L’Ardèche, ce ne sont pas que les canoës, la rivière et les campings. L’image d’Épinal vaut pour le sud du département. Dans le nord, les vallées étroites et les plateaux s’enchaînent et les touristes sont relativement absents comparativement à Vallon-Pont-d’Arc.
Au cœur des forêts de sapins, à côté de ces maisons aux pierres grises, se dressent les usines de la vallée du Cheylard. Ici, on ne parle pas en distance mais en temps, nous prévient-on. La commune du Cheylard, 3500 habitants dans le pays des Boutières, se situe donc à 1 heure 15 à l’ouest de la vallée du Rhône, à la latitude de Valence.
L’industrie se compose essentiellement des usines de textiles techniques de Chomarat, de l’embouteilleur Perrier et du fabricant de bijoux en or ou argent plaqué GL Bijoux.
Jusqu’à l’aggravation de la crise économique, en 2008, 2500 personnes étaient employées dans ces groupes industriels dirigés par les descendants des fondateurs. Une sorte d’exception culturelle. Un îlot disent certains, au milieu d’un désert rural.
Le déclin de l’industrie : la fin d’une exception culturelle ?
Dans le village de Saint-Martin-de-Valamas, la commune voisine du Cheylard, vous ne pouvez pas manquer ce panneau « GL Bijoux, mobilisons nous pour sauver les Boutières » avec une croix et le chiffre « 269 », comme le nombre d’emplois qui devaient être supprimés en mars 2013.
Au final, ce ne sont « que » 152 postes qui ont été supprimés dans la vallée (229 au total en France). Mais ce plan social faisait suite à un premier en 2008, avec la suppression de 92 postes. Surtout, le groupe GL Bijoux est en redressement judiciaire depuis le 1er février et il n’y a toujours aucun projet de reprise. Le tribunal de commerce vient tout juste de donner six mois de sursis supplémentaire au groupe.
Les causes sont connues : baisse des ventes, augmentation des coûts des matières premières et concurrence d’entreprises chinoises.
Un autre pilier de l’industrie du Cheylard a montré de sérieux signes de faiblesse : l’entreprise Chomarat qui a supprimé 182 emplois en juillet 2012 (dont 35 licenciements secs). Ces différents plans sociaux ont été accueillis avec un certain fatalisme par les salariés.
Comme si le déclin de l’industrie en Ardèche était inéluctable. Hormis quelques jours de manifestations au cours desquels les commerçants baissaient leur rideau, Le Cheylard n’a pas connu de mobilisations comme ont pu en vivre d’autres bassins industriels français.
Dans son bureau de l’union locale CGT, le secrétaire Daniel Bacquelot, ouvrier chez GL Bijoux, décrit des « salariés qui ne veulent pas se battre » :
« Il y a un certain paternalisme qui règne. Comme si on ne voulait rien faire qui puisse gêner le patron ».
Et sans mobilisation, difficile de faire bouger les services du « Redressement productif ». Quant au ministre qui est censé s’occuper de lutter contre la désindustrialisation, Arnaud Montebourg, il a promis de passer. Les salariés du Cheylard attendent toujours.
Des politiques économiques tournées vers le tourisme
Au département de l’Ardèche, comme à la région Rhône-Alpes, là où se situeraient également des leviers d’action, les grandes orientations économiques ne vont pas dans le sens du soutien à l’industrie.
Le député PS du sud-Ardèche et président du conseil général jusqu’en 2012, Pascal Terrasse, est très clair :
« Le département a fait le choix du tourisme et des technologies de l’information. Ceux qui pensent qu’il y a d’autres alternatives au tourisme, je suis prêt à les écouter ».
Il met en avant l’ « enclavement du coeur du département » et « l’absence de TGV, de centres de recherche et d’universités » qui rebuteraient plus d’un investisseur.
Au Cheylard, le maire (divers droite), Jacques Chabal semble aller dans le même sens. Depuis une dizaine d’années, la collectivité investit dans le tourisme : création d’un centre aquatique de plein air, balisage de sentiers pédestres ou l’organisation d’un festival de théâtre de rue.
