Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Pierre-Jean Balzan, éditeur à Lyon : « Hachette est un vendeur d’âmes » 1/5

Loin du business des grandes maisons d’édition, les termes « entreprise » et « rentabilité » ne font pas partie du vocabulaire de Pierre-Jean Balzan. Même après une dizaine d’années d’activité, l’avenir de sa maison d’édition, La Fosse aux Ours, reste incertain. Mais l’éditeur n’est pas franchement du genre angoissé.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.


Pierre-Jean-Balzan-La-Fosse-aux-OursLe bureau de Pierre-Jean Balzan  © Lucile Jeanniard/Rue89 Lyon

« Les deux premières années, je ne me suis pas payé. De toute façon, quand on choisit le métier d’éditeur, le moteur, ça n’est pas l’argent, ça c’est clair. Encore maintenant, chaque année, je remets mon titre en jeu. Comme un boxeur ! »

Le personnage est posé. Passionné par l’objet livre et rêveur à ses heures, Pierre-Jean Balzan est tout sauf un homme d’affaires aguerri. En 1997, il quitte son travail de juriste dans un office HLM et crée sa propre maison d’édition, La Fosse aux Ours, située dans le quartier de la Guillotière à Lyon.

C’est d’ailleurs à son bureau que nous avions rendez-vous, mais c’est dans un café où l’homme a ses habitudes que nous nous retrouverons finalement. « Je suis à la porte de chez moi ! », s’amuse l’éditeur qui s’est vu dépouillé de ses clés par sa femme, partie avec par inadvertance le matin même.

 

« Pauvre petit éditeur »

Pierre-Jean Balzan n’est pas de nature angoissé. Plutôt bon-vivant, il est bien loin du « business » des grosses maisons d’édition parisiennes, comme Hachette qu’il surnomme « vendeur d’âmes ». À la Fosse aux Ours, il mène la barque seul. Et lorsqu’on lui demande s’il s’en sort, il répond en haussant les épaules :

« Ouais… Alors, j’ai connu des périodes très chaudes. Il y a une année où c’est + 70% et l’année suivante ça sera – 25%… Ça a toujours été un peu le yoyo. Les grands groupes éditoriaux, quand ils font – 5% c’est la catastrophe. Mais moi je peux hiberner, je suis tout seul. Je n’ai pas de frais de structure, je n’ai que mon salaire à sortir. Et puis flipper, ça n’est pas vraiment mon genre. »

Et d’ajouter :

« La Fosse aux Ours c’est entre 4 et 8 livres édités par an, et ces dernières années je suis plutôt entre 4 et 6. »

Ce qu’il tire sur le prix d’un livre ? À l’entendre, pas grand-chose. Les librairies récoltent 35% du prix du livre, tandis que les diffuseurs et distributeurs (ceux qui font le pont entre la maison d’édition et les libraires) obtiennent 20%. Seuls 8 à 10% vont à l’auteur. L’imprimeur reçoit quant à lui 15% en moyenne. Et pour les 20% restants, qui devraient normalement revenir à l’éditeur, ceux-ci servent en fait bien souvent à payer des frais annexes.

« Ca va par exemple dans les coûts de traduction lorsqu’il y en a… Et le pauvre petit éditeur, il ne lui reste que ses yeux pour pleurer », plaisante Pierre-Jean Balzan qui se recroqueville sur sa chaise, mimant un homme triste.

Ce qu’il n’est pas, assurément.

 

Sa ligne éditoriale : son « bon plaisir »

Son « best-seller », vous le connaissez ? Comment ça non ? « La nuit tombée », d’Antoine Choplin. Prix roman France Télévisions 2012. C’est la fierté de l’éditeur qui égrène ses chiffres sans rechigner :

«  Je ne fais jamais de tirage en dessous de 1000 exemplaires. Mon record, ça a été pour mon best-seller pour lequel j’ai fait imprimer 4500 exemplaires dès le premier tirage. En tout, j’en ai vendu 20 000 exemplaires. »

Éditer des livres à succès pour pouvoir ensuite prendre des risques ? Pas question. Pierre-Jean Balzan assure qu’il ne choisirait jamais un livre qui ne lui plait pas, même si celui-ci pourrait très bien se vendre. « Ma ligne éditoriale, c’est mon bon plaisir ». Et lui, ce qui l’intéresse, « c’est le style d’écriture, l’ouverture sur le monde, les problématiques de notre époque. J’aime les livres sur les périodes de guerre, de trouble… », se prend à rêver Pierre-Jean Balzan, partant aussitôt dans un récit passionné sur la Seconde Guerre mondiale.

