrement, ils organisent des journées portes ouvertes pour rencontrer les gens du quartier. Et puis, ils ont mis en place la vente du pain de la veille à prix libre.

Un premier coup de pédale pour un processus sans doute long et complexe.

 


#Agriculture bio

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