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Les Fils de Butte veulent faire du Grand Stade de l’OL leur Notre-Dame-des-Landes

Installés dans les champs de Décines depuis plus d’un an, ceux qui se font appeler les Fils de Butte ont construit un véritable village à proximité du chantier du Grand Stade, qui n’est pas sans rappeler celui de Notre-Dame-des-Landes. Leur but : s’opposer au projet d’OL land rêvé par Jean-Michel Aulas et Gérard Collomb, et dont la construction est désormais imminente.

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Camp Fils de ButteAu centre du village, l’ « agora » et la « maison ». © Leïla Piazza

Tentes, cabanes, constructions en terre, en paille et en bois. A quelques arrêts de bus de Lyon, la scène paraît irréelle. Et pourtant, ce campement, qui ressemble quelque peu à celui de Notre-Dame-des-Landes, est installé depuis bientôt un an et demi sur une butte, dans la campagne de Décines, à deux pas de Lyon.

 

Empêcher « le business d’Aulas »

Le camp est installé juste au dessus de là où doivent être construits des accès pour le futur Grand Stade de l’OL. Ce projet a suscité de nombreuses oppositions politiques et d’habitants, réunies notamment au sein d’associations hyperactives telles que Carton rouge et les Gones pour Gerland.

Ces dernières se sont spécialisées dans le recours juridique contre le futur stade. Mais alors que la justice les a déboutés sur leurs principales demandes, le projet de Jean-Michel Aulas, président de l’Olympique Lyonnais, se concrétise de plus en plus. Après la validation du plan de financement fin juillet, ce dernier a lancé les travaux du Grand Stade. Pourtant, une bande de militants voudraient s’ériger en « résistants » et, par leur présence sur les lieux, empêcher les travaux.

Avant d’arriver sur le camp, on peut lire ce message. © Leïla Piazza

Ce projet pharaonique, David, l’un des militants présents sur la Butte, ne peut pas l’accepter :

« On va bousiller des centaines d’hectares de nature pour permettre à Aulas de faire du business. C’est un poumon, une bulle de nature dans la ville cet endroit. Il y a plein d’espèces animalières ici. A un moment, il faut dire stop ! Et par dessus ça, c’est un projet inutile. Encore, si c’était un hôpital, ce serait plus facile à accepter… »

Pour lutter contre le Grand Stade de l’OL, la stratégie des Fils de Butte, comme ils s’appellent eux-même, est simple : occuper l’espace.

Arrivés en avril 2012, ils ont eu depuis tout le temps de s’installer confortablement sur la « Zone à défendre » (ZAD) de Décines. Ici, rien de tape à l’œil. Lorsqu’on arrive, passé la grande arche qui sert d’entrée, le lieu paraît même presque vide. Quelques chiens traînent, indiquant que leurs maîtres ne sont pas trop loin. En réalité, ce jour là, ils sont seulement une vingtaine, tous rassemblés dans « la maison principale », une grande bâtisse ressemblant à une yourte, construite en paille et en terre. Installés sur le banc en terre érigé autour de l’emplacement du feu de bois, ils boivent un verre (ou plus) de vin et discutent. Cette maison est un élément central du village des Fils de Butte, comme l’explique l’un d’eux, qui se présente sous le prénom de Ben :

« C’est le lieu où on a passé l’hiver. On faisait un grand feu au milieu. Cela a permis de tenir car, ici, l’hiver est une sacrée épreuve. »

© Lucile Jeanniard

 

« On se nourrit avec les déchets de Babylone »

Pour manger, les Fils de Butte, qui revendiquent une certaine « sobriété alimentaire », font beaucoup de « récup’ » et glanent à la fin des marchés mais aussi dans les poubelles des supermarchés.

« On se nourrit avec les déchets de Babylone, rigole David. Non mais quand on sait que 40% de l’alimentation est jetée… Et que par dessus ça, maintenant, certaines grandes surfaces javélisent ce qu’ils jettent, ça rend fou ! »

Le jeune homme, torse nu, qui arbore quantité de piercings et une grande dreadlock dans la chevelure, a décidé depuis quelques années de vivre en marge de la société. Il ne paye pas de loyer mais n’a pas non plus demandé de RSA. « Parce qu’on ne peut pas cracher sur un modèle et y adhérer en même temps », justifie-t-il.

