Stephen King ne nous laisse même pas le temps d’apprécier le bon souvenir laissé par son attachant 22/11/1963 qu’il nous balance déjà un nouveau blockbuster littéraire dans les pattes, avec ni plus ni moins que la suite de Shining… Et joyeux Halloween, bien sûr.
Stephen King écrit trop. Le bougre en est déjà à son troisième pavé de l’année 2013, et les traducteurs français n’arrivent pas à suivre, comme peut en témoigner l’édition catastrophique de Docteur Sleep sortie ce mercredi, vraisemblablement à l’arraché, par Albin Michel. Rien ne sert d’accabler la traductrice, dont on devine la précipitation des délais quasiment à chaque paragraphe, mais il convient de souligner que la VF constitue un handicap majeur pour la lecture – en particulier quand le gang de bad guys est baptisé « Tribu du Nœud Vrai » et que des phrases telles que « Ne t’approche pas de la femme au chapeau. C’est la Reine-Salope du Château-l’Enfer » jaillissent avec une effroyable régularité. Pourquoi, alors que la littérature est peut-être l’un des derniers bastions culturels à ne pas souffrir de la piraterie due à la chronologie des sorties, ne pas prendre le temps de faire le boulot correctement au lieu de dégoûter des milliers de lecteurs de leur auteur fétiche ? Oui, Albin, j’accuse.
Abstraction faite des nombreux soucis de traduction, qu’en est-il de cette suite pas vraiment attendue de Shining ? Une chose est sûre, Stephen King renie toujours aussi violemment l’adaptation cinématographique de Stanley Kubrick et ses changements (souvent ténus) par rapport au roman original. Dick Halloran est vivant, les haies de l’hôtel étaient taillées en forme d’animaux, Jack a agressé sa famille avec un maillet de roque. King aura beau s’enfoncer dans le déni autant qu’il voudra, l’aura du film l’emporte sur son livre et la pitoyable adaptation télévisuelle de 1997 approuvée par ses soins. Et quand bien même, la façon dont l’auteur expédie les rémanences narratives de Shining dans ses 100 premières pages trahit le fait que cette histoire n’avait pas besoin d’être une séquelle de quoi que ce soit pour exister. Deux hypothèses sont aussi crédibles l’une que l’autre : l’attrait mercantile d’une suite à l’un de ses classiques, et l’éternelle quête revancharde d’une histoire qui lui a échappée – c’est MON histoire, pas celle de Kubrick, j’en fais ce que je veux non-mais-OH.
Et d’ailleurs, le doute n’est pas permis. On est bel et bien chez Stephen King. Un personnage principal alcoolique ? Check. Des pères abusifs ? Check. Le Maine et plus particulièrement Castle Rock ? Check et re-check. Le combat d’un groupe composite du Bien contre un groupe composite du Mal ? Check. Autant l’auteur avait brillamment réussi à greffer les événements de Ça à 22/11/1963, autant ses gimmicks sentent ici franchement le réchauffé voire le cramé, et accréditent un peu plus la thèse de la réappropriation obstinée.
Pour ce qui est de l’intrigue à proprement parler, le personnage de Danny Torrance encaisse avec brio sa transformation de môme traumatisé en trentenaire converti aux Alcooliques Anonymes – tant mieux, puisque selon King himself dans son habituelle postface, il s’agit de l’un des enjeux majeurs du roman. La « Tribu du Nœud Vrai » (argh), troupe de vampires psychiques accros à la souffrance humaine, évoque une remise au goût du jour des visiteurs temporels de Timescape, le premier film de SF sympa mais daté de David Twohy, pour finalement s’en démarquer avec cette imagination débordante expliquant le rendement stakhanoviste de Stephen King.
Le plus gros procès d’intention qu’on pourrait coller à Docteur Sleep serait de privilégier le fantastique à l’horreur. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé : même en lisant le bouquin dans la salle de cinéma vide de la station de ski où je bosse, le jour d’Halloween, avec une brume dense qui m’attendait à la sortie, rien, pas un frisson, pas une seule seconde de trouille à l’idée de retrouver ma photo en noir et blanc à l’entrée de la salle de danse du bâtiment.
Indigne successeur du bluffant 22/11/1963, suite inutile, Docteur Sleep est au final un King mineur comme il y en a tant, un roman fantastique probablement agréable à lire s’il n’était massacré par sa traduction. Stephen, change vite d’éditeur français.
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