Marie-Pierre Rinn est bénévole à l’Espace du souffle de Tours (région Centre), cette association qui aide les asthmatiques et autres personnes souffrant de maladies respiratoires. Dans son bureau, on trouve des croquis des poumons, différents modèles de nébuliseurs de ventoline, un appareil capable de mesurer le souffle, et des dizaines de dépliants. Régulièrement, elle reçoit des patients « en consultation individuelle » et organise des ateliers de groupes avec des exercices physiques adaptés.
Et pourtant cette quinquagénaire n’est pas pneumologue. Elle n’a même jamais suivi de formation médicale. Toute son expérience, elle la doit au fait qu’elle soit elle-même asthmatique, et qu’elle ait soigné son fils pour des pathologies plus graves. Plus de quinze ans plus tard, cette bénévole a su dépasser son cas personnel pour informer le plus grand nombre, et accepte volontiers le statut de patient-expert, qui n’a encore aujourd’hui aucune définition officielle.
L’implication des patients bloque à Lyon
Depuis 2009, chaque hôpital doit proposer à ceux qui souffrent de maladies chroniques des séances d’éducation thérapeutique du patient (ETP). En plus d’un suivi personnalisé, médecins, infirmières et psychologues dispensent plusieurs fois par an des ateliers collectifs pour aider les patients à mieux vivre leur maladie.
L’intégration des patients-experts, plus développée dans des pays nord-américains, est apparue tardivement en France. Aujourd’hui, la majorité des médecins s’accorde à dire qu’impliquer davantage les patients serait bénéfique. En théorie du moins. Car dans les hôpitaux, les séances d’ETP qui font intervenir des patients-experts restent une petite minorité.
Dans la métropole lyonnaise, le constat est plus sévère : aucun patient-expert, à notre connaissance. Comment expliquer un tel retard ? Arnaud Donjon, ergothérapeute à l’hôpital Lyon Sud, affirme que ce n’est pas un blocage de la part de l’équipe médicale :
« Nous voulions intégrer des patients-experts dans notre équipe, mais cela n’a pas pu se faire parce qu’il n’y avait pas assez de candidats volontaires. C’est un travail bénévole, qui demande du temps et d’être formé. Peut-être que cela se fera prochainement. Ce serait positif.»
Proportionnellement à sa taille, Lyon compte un nombre assez restreint d’associations de malades chroniques. Et quand une association implantée sur tout l’hexagone dispose d’une délégation lyonnaise, cette dernière dispose rarement de locaux propres et de permanences régulières.
Par exemple la délégation rhodanienne de l’Andar (l’association nationale de défense contre la polyarthrite rhumatoïde) ne compte qu’une seule bénévole active : Marie-Thérèse Baptiste. Aussi, malgré toute la bonne volonté de cette retraitée, impossible d’être sur tous les fronts : représentation auprès des institutions ou lors de colloques, conférences pour sensibiliser le grand public, réunions pour informer les malades,…
« J’étais parvenue à avoir une petite salle de l’hôpital pour recevoir des malades, les soutenir et les guider si possible. Mais c’était difficile de trouver un créneau qui convienne à tout le monde. En deux ans, je n’ai vu qu’une poignée de personnes… » soupire Marie-Thérèse Baptiste, qui espère pouvoir relancer de nouveaux projets à l’automne prochain.
Sur les plates bandes des médecins
Mais la raison principale de ce blocage français reste les réticences des médecins. Le chef du service néphrologie de l’hôpital Lyon Sud, le professeur Maurice Laville, organise la formation de professionnels de sant é à l’éducation thérapeutique. Mais il ne lui serait jamais venu à l’idée d’intégrer des patients parmi ses élèves.
« Je ne vois pas à quoi cela pourrait leur servir, déclare-t-il. Cela n’aurait aucun intérêt. Et cette formation de 150 heures serait trop lourde pour des personnes malades, qui se fatiguent vite. »
Elodie Basset, patiente-experte atteinte d’une rectocolite hémorragique (RCH), une maladie inflammatoire chronique intestinale, intervient aujourd’hui beaucoup au CHU de Nantes mais elle a eu du mal à convaincre les médecins de sa légitimité :
« Ils ont fait quinze ans d’études, ils se sont sacrifiés. Et nous on arrive, et ce n’est pas qu’on en sait plus qu’eux mais presque. C’est normal que certains se braquent. Mais en fait ce n’est pas ça être patient-expert. Ce n’est pas être en compétition avec le médecin. C’est apporter une autre vision des choses, pour travailler ensemble. »
Deux patientes-expertes « super motivées » au CHU de Grenoble
Dès 2011, l’Andar s’est rapproché de quatre CHU « pilotes » pour étudier l’insertion de patients-experts dans les services de rhumatologie. Parmi eux, Grenoble. Depuis la fin de leur formation, deux patientes-expertes, Anne Ley N’Gardigal et Colette Pedrono, cherchent à apporter une plus-value aux séances d’ETP. Aujourd’hui, comme le confirme Dr Laurent Grange, elles sont totalement intégrées à l’équipe médicale :
« Le premier jour, nous leur avons présenté les séances d’ETP que nous dispensions habituellement et elles nous donner leur avis. Selon elles, il fallait donner plus de conseils sur comment gérer sa fatigue. De là, elles ont monté ensemble un atelier collectif d’une heure sur ce thème. On a eu de très bonnes réactions de la part des patients suivis. Les patientes-expertes, elles, étaient super motivées. Depuis, elles ne cessent de s’impliquer d’avantage dans nos séances. Elles nous ont même récemment demandé de faire des entretiens individuels. Cela ne va pas de soit parce que poser un diagnostic est un domaine encore traditionnellement réserver aux médecins, mais c’est envisageable. »
La première promotion des patientes-expertes formées par l’association Andar en 2011. Photo : Andar
Si la coopération fonctionne bien aujourd’hui, elle n’allait pas de soit à l’arrivée des deux femmes :
« Dans certains hôpitaux, les patients experts ont été intégrés dès la création du programme d’ETP. Mais dans notre service, elles ont dû s’insérer dans un programme qui marchait déjà, et qui marchait bien. Plusieurs éducateurs l’ont vécu comme une remise en cause de leur travail. Pour ma part, j’étais surtout réticent à l’idée de leur communiquer des informations soumises au secret médical. »
Quelques formations pour patients-experts voient le jour
Il est difficile de chiffrer actuellement le nombre de patients-experts en France ; probablement entre 100 et 200. En 2007, une université des patients a vu le jour à Paris 6 : elle propose aux malades chroniques des formations courtes de 40h, un diplôme universitaires, et pour les plus motivés un master en éducation thérapeutique.
A l’heure actuelle, 75 patients-experts ont été diplômés là-bas. Une autre université des patients va ouvrir à la rentrée prochaine à Marseille.
Confortée par de très bons bilans, l’Andar continue de former des personnes atteintes d’arthrite rhumatoïde :
« Nous sommes maintenant continuellement sollicités par des hôpitaux pour que des patients-experts intègrent leurs services rhumatologie, affirme Sonia Tropé, directrice nationale de l’Andar. Nous prévoyons de former 16 nouveaux malades, qui devraient s’intégrer à des équipes d’ETP dans 8 nouvelles villes l’an prochain. »
D’autres associations de patients, notamment l’Association française des diabétiques (AFB), et celles des hémophiles (AFH) développent également des programmes de formation à l’éducation thérapeutique, mais leurs membres n’intègrent pas (encore) les équipes médicales.
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