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Genre et médias : une question qui n’intéresse que les femmes ?

Par Fleur Burlet

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Qui mieux que Cécile Daumas, femme, journaliste à Libération, fondatrice et présidente du Laboratoire de l’Egalité, pour évoquer la relation entre le genre et la presse ? Dans le cadre du Festival Mode d’emploi, la bibliothèque municipale du 7e arrondissement de Lyon a accueilli ce matin la conférence « Comment traiter les questions de genre dans la presse ? », devant un public majoritairement… féminin.

« Quand on arrive à une conférence de rédaction et qu’on propose un sujet sur les différences de salaire entre les hommes et les femmes, tout le monde soupire », annonce Cécile Daumas en riant.

Pourtant, le plafond de verre réel – les femmes gagnent encore à ce jour 27% de moins que les hommes – est un sujet à creuser. De quelle façon traiter la question du genre, particulièrement actuelle dans le cadre des débats récents sur le mariage pour tous et la PMA, dans les médias de nos jours ?

 

Déculpabiliser les hommes

Cette spécialiste de l’emploi, en charge du cahier dédié de Libération de 2002 à 2005, a étudié les inégalités hommes-femmes dans le monde de l’entreprise : la précarité, les temps partiels et la sous représentation dans les instances publiques seraient l’apanage des femmes. Après la projection d’un spot de sensibilisation sur l’invisibilité des femmes dans le monde du travail, Cécile Daumas précise :

« Le Laboratoire de l’Egalité hommes-femmes cherche à sensibiliser le grand public, et surtout les hommes. Il s’agit de sortir d’un discours culpabilisateur à leur égard. »

Impliquer les hommes, donc, pour éloigner le « neutre masculin », sorte de ligne d’horizon régissant les inégalités au sein de l’entreprise.

 

« Quand il est question d’expertise, les hommes sont toujours avantagés »

Les médias ne sont pas en reste. Les chiffres sont les mêmes quel que soit le milieu professionnel : seules 20% de femmes sont présentes dans les structures hiérarchiques. Que pense Cécile Daumas de la nomination de Nathalie Nougayrède à la tête du Monde ? « C’est une excellente chose pour la visibilité des femmes, » affirme t-elle.

« On a dit beaucoup de choses pour la discréditer : qu’il s’agissait d’un choix par défaut, qu’elle est débordée, que c’est son bras droit masculin qui fait tout le travail… Puis elle a fait ses éditos, et les critiques se sont tues. Elle n’était pas du tout dans le cursus hiérarchique du journal, elle s’est proposée d’elle-même : c’est fort, et c’est comme ça qu’il faut faire. »

Dans le domaine du journalisme politique, il existe selon Cécile Daumas une ligne de démarcation majeure entre les journalistes hommes et femmes: la répartition entre ceux qui rapportent les faits et ceux qui les commentent. Si elle évoque Claire Chazal au Journal de vingt heures, qui jouit selon elle d’une vraie crédibilité professionnelle, la journaliste est formelle :

« Quand il s’agit d’expertise, les hommes sont toujours avantagés. C’est toujours leur avis qui est sollicité. Pour preuve : lors de la campagne présidentielle de 2012, il n’y avait que des éditorialistes politiques hommes, comme Thomas Legrand ou Alain Duhamel. C’est une question de pouvoir : les hommes n’ont pas envie de laisser leur place. »

La journaliste applaudit le succès de Raphaëlle Bacqué, journaliste politique au Monde – « une des seules. » Ce décalage est aussi perceptible au niveau du contenu informationnel : « Les médias sont des courroies de transmission des stéréotypes de genre : si les femmes sont moins représentées en tant qu’expertes elles le sont bien plus en tant que victimes, et sont notamment très présentes dans les faits divers. »

 

Aller au-delà des automatismes

La raison évoquée à la trop rare parole d’expertes? L’absence de vivier. « C’est faux, » affirme Cécile Daumas. Responsable des pages « Rebonds » de Libération, elle évoque la première mise en place du dossier hebdomadaire de dix pages, paraissant tous les samedis. Lors de la sélection des experts à interroger, il s’agit d’aller au-delà des automatismes :

« Nous avions douze experts à choisir, et on s’est dit qu’il faudrait six hommes et six femmes. On les a trouvées sans problème, les noms sont venus tous seuls ; mais on a été obligées de se le dire au préalable, de se dire de faire l’effort. »

En tant que femme journaliste, y a-t-il une différence de pratiques ?, demande la médiatrice du débat et étudiante en journalisme à l’IEP de Lyon, Caroline Debray. Si Cécile Daumas pointe initialement la « pratique commune du travail journalistique », elle admet ensuite que les femmes au sein des rédactions ont tendance à « gommer leur comportement pour coller aux règles communes. On s’adapte, on ne veut pas passer pour une féministe hystérique ! » Forme d’autocensure qui vient, selon elle, directement de notre système d’éducation : les garçons prennent plus facilement la parole en classe, alors que les petites filles restent en retrait.

 

Adapter le vocabulaire… ?

Un membre du public interpelle Cécile Daumas sur les dénominations du genre : on ne dit pas sage-homme, mais maïeuticien. Est-ce qu’elle a ce souci de vocabulaire? « Le choix des mots est toujours important – c’est pour ça que l’expression « droits des femmes » m’énerve, c’est un mot-valise qui catégorise sans sens précis. Alors à la place j’utilisais le terme « inégalités hommes-femmes », jusqu’à ce qu’on me reprenne sur l’ordre des mots. Alors je dis « inégalités femmes-hommes » ! »

Cet intérêt se retrouve t-il dans les pages de Libération ? « C’est vrai que nous disons toujours écrivainE, auteurE, présidentE. De là à changer tous les noms… Maïeuticien, est-ce bien utile ? Mais on respecte les règles de grammaire – le masculin l’emporte toujours ! » Le public féminin acquiesce. Les deux seuls hommes présents ne semblent pas être d’accord.

 
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