Mais ce que l’éditeur aime par-dessous tout, ce sont les titres d’auteurs italiens comme Mario Rigoni Stern, ou encore Vladimiro Polchi. Un cinquième des livres édités par Pierre-Jean Balzan sont italiens. Cette envie d’explorer la littérature « oubliée par les Italiens », il la doit à ses origines familiales (Balzan vient de Balsano) et à ses nombreux voyages en Italie.

« Mais ça n’intéresse qu’un petit nombre de gens », admet-il.

 

« Je reçois tout et n’importe quoi parfois »

Pour trouver des perles, Pierre-Jean Balzan se laisse donc totalement guider par ses émotions. Et ça se voit. Lorsqu’il s’exprime sur son métier, il rehausse souvent ses paroles de gestes et de mimes. Le contrecoup de ce trait de caractère, c’est son petit côté… bordélique. Dans son bureau, seul l’éditeur peut s’y retrouver. Et encore, « parfois je ne m’y retrouve pas non plus ».

Pour lui rendre visite, il faut se frayer un chemin parmi les piles château-branlantes d’ouvrages et de feuilles volantes qui s’accumulent à même le sol, marcher sur la pointe des pieds pour tenter de ne rien renverser.

Pierre-Jean Balzan stocke dans une pièce à côté de son bureau tous les manuscrits qu’il reçoit. © Lucile Jeanniard/Rue89 Lyon

Dans une pièce à côté, des tas de manuscrits attendent encore d’être lus. Il faut dire que l’éditeur reçoit en moyenne un manuscrit par jour. Depuis la sortie de son best-seller il y a un an, Pierre-Jean Balzan est « débordé » :

« Quand on édite un livre qui a une portée plus importante, comme celui d’Antoine Choplin, les gens découvrent la maison d’édition et se disent : « Ah tiens je ne connaissais pas La Fosse aux Ours ! Pof, on envoie les souvenirs de vacances ! » Je reçois tout et n’importe quoi parfois », s’étonne-t-il.

 

« Ça sent bon un livre neuf vous savez »

Petit déjà, Pierre-Jean Balzan aimait passer des heures dans les librairies à sentir les livres, les manipuler pour tenter de comprendre comment ils étaient fabriqués.

« En fait, je n’étais pas un bon client pour les libraires : je n’achetais pas de livres, je les ouvrais, les retournais, les observais, regardais la reliure, les sentais… Ça sent bon un livre quand c’est neuf vous savez ! Encore aujourd’hui, je ne me lasse pas de sentir l’odeur qui se dégage d’un carton de livres fraichement imprimés. »

À 20 ans, Pierre-Jean Balzan assurait que plus tard, il serait éditeur. Et puis des études d’histoire et de droit l’ont finalement amené vers le métier de juriste qu’il exercera jusqu’à ses 35 ans.

« Je commençais à m’ennuyer dans mon boulot. Alors cette vieille idée d’éditer des livres a ressurgi. Et j’ai fini par me lancer. Je me rendais bien compte que ça allait être très compliqué… Mais il fallait y aller ! Si je ne le faisais pas, je l’aurais regretté toute ma vie. »

 

L’e-book ? Pas intéressé.

En revanche, ce que regrette Pierre-Jean Balzan aujourd’hui, c’est le développement du numérique dans ce monde sacré qu’est pour lui celui du livre. Non, les e-book, ça ne l’intéresse pas. Il en a publié « deux ou trois », mais « c’était sous la contrainte », s’empresse-t-il d’ajouter.

« Je n’aurais jamais choisi ce métier s’il n’y avait pas eu l’objet papier. »

Selon lui, les éditeurs ne croient pas au numérique :

« Un livre qui vaut 15€ dans une librairie en vaut 10 en version numérique. Pour mon best-seller par exemple, le numérique ne représente que 3 à 4% des ventes. »

D’ailleurs, les nouvelles technologies, ça n’est pas tellement son truc. À l’issue de notre rencontre, il sort son téléphone portable et rigole en tapotant laborieusement sur le clavier :

« J’ai un gros téléphone d’artisan maintenant. Le dernier, je suis tombé dans la piscine avec, alors on m’a refilé un téléphone waterproof qui pèse trois kilos. »

 

 

 

 


#Culture

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

À lire ensuite


Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile