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Journaliste, je suis entré au centre de rétention de Lyon

La présence des journalistes est rarissime à l’intérieur des centres de rétention administrative. Pour la première fois depuis le lancement d’une campagne demandant le libre accès pour la presse à ces lieux d’enfermement, deux journalistes ont pu passer les grilles d’un de ces lieux d’enfermement. C’était le centre de Lyon.

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L'entrée de l'ancien centre de rétention administrative CRA de Lyon Saint-Exupéry. ©LB/Rue89Lyon

Ni mirador, ni murs d’enceinte mais deux grillages surmontés de barbelés. Voilà jusqu’à présent ce que les journalistes voyaient du centre de rétention administrative (CRA) de Lyon, en bout de pistes de l’aéroport Saint-Exupéry.

Comme ailleurs en France, les demandes de visite formulées par des médias étaient systématiquement rejetées, sans plus d’explication. Seuls les parlementaires ont accès régulièrement à ces centres où transitent chaque année plusieurs milliers d’étrangers en situations irrégulières avant une possible expulsion.
Mais les grilles seraient en train de s’ouvrir. Il y a un an, un collectif d’associations lançait la campagne « open access now » pour demander le libre accès des CRA aux journalistes et aux militants associatifs. Mais aucun n’avait pu y pénétrer. L’attitude du ministère de l’Intérieur semble bouger puisque Manuel Valls a annoncé qu’une future loi prévoira un droit d’accès pour la presse.

Dans le cadre d’une deuxième vague de visites « open access », la députée européenne (PS) Sylvie Guillaume a tenté le coup d’une visite avec la presse. Cette fois-ci, le ministère de l’Intérieur a accepté. Rue89Lyon et l’AFP ont donc pu passer, ce mardi, de l’autre côté des grillages, avec l’eurodéputée Front de gauche, Marie-Christine Vergiat, également de la partie. Reportage.

 

 L’entrée du centre de rétention de Lyon. Photo : Laurent Burlet / Rue89Lyon

 

Deux grillages pour empêcher les « fuites »

A 9h30, la première grille s’ouvre sur le parking. Nous garons notre voiture. Puis la deuxième grille s’ouvre sur une première cour à laquelle n’a accès que la centaine d’employés (essentiellement 108 policiers de la PAF – Police aux frontières). Le commandant Charles Purchla, directeur du CRA de Lyon,  nous accueille avec, pour tout contrôle, la présentation de notre carte de presse.
D’emblée, il indique ce que nous pouvons faire et ne pas faire :

  • Nous devons coller aux basques des parlementaires.
  • Photos, vidéos, enregistrements audio sont interdits.

Ordre de la direction de la PAF, nous explique-t-il, même s’il déclare trouver cela contre-productif :

« A force de tout maintenir fermé, les gens pensent que nous avons quelque chose à cacher ».

S’en suit un entretien d’une heure avec le commandant dans son bureau. Entre le portrait officiel de François Hollande et une publicité encadrée pour l’aéroport de Lyon, sur laquelle on peut lire cette phrase empruntée à Antoine de Saint-Exupéry : « La grandeur d’un métier est d’unir les hommes ».

Le métier du commandant, justement, est de « mettre en œuvre la mission le mieux possible ». Soit expulser les étrangers en situation irrégulière. Ce qui, en chiffre, se traduit par plus de 1500 personnes retenues en 2012 au CRA de Lyon. 53% étant, au final, expulsées. Pardon, il faut dire « éloignées ».

Car ici, le vocabulaire est sensible. Juridiquement, les personnes ne sont pas détenues mais sous le coup d’une mesure administrative de « rétention ». Donc les « retenus » ne s’évadent pas, ils « fuient ». Et quand il fuient (deux cas en 2012), ce n’est pas du CRA. La méthode est différente : lorsque les retenus sont amenés au consulat de leur pays supposé pour obtenir un laissez-passer, ils essayent alors de fausser compagnie à leur escorte.

 

Partout des caméras, sauf dans les chambres

Le commandant, flanqué de trois fonctionnaires, commence la visite du CRA. Elle démarre par le poste de contrôle des policiers. Une sorte de salle de pilotage des expulsions. Au mur, un énorme tableau blanc de plusieurs mètres de long indique le nom des 53 personnes actuellement retenues, avec des sigles indiquant où en est leur situation. Et en face, on trouve quelque fois des mentions en rouge : « provocateur » ou « violences ».

Le poste de sécurité jouxte ce poste de contrôle. Les policiers ont les yeux rivés sur les écrans de contrôle. Les caméras sont partout, sauf dans les chambres.

Le commandant profite de l’heure quotidienne de ménage pour nous montrer d’abord quatre pièces borgnes au crépi blanc, avec cinq chaises en plastique pour tout mobilier. Ce sont les « salles de visite ». Ne dites pas « parloir », ça fait prison. Ici, toute personne est censée pouvoir venir rendre visite à un retenu, sans restriction.

