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Roms, islam, Yannick Noah… Le Web des commentaires nauséabonds

En ligne, la parole politique se radicalise, comme l’a montré l’affaire du bijoutier de Nice. Les modérateurs des sites d’info sont débordés. Rue89 a enquêté.

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Des touches de clavier d’ordinateur. © Johan Larrson / Flickr / CC

« L’Internet n’est plus une extra-territorialité peuplée de “geeks” et de “hipsters”, mais bien un décalque de la vraie vie, avec ces débats houleux qu’on préfère éviter », écrivait Vincent Glad sur Slate.fr en écho au succès de la page Facebook de soutien au bijoutier de Nice.

A Rue89, c’est un constat que nous faisons depuis plusieurs mois – comme une partie de nos riverains, atterrés par la radicalisation de certains propos.

La très grande majorité des sites d’actu sous-traitent la modération des commentaires à des entreprises extérieures (ce n’est pas le cas de Rue89, où les journalistes modèrent eux-mêmes les commentaires). En France ou à l’étranger, des dizaines de « modérateurs » travaillent chaque jour à filtrer la parole numérique de milliers de lecteurs.

Le tournant de la Manif pour tous

Jérémie Mani dirige l’une de ces entreprises (Netino). Ses équipes modèrent entre autres les sites de 20 Minutes, Les Echos, Le Journal du Dimanche et Le Midi Libre. Selon lui, la Manif pour tous a libéré les frustrations et les colères :

« Il y a un avant et un après. Les langues se sont déliées. La retenue que les gens pouvaient avoir a disparu. Les propos sont plus violents et même des gens “logués”, et donc identifiés, n’hésitent plus à se lâcher. »

Pour preuve, les messages postés sur la page Facebook de soutien au bijoutier de Nice.

Patron d’une boîte concurrente (Concileo), David Corchia travaille avec Le Parisien, Le Figaro et des groupes de presse locale. Lui aussi sent une nouvelle radicalité dans les centaines de messages qui défilent sur les écrans de ses équipes :

« Auparavant, les messages violents fleurissaient surtout sous des articles évoquant les conflits au Moyen-Orient. Aujourd’hui, les commentaires se sont déplacés vers les sujets de politique intérieure et les faits divers. L’affaire du bijoutier de Nice est symptomatique. »

Campagnes orchestrées ?

Les « modérateurs » soulignent la part de « ras-le-bol générique » dans ces filets de messages incendiaires. Mais la colère est parfois catalysée par l’action de militants numériques, gravitant dans la « réacosphère ».

Leur but ? Faire réagir autour de leurs thèmes de prédilection et, le cas échéant, renvoyer vers la galaxie de la « ré-information » (le plus souvent des sites proches de la droite nationaliste).

La méthode est inspirée du « gramscisme » de la Nouvelle Droite. Plutôt que de tenter vainement de gagner des élections, ces mouvements radicaux s’emploient à infuser leur vocabulaire dans les débats de société.

Le lancement de l’enquête participative « Génération… quoi » par France Télévisions, Yami2 et Upian, pour que les 18-34 ans donnent leur avis sur leur génération, est un cas d’école. La consultation, à laquelle auraient répondu près de 33 000 personnes, a visiblement été détournée par des militants identitaires et le Printemps français.

Le nuage de mots les plus cités sur Generation-quoi (Capture d’écran)

Lorsque l’on analyse le nuage de mots tirés du site, les termes qui reviennent le plus sont : « sacrifiée », « perdue », « désenchantée » et « désabusée ». Un ensemble qui rappelle étrangement les slogans de Génération identitaire et la rhétorique du Printemps français, la frange la plus radicale de l’opposition à la loi Taubira.

Joint au téléphone, Damien Rieu, le porte-parole de Génération identitaire, jure qu’il n’y a pas eu « d’opération organisée ». Même s’il admet avoir relayé cette enquête.

Pour lui, les résultats de Generation-quoi, comme les torrents de commentaires houleux, ne font que refléter les inquiétudes des 18-34 ans :

« C’est la réalité qui crée ces mouvements, pas la réussite de notre communication. C’est une erreur de considérer que ce phénomène est artificiel, entretenu par des armées de personnes qui postent des commentaires. On le voit avec la page du bijoutier de Nice. Les médias font croire que tout cela est gonflé artificiellement alors qu’en réalité, la mobilisation est réelle. »

Il reconnaît tout de même que la page Facebook de son mouvement (25 000 « likes ») et le site FdeSouche agissent comme des « entonnoirs », renvoyant les internautes très remontés vers les sites d’où proviennent les articles cités.

Exemple : au moment où j’écris ces lignes, une vingtaine de personnes sont arrivées sur le témoignage publié sur Rue89 « A 20 ans, j’ai commis un viol. Méritais-je d’être abattu ? » depuis le site FdeSouche, qui traite de « l’immigration ou [du] racisme antiblancs ».

Capture d’écran de Chartbeat (DR)
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