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Des « vautours prédateurs » dans les Alpes : info ou intox ?

Nouvelle passe d’armes entre écolos et agriculteurs. Depuis le début de l’été, les éleveurs alpins dénoncent des attaques de vautours sur des animaux vivants. Mais les

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défenseurs des animaux sont catégoriques : les vautours n’interviennent que sur des bêtes mortes ou sur le point de mourir. Rue89Lyon a tenté de démêler le vrai du faux.

Les vautours deviendraient-ils des prédateurs ? © Rémi Bogey

Jeudi 7 juin 2012. Ce matin-là, un éleveur de brebis à Vesc, dans la Drôme provençale, fait une macabre découverte en arrivant sur son pâturage : son troupeau a été attaqué par un prédateur durant la nuit. L’éleveur a perdu pas moins d’une dizaine de bêtes. Pour lui, les coupables sont tout trouvés : ce sont des vautours fauves qui sont à l’origine de ce carnage.

Les médias s’emparent alors de l’affaire et s’empressent d’aller interroger l’éleveur. La rumeur est lancée, alors même que les autopsies vétérinaires n’ont pas encore eu lieu.

Le service départemental de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) se rend sur place pour effectuer une série de clichés des blessures infligées aux brebis. Des photos destinées à une expertise vétérinaire menée par cinq professionnels. Dans le même temps, l’association Vautours En Baronnies (VEB) mandate un autre vétérinaire pour une contre-expertise effectuée deux jours après l’attaque. Ce dernier est formel :

« L’hypothèse de mortalité par attaque de vautours est fortement improbable : les lésions évoquent des morsures. Je ne relève pas de traces de type griffures cutanées sur les animaux. »

Et les conclusions de l’expertise dirigée par l’ONCFS vont également dans ce sens : les responsables de cette attaque ne sont pas des vautours fauves, mais des canidés (sauvages ou domestiques). Ce n’est qu’une fois mortes, ou du moins très affaiblies par les morsures qui s’infectaient, que les brebis ont été dépecées par les vautours, ces derniers jouant leur rôle habituel d’équarrisseurs.

 

Au moins quatre nouveaux cas cette année

Pourtant, l’idée de « vautours prédateurs » fait son chemin dans la tête des éleveurs alpins. Récemment, de nouvelles attaques de troupeaux ont à nouveau semé le trouble : il semblerait que les vautours interviennent de plus en plus « ante-mortem », c’est-à-dire juste avant la mort de l’animal.

  • Le 6 juillet, dans l’alpage de Montdenis en Savoie, un couple d’agriculteurs est alerté par des vététistes qui viennent de découvrir des vautours en train de dépecer une génisse, a priori en bonne santé. On découvrira par la suite que cette génisse était en fait atteinte d’entérotoxémie, une maladie du système digestif qui peut tuer un animal en une heure de temps.
  • Six jours plus tard, une génisse du même troupeau de Montdenis est dévorée par un vautour alors qu’elle est très affaiblie par une piqure de vipère. Selon le couple d’agriculteurs, cité par le Dauphiné Libéré le 16 juillet dernier, « la génisse était en train de mourir » des suites de cette piqure.
  • Autre département, autre cas : le 9 juillet à Plan-de-Bais dans le Sud Vercors, une génisse qui vient de mettre au monde un veau mort-né se retrouve paralysée du train arrière. Elle se fait alors dévorer par des vautours alors qu’elle n’est pas encore morte., une génisse qui vient de mettre au monde un veau mort-né se retrouve paralysée du train arrière. Elle se fait alors dévorer par des vautours alors qu’elle n’est pas encore morte.

Des rapaces « surprotégés » ?

Alors que dans les Pyrénées, le vautour fauve n’a jamais disparu, dans les Alpes françaises en revanche, les campagnes d’empoisonnement des loups, des ours et des lynx à la fin du 19e siècle ont conduit à une disparition du rapace. Déclaré espèce protégée en 1962, le vautour fauve a bénéficié dans les années 1970 d’un programme de réintroduction dans les Alpes.

Pour Bernard Mogenet, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Savoie, ces interventions « ante-mortem » de vautours fauves pourraient justement s’expliquer par une « surprotection » du rapace :

« Ça crée des déséquilibres évidents car les mécanismes naturels de régulation ne jouent plus leur rôle. Dans ce contexte de surpopulation des vautours fauves, il n’est donc pas rare de constater des comportements déviants. »

Une hypothèse balayée par Roger Mathieu, membre de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), qui assure qu’une surpopulation de ces rapaces est impossible :

« Les vautours fauves mettent au monde un jeune par couvée et règlent leur reproduction sur la quantité de nourriture disponible localement. Ils ne peuvent pas se développer au-delà de ce que permet cette quantité. Et en l’occurrence, de la nourriture, il y en a beaucoup dans notre région. »

 

« Théorie d’écologistes de salon » Versus « terrain » ?

La ligue précise également que le vautour fauve n’est pas équipé pour tuer. Un animal sain et en pleine possession de ses moyens laisse ces rapaces indifférents. Mais au contraire, l’immobilité totale et prolongée d’un animal alerte l’oiseau. Or, d’après les témoignages, les bêtes concernées par ces interventions de vautours étaient toutes très mal en point.

Pour Bernard Mogenet, de la FDSEA, les théories de « ces écologistes de salon » sont loin de la réalité du terrain où le « ras-le-bol des éleveurs » se fait sentir :

« Ils n’ont qu’à aller dans les alpages voir ce qu’il s’y passe. C’est facile de lire dans les livres que les vautours ne sont pas des prédateurs. Tant qu’ils seront considérés comme des charognards, les éleveurs concernés par ces attaques ne pourront pas être indemnisés pour le bétail perdu. »

En prenant pour exemple l’histoire du troupeau de Montdenis en Savoie, il assure qu’une morsure de vipère n’a jamais tué une génisse :

« Ces vautours fauves ont dévoré des animaux vivants. Même s’ils étaient affaiblis, rien ne dit qu’ils n’auraient pas pu être sauvés. »

 

Un prétexte pour « déclencher le tiroir caisse des indemnisations » ?

Et c’est bel et bien ce flou autour des circonstances de l’intervention des vautours que dénonce Rémi Bogey, chargé de mission biodiversité à la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA). Un flou qui, selon lui, alimente les rumeurs. Pour y remédier, il revendique la mise à disposition des analyses vétérinaires, afin de faire toute la lumière sur « ces soi-disant attaques » :

« Aujourd’hui, ces expertises sont très difficiles, voire même impossibles à obtenir. Et cette situation profite aux syndicats d’exploitants agricoles qui cherchent à faire passer les vautours pour des prédateurs afin de déclencher le tiroir caisse des indemnisations. »

Pour mettre un terme à la polémique, la FRAPNA et la LPO ont envoyé le 10 juillet dernier un courrier au préfet de la région Rhône-Alpes. Ces associations appellent à la mise en œuvre d’expertises vétérinaires indépendantes en cas de doutes manifestés par l’éleveur et demandent que leurs résultats soient rendus publics.

 

 


#Agriculture

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