Depuis une dizaine d’années, se marier avec une personne étrangère est devenu un véritable parcours du combattant. Surtout si l’une des personnes est immigrée et en situation irrégulière.
Au nom de la lutte contre l’immigration clandestine, la lutte contre les mariages « blancs » (les mariages contractés aux seules fins d’obtenir un titre de séjour) a été érigée au rang de cause nationale. Certaines mairies appliquent donc avec zèle les consignes, quitte à aller au-delà de la loi. Dans le Grand Lyon, certaines mairies sont réputées pour cela.
« Obligée de faire le signalement »
Florence (prénom d’emprunt) habite Pierre-Bénite. Il y a trois ans, elle a rencontré un Algérien. Il était sans-papiers. Quelques mois plus tard, ils ont décidé de se marier. Elle a donc déposé un dossier à la mairie de son domicile. Elle raconte :
« L’officier d’état civil nous a expliqué qu’il devait signaler notre dossier au procureur de la République car mon futur conjoint était en situation irrégulière. J’ai appelé une dame à la mairie qui m’ a expliqué que c’était la loi et qu’elle était obligée de le faire, mais que dans toute sa carrière elle n’a jamais eu de problème avec les couples parce que le procureur ne donnait jamais une suite défavorable ».
Par chance, le procureur a effectivement classé le dossier. Son futur époux n’a pas eu droit à une convocation à la police. Ils ont pu se marier. Mais ce que la fonctionnaire ne semblait pas savoir, c’est que son systématisme ne s’inscrit pas dans la loi.
Mourad Zouine, avocat au barreau de Lyon, est membre du collectif des Amoureux au ban public qui soutient les couples mixtes dans leurs démarches. Il pointe les mauvaises pratiques répandues dans nombre de mairies et souligne les risques encourus par la personne en situation irrégulière :
« Statistiquement, il y a une chance sur deux pour que l’enquête diligentée par le procureur conduise à l’interpellation de la personne en situation irrégulière et à son expulsion ».
L’UMP Caluire ou encore la communiste Pierre-Bénite
La mairie communiste de Pierre-Bénite comme celle de Caluire (UMP) font parties de ces communes réputées pour leurs mauvaises pratiques. Une liste bien sûr non-exhaustive, souligne le collectif des Amoureux au ban public, puisque cela dépend des remontées des couples qui rencontrent des difficultés pour se marier.
Les mairies peuvent faire un signalement au procureur uniquement s’il y a des « indices sérieux » laissant présager un mariage gris ou blanc.
Mais dans le cas des communes de Pierre-Bénite et de Caluire, les services de l’état civil signalent systématiquement les personnes en situation irrégulière au procureur de la République.
Dans les deux cas, un porte-parole de la mairie nous l’a confirmé, comme à Pierre-Bénite :
« Les personnes en situation irrégulière et souhaitant se marier sont, après les en avoir informées, signalées au parquet. Ceci est une obligation imposée par la loi. »
A l’appui de cette « obligation imposée par la loi », ces mairies avancent l’article 40 du Code de procédure pénale qui stipule que tout fonctionnaire doit dénoncer une infraction. Cette obligation est même, disent-ils, rapportée dans l’IGREC (le document qui regroupe l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires en matière d’état civil). Problème, ce texte n’a pas été actualisé depuis 2002 et devrait enfin l’être en 2013.
Surtout, le séjour irrégulier n’est plus une infraction. Le délit de séjour régulier a été supprimé par la loi du 31 décembre 2012. Une circulaire du ministre de l’intérieur du 18 janvier 2013 le précise.
L’ignorance ou la discrimination des mairies
Signaler abusivement un délit qui n’en est pas un pourrait même valoir des poursuites aux municipalités, selon l’avocat Mourad Zouine :
« Déjà avant la loi de décembre 2012, le signalement systématique au procureur au seul motif que le ou la futur(e) marié(e) est en situation irrégulière portait atteinte à la liberté du mariage comme l’avait souligné le conseil constitutionnel. Aujourd’hui, ce signalement systématique pourrait être considéré comme une infraction pénale et comme une discrimination ».
Ces mairies épinglées ne sont donc pas au fait de la loi. A leur décharge, le corpus législatif est très complexe et mouvant en matière de droit des étrangers. Mais, selon Mourad Zouine , ces municipalités ne semblent pas très intéressées, non plus, pour combler leurs lacunes :
« En 2012, nous avons invité toutes les mairies du Grand Lyon pour parler de leurs pratiques et les informer. Seules les communes de Saint Priest, de Saint Fons et le 7e arrondissement de Lyon sont venus ».
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