Les chambres où vivent les migrants ont toutes été refaites après l’incendie volontaire de juillet 2011. Quatre lits superposés composent une pièce carrelée de 12 m2. Dans l’angle d’un mur, on a suspendue la télévision à écran plat (une par chambre). Le téléviseur est, sûrement, la dernière trace de ce qui fut, avant de devenir un CRA en 1995, un hôtel Formule 1. La salle de bain (une par chambre) ne fait, en revanche, pas franchement penser au confort d’un hôtel. Le mobilier est celui des prisons actuelles : cuvette de toilettes, lavabo d’angle en inox et douche à l’italienne.

Les retenus, explique le commandant, sont affectés dans l’une des trois ailes du « U » que forme le CRA de Lyon. Une partie d’une aile est réservée aux femmes seules et aux enfants. Ce mardi, on compte 51 hommes et deux femmes. Le centre étant occupé en moyenne à 50 % de ses capacités (108 places) :

« Depuis l’incendie, les chambres ne sont plus fermées à clé. Donc ils circulent comme ils veulent. Certains changent de chambre ».

 

 

Circulation libre au milieu d’une cage

Cette liberté de circulation est certainement ce qui étonne le plus. Les migrants peuvent se rendre, sans escorte policière, à l’unité médicale ou dans les bureaux de l’association Forum Réfugiés, chargée de défendre leurs droits. Ils peuvent également se rendre « librement » dans les bureaux l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) pour y acheter des cigarettes ou des cartes téléphoniques pour l’une des huit cabines disposées dans la cour. Tous ces locaux donnent sur une cour mi-herbe jaune, mi-béton gris d’environ 1000 mètres carrés, séparée en trois par d’immenses grilles de six mètres de haut.

« En cas de tensions, on peut séparer les retenus par communauté, même si on ne le fait pas», précise le commandant.

Parfois, poursuit-il, des bagarres peuvent se déclencher pour « un regard » ou des « insultes » au réfectoire (lieu que nous ne verrons pas). Les retenus sont alors conduits dans une « chambre d’isolement » ou « chambre de mise à l’écart » (que nous ne verrons pas non plus). Ils sont enfermés dans cette pièce mais recevraient la visite régulière du personnel médical et de la police qui les surveille également avec une caméra.

Ce mardi matin, tout a l’air calme. « C’est le Ramadan, ils se reposent ».

Un homme est allongé sur une couverture. Mais la plupart des retenus, une vingtaine d’hommes et une femme, ont l’air de tourner dans la cour, sans but.

« On leur donne des ballons en mousse, des jeux de carte ou de dame. Mais les activités sont limitées », reconnaît le fonctionnaire de l’OFII.

Mais en dehors de ça, de trois tables de ping-pong et de deux baby-foot, les retenus n’ont rien à faire.

 

Un centre de rétention administrative modèle ?

Après les chambres, la délégation se rend à l’unité médicale et au bureau de Forum Réfugiés. Le médecin, comme les juristes, met en avant un CRA où les tensions existent mais où les mouvements collectifs de protestation, type grèves de la faim, sont quasi inexistants.
Le fait de pouvoir circuler à l’intérieur des grilles serait un facteur essentiel.

Les « réunions régulières » entre la police et les différents intervenants permettraient également de fonctionner « dans une bonne entente » et de trouver des améliorations à la vie quotidienne.

Marie-Christine Vergiat, l’eurodéputée Front de gauche, compare avec la situation du CRA de Marseille :

« Les retenus doivent être escortés pour voir Forum Réfugiés ou le médecin et également pour se rendre à une salle de visite. Et très souvent, il n’y a pas assez de policiers pour assurer ces escortes. Ça crée des tensions ».

L’eurodéputée socialiste Sylvie Guillaume en conclut que le bon fonctionnement d’un centre est en grande partie lié au pouvoir discrétionnaire de son directeur qui, ici, est favorable au dialogue avec les associations et à une certaine liberté de mouvement (voir son interview accordé à France 3 à la sortie de la visite).

A entendre la députée européenne socialiste, le centre de rétention de Lyon pourrait même servir de référence. Ceci explique peut-être pourquoi la présence des journalistes à été acceptée.

 

« Pourquoi je suis enfermé alors que je rentrais chez moi »

Retour dans la cour. Le commandant du centre accepte que l’on parle rapidement avec les personnes retenues présentes. Mais toujours en présence des eurodéputées, précise-t-il. Avec, également, quatre policiers dans notre dos. De fait, toutes nos questions sur les conditions de rétention seront éludées par nos interlocuteurs.

La première personne qui accepte de nous parler est un Roumain d’une quarantaine d’année à la fine moustache. Il est enfermé au CRA depuis hier. Il nous montre son billet de car Eurolines Amsterdam-Torino :

« Je voulais rentrer chez moi en Italie. Je ne pensais pas que le car s’arrêtait en France. En 2004, j’ai pris 10 ans d’interdiction de séjour. Je savais que je ne devais pas séjourner en France. Je veux seulement rentrer chez moi, à Turin ».

Un autre Tunisien nous dit la même chose. Il allait en Italie quand il s’est fait arrêter à Vienne (Isère). Il n’a rien pour appuyer ses dires.