Ce mode de consommation présente toutefois des aléas, comme le relève Cyril :

« En hiver, pour la nourriture, c’est beaucoup plus simple car les aliments se conservent mieux. Alors on en trouve plus. Du coup, on mangeait du saumon et autres aliments de luxe. On offrait même de la nourriture tellement on en avait ! En été, par contre, c’est la galère : ça tourne très vite. »

A côté du saumon fumé de supermarché, les Fils de Butte cultivent aussi un petit jardin. Au vu de la surface disponible, il pourrait être beaucoup plus grand. Mais les habitants de la butte, qui sont expulsables depuis le 30 avril suite à une décision de justice, vivent aussi dans la crainte permanente de l’intervention des forces de l’ordre, comme l’explique David :

« Avec le turn-over, c’est difficile de lancer des projets sur le long terme. Et puis on va pas planter 300 m2 de patates si c’est pour être expulsés avant la récolte. »

Alors, en attendant, explique Cyril, les Fils de Butte expérimentent un jardinet cultivé en permaculture. Ce trentenaire fait partie des plus militants du camp. Il est bien souvent présent sur les lieux mais a un appartement et travaille pour les espaces verts d’une ville du sud de l’agglomération. Cultiver des plantes, c’est son dada :

«La permaculture, c’est un type d’agriculture qui demande très peu d’eau. Notre but à terme est de devenir autosuffisants. Même si pour l’instant, on ne l’est pas vraiment. »

Pour l’eau, justement, les Fils de Butte ont construit un système de récupération, avec cinq cuves de 1000 litres pour la stocker. Cette eau est utilisée pour la douche, la vaisselle… Pour boire, les habitants se rendent à la fontaine de Décines et remplissent des bidons. Trois toilettes sèches sont par ailleurs dispersées dans le campement.

 

 

« Chambre d’amis » et nomadisme

Si, en hiver, tout le monde vit dans la même maison, en été en revanche, chacun a sa cabane. En cherchant un peu, on en trouve plusieurs, bien cachées dans les bois. Certaines sont en bois, d’autres en palette, terre et paille. Certaines sont à moitié creusées dans la terre, comme celle d’Adrien, « ce qui permet d’avoir moins chaud en été et d’avoir la chaleur de la terre en hiver. »
D’autres encore sont en cours de construction dans les arbres.

Ces cabanes sont dispersées aux quatre coins du camp. Les Fils de Butte justifient cet étalement de l’habitat par la nécessité d’occuper l’espace, comme un moyen de faire blocus le jour où on viendra les expulser. Mais il s’agit aussi de préserver une forme de vie privée, comme le reconnaît David :

« Ca s’est fait avec le temps. Chacun essaie de garder son espace personnel. C’est important quand tu vis là depuis des mois. »

Et puis, on trouve aussi ce que les Fils de Butte appellent un « sleeping », une grande cabane conçue pour accueillir les gens de passage.

« C’est un peu la chambre d’amis », plaisante David.

Des cabanes sont dispersées dans les bois. © Leïla Piazza

Du passage, il y en a sans cesse. La vie sur la butte de Décines est faite d’arrivée et de départs, avec un renouvellement permanent des habitant, venus d’horizons divers. Ce jour-là par exemple, on y trouve d’anciens SDF qui faisaient la manche pour survivre, une institutrice, des jeunes habitants des banlieues de Décines en visite en journée, deux Espagnols parlant à peine français, des « nomades » des quatre coins de la France. Des militants autant que des gens venus par là plus par opportunité que par intérêt pour le Grand Stade. Rares sont ceux qui ont connu la création de la ZAD de Décines. La population a changé avec le temps. Certains glissent même que le militantisme s’est quelque peu estompé.

Mais pour David, cela reste une « expérience riche » :

« Il y a la lutte pour défendre la Butte de Décines, c’est sûr. Mais il y a aussi la construction d’un autre modèle de société. Ca aussi, c’est un combat! »

Les Fils de Butte expérimentent un mode de vie en communauté et alternatif. Qui peut susciter le rejet, comme le rappelle Ben :

« On a été victimes de pas mal d’opposition. On ne vit pas comme la plupart des gens, alors ça les dérange. Mais à côté de ça, on a aussi plein de soutiens. Il y a des voisins, parfois des petites mamies, qui nous aident. Ils nous amènent de la nourriture, des vêtements… »

 

Militants et paysans : les relations houleuses

Le village des Fils de Butte a un air de déjà vu, qui fait penser au très médiatique campement de Notre-Dame-des-Landes. Et pour cause. Une conversation avec l’unique militant qui a connu la création du site présent ce jour-là, prénommé Adrien, indique que les liens avec le camp de la région nantaise sont plus serrés que ce qu’on imagine.

En réalité, à l’origine de ce village fondé en avril 2012 se trouvent quelques personnes regroupées dans le collectif Rhône anti Notre-Dame-des-Landes. A ce moment-là, une procédure d’expropriation des terres d’une trentaine d’agriculteurs est en cours, pour permettre la construction du Grand Stade et de ses accès. Parmi les paysans visés, un certain Philippe Layat, berger et détective privé qui a d’abord fait cavalier seul. L’agriculteur décinois lutte alors dans son coin en ne répondant pas aux courriers du Grand Lyon (qui compte donc acheter ses terres). Il est plutôt du genre à les attendre avec le fusil. Puis il est approché par les associations. Il rencontre alors des militants opposés au Grand Stade mais aussi du mouvement de défense des terres agricoles.