Au moment où les grandes entreprises connaissaient des difficultés, Le Cheylard inaugurait également l’Arche des métiers, musée dédié à la culture scientifique et technique où s’exposent les grandes entreprises de cette vallée atypique d’Ardèche.
« Nous ne voulons pas du tourisme de masse comme à Vallon-Pont-d’Arc »
Mais ne dites pas que le tourisme peut remplacer l’industrie. « C’est un complément », recadre le directeur de l’office du tourisme :
« Nous ne voulons pas du tourisme de masse comme à Vallon-Pont-d’Arc mais un tourisme qualitatif. »
De fait, encore peu de personnes vivent de cette activité.
En provenance de Grenoble, Françoise Batifol s’est installée depuis plusieurs années dans le pays des Boutières. D’abord institutrice, elle a décidé de reprendre le camping municipal de Saint-Martin-de-Valamas avec son compagnon. Elle organise des circuits VTT pour profiter de la mise en place d’un chemin, la « Dolce Via » en lieu et place de l’ancienne ligne de train qui reliaient la vallée du Rhône au coeur du département.
Mais ce n’est pas suffisant. Et elle envisage de reprendre une activité en dehors de la période estivale, car les touristes sont encore difficiles à faire venir :
« On voudrait que ça avance plus vite, qu’il y ait, par exemple, davantage de parcours de VTT tracés et que l’hébergement suive. Pour organiser des circuits, ça reste encore très compliqué. »
La grotte Chauvet, nouvelle locomotive
Nous sommes dans le sud-Ardèche, à deux heures de route du Cheylard. Mises à part deux petites unités, toutes les usines de moulinage (textile) ont fermé il y a une dizaine d’années.
Sur les hauteurs de Vallon-Pont-d’Arc, il n’y a pour l’instant qu’une grue et quelques murs de béton au milieu de la garrigue. Début 2015, devrait ouvrir au public la réplique de la grotte Chauvet. Autrement dit, à cette date-là, les touristes seront invités à visiter « l’espace de restitution » des peintures préhistoriques découvertes dans une cavité, en 1994, à proximité du Pont d’Arc.
Le tourisme en Ardèche pourrait donc changer. Aujourd’hui, il ne tourne qu’autour des activités de nature, avec en produit d’appel, le canoë. Demain, il pourrait être culturel.
Dans les gorges de l’Ardèche actuellement, les campings se touchent et les canoës recouvrent la rivière. Le tourisme y génère 400 millions d’euros par an, essentiellement dans le sud du département. L’Ardèche détient même le record national du plus grand nombre de campings.
Mais cette activité qui ne connaît pas (trop) la crise a une grande limite : elle est saisonnière. Les campings et les restaurants sont ouverts six mois dans l’année, de Pâques à fin septembre.
D’où le projet de restitution de la grotte Chauvet. Avec ce nouveau produit d’appel, les collectivités locales (département et communes) veulent élargir les « ailes de saison » pour créer un tourisme « qualitatif », orienté culture, tout le long de l’année.
« Des touristes qui dépensent toute l’année »
Pascal Terrasse qui préside l’opération de restitution a un plan :
« Nous misons sur la grotte Chauvet. Nous ne voulons pas davantage de touristes. Nous cherchons le qualitatif : des touristes qui dépensent plus et qui viennent tout au long de l’année ».
Pour lui, le tourisme est un levier essentiel du développement économique :
« En France, on a le tourisme honteux. Or ce secteur représente 6% du PIB. Je rêve d’un président de la République qui fasse un jour un discours sur le tourisme, comme Obama a pu le faire ».
La région Rhône-Alpes et le conseil général de l’Ardèche y ont mis 15 millions d’euros sur un budget total de 50 millions.
Mais nombreux sont ceux qui se demandent si les retombées seront à la hauteur des investissements. Tatiana, gérante d’un restaurant à Vallon-Pont-d’Arc :
« Ce sera comme pour la grotte de Lascault. Il y aura des cars de vieux qui viendront de la vallée du Rhône et ils partiront aussi vite qu’ils sont venus ».