Les juristes de Forum Réfugiés voient se multiplier ce genre de cas, qui flirtent avec l’absurde : des personnes qui sont en train de quitter la France, qui sont arrêtées et conduites en rétention pour être expulsées du territoire.

Un troisième homme d’une vingtaine d’années explique qu’il est algérien et non pas tunisien. Il le dit fort et le répète à l’envi, pour que la policière en civil de l’« Unité d’identification » (qui se trouve dans notre dos) l’entende. Autrefois appelé DEFI puis CAEL, ces policiers cherchent à faire de la « médiation ». Dénoncée à sa création par la Cimade, cette unité a pour rôle d’observer les retenus pour déterminer de quelle nationalité sont ceux qui n’ont plus de passeport. L’objectif étant ensuite de les conduire au consulat pour obtenir un laissez-passer permettant l’expulsion.

 

Automutilations et scarifications

« Les retenus développent des troubles réactionnels. On constate également des dépressions ou des maladies psychiatriques. Nous en faisons hospitaliser certains ».

Encore une fois, le médecin et le commandant du CRA tombent d’accord : les personnes retenues souffrent plus d’être en instance d’expulsion que de l’enfermement. « Ce sont des situations de détresse », reconnaît-il, précisant :

« Les automutilations, surtout des scarifications, ont lieu en journée, suite à l’annonce de mauvaises nouvelles ».

Et les mauvaises nouvelles, elles sont nombreuses, racontent les juristes de Forum Réfugiés. Faire valoir ses droits est complexe. Depuis la loi de juillet 2011, les retenus ne passent devant le juge des libertés (JLD) qu’au bout de cinq jours. Julian Karagueuzian de Forum Réfugiés :

« Certains sont expulsés sans être passés par le juge censé contrôler la légalité de la privation de liberté ».

En outre les recours devant le tribunal administratif doivent être fait en 48 heures, à compter de la notification de l’OQTF (obligation de quitter le territoire français) à l’étranger. Bref, les juristes de Forum Réfugiés et les avocats du barreau de Lyon courent perpétuellement contre la montre pour rassembler un maximum de pièces. Sans parler de ceux qui font une demande d’asile. Elle doit être bouclée en cinq jours (au lieu de plusieurs mois en liberté). Surtout, l’entretien avec l’officier de l’OFPRA (administration en charge d’accorder ou non l’asile) se fait en visioconférence :

« L’interprète est à Paris, à côté de l’officier. Il est déjà difficile de raconter son histoire. Mais là, les demandeurs d’asile n’ont aucune confiance ».

Par conséquent, les demandes d’asile aboutissent très rarement.

Mais l’une des pires situations, même si elles ne représentent qu’environ 10% des cas, concernent les personnes qui ne peuvent pas faire de recours suspensif devant le tribunal administratif. Ce sont ceux qui font l’objet d’une procédure de réadmission dans un autre pays de l’Union européenne (en majorité procédure dite « Dublin II »). Christelle Palluel de Forum Réfugiés poursuit :

« On a eu des cas où l’audience était prévue pour 10 heures le lendemain. Mais, dans la soirée elle, était finalement annulée car un avion était prévu pour 6 heures. »

 

Pas d’enfants en rétention… sauf exception

Dans l’unité médicale, on aperçoit livres et jouets pour les enfants. Ce n’est pas encore à ranger parmi les souvenirs. Depuis une circulaire du 6 juillet 2012, la règle est que les familles doivent être assignées à résidence et non placées en rétention. Depuis cette date, une seule famille a été enfermée au CRA de Lyon. C’était la semaine dernière. Un couple serbe avec deux enfants en bas âge. Le juge a finalement cassé la décision du préfet en les assignant à résidence.

Depuis la réforme de 2011, les chiffres sont stables, tant au niveau des migrants enfermés que de ceux qui sont expulsés. Sur les 1500 à 1600 personnes qui sont enfermées par an, 53% sont finalement « éloignées ». Essentiellement parce que les juges libèrent ou prononcent une assignation à résidence. Mais aussi parce que les personnes arrivent au terme de la période de rétention (portée à 45 jours en 2011).
En 2013, les ressortissants tunisiens sont toujours la nationalité majoritaire. Ils représentent 20% des personnes. Suivis par les Algériens (12% des placements) puis viennent les Albanais et les Marocains.

La durée moyenne de séjour (15 jours en 2012) est supérieure à la moyenne nationale (9,7 jours en 2011).
C’est aussi la conséquence des stratégies des préfectures, explique le commandant du CRA :

« Quand ce sont des cas faciles (comprendre « facilement expulsables », ndlr), certaines préfectures de la région préfèrent envoyer des personnes dans le CRA de Nîmes car à Lyon, il y a une bonne défense des personnes retenues ».

L’absence (sauf exception) de l’enfermement des enfants est le seul changement majeur depuis l’élection de François Hollande. Un deuxième va peut être s’ajouter : la présence des journalistes dans les centres de rétention. Reste à savoir s’ils pourront s’y aventurer sans escorte et plus d’une demi journée.

 

 

 

 


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