« Il y a un réel maillage de résistance à la destruction de terres agricoles en France », résume Roger Sibille, trésorier de Carton Rouge, qui a « fait le Larzac » dans sa jeunesse et qui les soutient « à 100% ».

Adrien se souvient :

« En réalité, c’est la Confédération paysanne qui a appelé un ami du collectif, avec qui ils étaient en contact. Ils lui ont expliqué que Philippe Layat avait besoin d’aide pour défendre ses terres. Tout est parti de là. On est allés deux mois à Notre-Dame-des-Landes pour voir comment ils procédaient, s’organisaient pour vivre, construire leurs cabanes… »

Le groupe d’amis, issu du milieux des squats lyonnais, fait alors marcher ses réseaux pour mobiliser d’autres personnes et vient s’installer sur les terrains de Philippe Layat broutés par les brebis, derrière sa maison. Un épisode dont l’agriculteur se souvient bien :

« On est venu me voir et on m’a dit « tu préfères des bulldozers ou des alternatifs ? » J’ai dit bingo ! Mais après ils m’ont foutu le bordel, ça s’est envenimé. Au bout de deux mois, je les ai virés. »

Reportage de France culture diffusé le 15 mai 2012

Chassés par le paysan qui, notamment, n’apprécie pas que certains vivent du RSA et critiquent par le même temps « le système », les militants partent s’installer un petit peu plus haut, sur la fameuse butte. Pourtant, les différentes parties n’ont pas fini de se fréquenter.

Le soir de notre reportage, Cyril doit d’ailleurs aller lui rendre visite :

« Avec Philippe, il y a des hauts et des bas. Il a un caractère fort. Mais il sait qu’on se bat pour la même chose et que dans les moments difficiles, on est là. »

Pour Adrien, leurs oppositions sont surtout liées à une différence de valeurs, qui n’est pas insurmontable :

« A Notre-Dame aussi, au début, il y avait des oppositions avec les paysans. Mais le rapprochement des luttes s’est fait avec le temps. »

Des liens entre Philippe Layat (au centre), les Fils de Butte et les associations d’opposants (ici, deux militants de Carton Rouge) existent toujours. Même si la cohabitation n’est pas facile tous les jours. © Leïla Piazza

 

Des nomades écolo, anarchistes, étudiants, geeks, punks, babas cool…

En ce début août, une bonne partie des militants est à Notre-Dame-des-Landes pour un week-end de rassemblement festif. Seules une vingtaine de personnes sont restées à Décines. Elles sont impatientes. Les Fils de Butte qui sont allés dans les environs de Nantes sont partis avec un objectif : « ramener un maximum de monde » à Décines. C’est qu’en cette période d’accélération du projet, les militants se rendent compte qu’ils vont devoir être nombreux pour espérer gêner les travaux. Certains semblent ne plus trop y croire. D’autres, comme Cyril, ne sont pas du tout défaitistes :

« On restera là. Jusqu’à maintenant, on a été bien gentils. Mais notre rôle était d’occuper le terrain en attendant un moment clé. Là, maintenant que c’est nécessaire, il faut qu’on soit en nombre pour lutter. »

Si les Fils de Butte comptent sur la solidarité des « collègues », c’est aussi qu’ils peuvent s’appuyer sur un large réseau de « zadistes ». Ce mouvement a pour lieu de ralliement principal Notre-Dame-des-Landes, mais gravite autour d’une quinzaine de ZAD en France qui luttent contre ce qu’ils nomment des « projets inutiles et imposés ». Jusqu’à l’international. Les « zadistes » naviguent d’un endroit à un autre, comme le raconte David :

« On est des nomades à la base. C’est comme ça, on aime se déplacer, rencontrer des gens, aller à la recherche du savoir. Donc on va de ZAD en ZAD. Ce sont de véritables lieux d’échange ».

« Ce sont un peu des universités populaires », renchérit Adrien.

La salle des fêtes est un autre lieu de sociabilité important, où l’on mange et où sont organisés différents événements. © Leïla Piazza

Du coup, sur place, s’organise une vie en communauté, faite de turn-over et de passages.

« C’est une expérience humaine très riche », estime Ben :

« Tous les gens ici viennent de milieux sociaux et géographiques différents. Certains ont même un appartement et un travail à côté. A l’origine, ce mouvement était fait de milieux écolo, anarchistes, étudiants, geeks, punks, babas cool… Du coup, cette diversité est restée. »

Une cohabitation qui n’est pas de tout repos. Des conflits ont parfois émergé entre des visions différentes de la vie en groupe. Mais « ça se gère », résume David :

« On organise des réunions fréquemment sur la place centrale, qu’on appelle « l’agora ». C’est important quand tu vis en communauté. C’est une bonne école de vie. C’est un peu comme une mini-société. Même si c’est compliqué dans un lieu comme ça de faire cohabiter tout le monde. »

 


#Décines

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