Les études projettent 300 000 visiteurs par an dont 100 000 qui viendraient spécialement pour visiter la grotte. Soit autant de personnes qu’il faudra loger dans des campings ou, en hiver et en automne, dans des hôtels. Or il manque cruellement d’hébergement de qualité en Ardèche.
Ardèche, terre de saisonniers
Depuis deux mois, Cédric expérimente la saison. A 28 ans, il est serveur dans un des principaux restaurants de Vallon-Pont-d’Arc. A son accent, on repère qu’il est plus proche de Saint-Etienne que du sud de la France. Il est du nord du département. Jusqu’à l’année dernière, il travaillait en tant qu’intérimaire « sur Annonay » :
« J’avais une bonne réputation auprès des agences. Je ne connaissais aucune difficulté pour trouver les missions ».
Mais ces quatre dernières années, tout le tissu industriel connaît des difficultés. A Annonay, chez le premier employeur d’Ardèche (1 000 salariés), Irisbus-Iveco, premier constructeur de cars et de bus, les périodes de chômages partiels et de non-recours à l’intérim se sont enchaînées. L’activité semble repartir mais pas pour Cédric l’intérimaire. Il a préféré tenter sa chance dans les saisons :
« On est payé au smic horaire mais on fait 10 à 12 heures par jour. On arrive à faire des bonnes payes. Par contre pour le logement, c’est une galère. Certains versent la moitié de leur salaire pour dormir dans un camping. Moi, j’ai commencé dans un appart’ sous les toits complètement insalubre. Heureusement, je viens de trouver une coloc’ avec une employée à la plonge ».
Le problème de Cédric est surtout de trouver un autre CDD ou alors un contrat en alternance pour une formation dans l’immobilier.
Le sud-Ardèche attire les saisonniers. 2 500 à 3 000 d’entre eux travaillent à Vallon-Pont-d’Arc, ce qui représente 26,5% de l’emploi total en Ardèche méridionale.
Tourisme en Ardèche = précarité
A la Maison de la saisonnalité, le tableau dressé par les professionnels de l’emploi est sombre. Cette antenne de la Mission locale, implantée à la lisière du bourg de Vallon-Pont-d’Arc, accompagne les jeunes dans leur recherche d’emploi saisonnier.
Son responsable Edouard Susko est limpide : saison rime avec précarité. Au mieux, on peut travailler six mois dans l’année. Et il est extrêmement difficile de trouver un autre emploi.
Outre le record du nombre de camping, l’Ardèche méridionale détient en effet le record régional du nombre de chômeurs et de personnes au RSA :
« Ici, il n’y a pas de saison d’hiver contrairement aux deux Savoie. Les Ardéchois arrivent sur ces métiers par défaut. Parce qu’il n’y a rien d’autres. Ceux qui font des études partent. Ceux et celles qui ont des enfants peuvent difficilement travailler. Il n’y a pas de système de garde d’enfants ».
Sans parler des conditions de travail. Au mois d’août, les saisonniers défilent dans leur « Maison » pour trouver des solutions à des problèmes de logement, de contrats de travail ou de harcèlement. Bixente vient du Pays Basque. Il témoigne :
« Dans le camping où je travaillais l’année dernière, la patronne nous faisait signer une sorte de contrat de travail sur une feuille vierge. On n’avait pas de copie. Du coup, elle nous menaçait en disant qu’elle pouvait mettre un terme au CDD du jour au lendemain. Le gardien du camping était également chargé de noter nos allées et venues quand on sortait le soir ».
Régulièrement, la Maison de la saisonnalité accueille des employés à qui on promet un revenu au « black » en plus du salaire de base. Mais ce « complément » ne vient pas.
Le directeur de la Mission Locale d’Ardèche Méridionale, Enrico Ridoni, met en avant les progrès réalisés par les employeurs, comme la création à leurs frais d’un « foyer pour les travailleurs saisonniers » de trente logements. Ce qui reste largement insuffisant au vu des besoins en matière de logement, de formation, de transport et de conditions de travail.
Pour lui, il faudrait « assainir la secteur » pour que le tourisme profite durablement à la population.
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