Jeudi soir, nous avons oublié nos idées préconçues et nous sommes laissés guider par la pensée animale, dans le cadre de la conférence sur « le point de vue animal » organisée par le Festival Mode d’emploi, à l’université Lyon 2.
Par Marion Riegert
La conférence a réuni, dans une ambiance décontractée, quatre grands chercheurs : Eric Baratay, Vinciane Despret, Teresa Giménez-Candela et Nicolas Mathevon autour du journaliste Stéphane Deligeorges. Ce dernier ouvre le bal en rappelant que le point de vue animal relève d’une position récente. « Ce soir, il n’y aura pas d’opposition dans les débats mais plutôt la confrontation de différentes perspectives » précise t-il. Sortir du narcissisme Vinciane Despret, psychologue et docteure en philosophie, évoque une difficulté majeur : « qui va-t-on inclure ou exclure ? ». Pour elle, il faut élargir l’exceptionnalisme humain en cooptant d’autres êtres qui deviendront eux aussi exceptionnels. Autre problème dans l’étude du point de vue animal : « nous imposons aux êtres la contrainte de la ressemblance », autrement dit nous analysons le point de vue animal à partir d’une comparaison avec l’humain. Pour elle, la solution serait de sortir du narcissisme. « En cherchant d’autres manières d’analyse, nous pourrions remettre en question notre propre subjectivité et ainsi modifier nos propres concepts. » Sortir du débat sur la différence homme / animal Eric Baratay, historien, constate quant-à-lui, que lors des travaux sur les relations hommes-animaux, « on parle plus des hommes et pas beaucoup des animaux. » Pour bâtir une histoire animale « il faudrait sortir des carcans idéologiques : sortir du débat sur la différence homme animal qui oppose une espèce « homme » à une catégorie « animal ». Dans la rue, je vois des poules, des moutons mais l’animal je ne l’ai jamais vu passer. » Pour lui, les études sur les animaux servent toujours à les démarquer de l’homme. Ils subissent des stéréotypes et sont mal connus. « Il faut penser les espèces en terme de différence, de spécificité et non de hiérarchie », conclue-t-il.
La perspective législative est défendue par Teresa Giménez-Candela, professeur de droit. Elle précise que « le droit est en train de s’éloigner de sa trajectoire qui était celle du silence. » Dans le code civil français les animaux sont définis comme des choses dont on peut acquérir la propriété, ils sont assimilés à un « bien meuble ». « L’adoption au langage juridique du fait que les animaux sont des êtres sensibles serait un bouleversement, mais les juristes demandent un changement de catégorie », explique-t-elle.
Si on posait des questions aux animaux
Nicolas Mathevon, biologiste du comportement animal, revient sur l’histoire de l’éthologie, une discipline récente qui consiste à « comprendre le comportement animal sous plusieurs axes. » Cette approche était déjà présente chez Darwin. Les éthologues adoptent une démarche expérimentale : « Il faut se mettre à la place des animaux et poser des questions qui aient un sens pour eux. » Il ajoute :
« l’homme est un animal comme les autres, il ne faut pas le séparer de cette catégorie. Certains problèmes de leurs problèmes ressemblent aux nôtres comme ceux des singes, d’autres sont très différents comme ceux de la limace des mers. L’animal n’est pas une machine qui ne fait que répondre à des stimulis. Il faut le voir comme un individu par exemple dans un groupe de moineaux chacun à son expérience. Il faut également savoir les observer. »
Habitudes masturbatoires de certains primates
Après une petite parenthèse de Stéphane Deligeorges sur la copulation animale et le fait qu’ils y prennent du plaisir ou non, le débat repart avec Vinciane Despret, elle s’intéresse à la différence entre les animaux sauvages et domestiques. « Si on posait les bonnes questions aux moutons, par exemple : « comment vous gérez votre hiérarchie ? », on découvrirait qu’ils sont plus complexes qu’on ne le pense. » Elle déplore l’intérêt porté aux animaux sauvages au détriment des domestiques. Elle conclut :
« la différence entre les humains et les vaches, c’est qu’elles nous comprennent mieux que nous ne les comprenons ! »
Stéphane Déligeorges, très en forme, évoque les habitudes masturbatoires et copulatoires récurrentes de certains primates. Explication : « c’est pour se débarrasser du sperme usé », sourit-il. Il souligne aussi la pratique de la position du 69 chez les chauves-souris. Eric Baratay s’attaque ensuite à l’évolution des comportements animaux à travers une perspective historique. Teresa Giménez-Candela enchaîne, quant-à-elle, sur la protection des animaux : « en Europe il y a eu de grands changements au niveau des animaux de production et de laboratoires. Tous les états membres doivent répondre à des normes par exemple concernant le transport des animaux», précise-t-elle de son accent chantant.
L’homosexualité des animaux
Stéphane Deligeorges, décidemment sur sa lancée, s’attaque aux comportements homosexuels chez les animaux. « La nature animale a inventé la PMA comme par exemple chez les couples de manchots mâles qui élèvent leurs petits sans femelle. » Nicolas Mathevon clôture le bal en évoquant une de ces expériences avec les oiseaux mandarins, monogames à vie. « Nous avons mis 15 mâles ensembles et 15 femelles ensembles dans deux cages séparées. Deux semaines plus tard, il y avait sept couples de mâles et 7 de femelles. On a tenté ensuite de réintroduire des femelles auprès des mâles mais ils n’en voulaient plus. »
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