Par Lucile Jeanniard et Laurent Burlet
Franck Bourgeron, rédacteur en chef de La Revue Dessinée avec le premier numéro © La Revue Dessinée
Tous les trois mois, La Revue Dessinée proposera environ 200 pages de BD journalistique. Au menu pour ce premier numéro : une enquête sur les pionniers du gaz de schiste, une plongée dans les communautés congolaise et rwandaise de Bruxelles, un voyage dans les eaux de l’hémisphère sud, ou encore une excursion dans les coulisses du zoo du Jardin des plantes à Paris.
D’une article-BD à l’autre, on bascule d’un ton sobre et sérieux à un ton beaucoup plus léger, notamment à travers les multiples chroniques. L’une propose de comprendre la théorie de la relance keynésienne sans douleur. Une autre essaye de percer les arcanes de la sémantique où l’on apprend que, non, salope n’est pas le féminin de salaud.
Tiré à 15 500 exemplaires, ce premier numéro est vendu 15 euros en librairie. Dans son éditorial, l’équipe explique ce choix de restituer des enquêtes, des reportages ou de la chronique en BD :
« Nous sommes partis d’un simple constat : les journalistes et les auteurs de bande dessinée sont des raconteurs d’histoires. (…) Le dessin permet une formidable profondeur de narration. »
L’équipe a déjà programmé un reportage à Fukushima pour le prochain numéro qui sortira en décembre 2013. Un reportage réalisé par Emmanuel Lepage, auteur d’Un Printemps à Tchernobyl.
Au delà de la version papier, La Revue Dessinée prend aussi une forme numérique, avec une application pour iPad.
Vendue 3,59 euros, elle prolonge la lecture du format papier et offre au lecteur de quoi patienter entre deux numéros. Des contenus exclusifs seront donc disponibles pour les heureux détenteurs de tablettes tactiles : sons, photos, vidéos…
« Une bande de marieurs »
C’est Franck Bourgeron, auteur de bande-dessinée depuis 2004, qui est à l’origine de ce magazine de BD reportages. En septembre 2011, il contacte quelques amis pour leur faire part de son idée. Ils seront finalement cinq à se lancer avec Franck Bourgeron dans l’aventure de La Revue Dessinée. La plupart originaire de Lyon.
La Revue Dessinée a donc élu domicile dans le 7e arrondissement, dans l’atelier d’un des membres de l’équipe, Olivier Jouvray, en charge du multimédia. Ce qui fait de « LRD », l’une des rares magazines d’info généraliste à ne pas avoir son siège à Paris.
Annoncée lors du Festival de BD d’Angoulême en janvier 2012, La Revue Dessinée a bénéficié du soutien de cinq investisseurs, mais aussi du groupe Gallimard, via son label Futuropolis. Ce tour de table leur a apporté 180 000 euros. Les membres fondateurs restant toujours majoritaires dans la répartition du capital de la société éditrice.
Deux subventions de la région Rhône-Alpes et du Centre national du Livre pour la version tablette de la revue, de 20 000 euros chacune, viennent également compléter le budget de l’équipe.
La Revue Dessinée a su également s’entourer de partenaires d’importance comme France Info, Mediapart, l’INA et la bibliothèque du Centre Pompidou.
Après les investisseurs, ce sont les auteurs qui ont frappé à la porte de La Revue Dessinée. Dessinateurs, journalistes, universitaires… Des acteurs qui n’ont généralement jamais travaillé ensemble.
« L’équipe de La Revue Dessinée est une bande de marieurs », résume le blog de l’équipe. « Marieurs de talents, marieurs d’histoires, marieurs d’outils graphiques au service d’un même but narratif. »
Gaz de schiste et marins d’eaux dures
Extrait des « Pionniers du gaz de schiste », une enquête de Sylvain Lapoix et Daniel Blancou © La Revue Dessinée
L’une des unions les plus réussies de ce premier numéro est sans doute celle entre le journaliste Sylvain Lapoix et le dessinateur Daniel Blancou, qui a abouti à une enquête en trois volets sur les pionniers du gaz de schiste, emmenant le lecteur jusque dans les Etats-Unis des années 1970, aux premières heures du développement du gaz de schiste.
Jimmy Carter, président des Etats-Unis de 1977 à 1981, fait partie de ces pionniers. « Début 1977, dans la région de Washington, les températures ont atteint des records de -20°C », explique l’enquête. Après l’embargo pétrolier de 1973, Carter a cherché à rassurer le peuple américain en favorisant, notamment sur le plan fiscal, le développement de la technique d’extraction des gaz de schiste par la fracturation hydraulique. Mais la libéralisation des années Reagan a bien failli remettre en question cette technique naissante…
Un peu plus tôt dans la revue, vous vous arrêterez peut-être sur un reportage au nom évocateur : « Marins d’eaux dures ». Le dessinateur Christian Cailleaux, raconte le quotidien des marins embarqués sur la frégate Floréal, en direction des terres australes françaises. Ce bâtiment de la marine nationale joue notamment un rôle d’appui pour les scientifiques installés sur les îles Crozet ou Kerguelen, terres sauvages situées à plusieurs jours de mer de toute forme de civilisation.
« Une vague plus haute frappe la proue alors que l’équipe des manœuvriers est encore à la tâche sur la plage avant. (…) Les six hommes sont frappés par l’eau et à cette vitesse, c’est comme recevoir un paquet d’une tonne qui vous emporte ».
Le teaser du reportage sur les « marins d’eaux dures »
Des auteurs payés 150 euros la planche
Le genre de la BD reportage a explosé au début des années 2000 en France, avec l’énorme succès de Persépolis de Marjane Satrapi, mais aussi avec Les Mauvaises Gens d’Etienne Davodeau. On pense encore à des auteurs comme Joe Sacco, Guy Delisle et Jean-Philippe Stassen, qui travaille notamment pour la revue XXI, laquelle diffuse chaque trimestre un reportage graphique.
Après avoir fidélisé un nouveau public avec la BD reportage, « plus international et féminisé que celui de la BD classique », selon Olivier Jouvray, le nouvel enjeu pour les auteurs de bande-dessinée est de vivre correctement de leur travail.
« On s’efforce de protéger leurs droits pour des publications ultérieures et on les rémunère 150 euros par planche, quitte à augmenter ensuite si ça marche bien », précise le cofondateur à l’AFP (via 20minutes.fr).
Car l’objectif de La Revue Dessinée, c’est aussi de permettre aux auteurs de prépublier leurs travaux, avant de les proposer aux éditeurs classiques. Déjà deux des reportages du premier numéro ont trouvé preneur pour un album grand format.
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