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The Walking Dead, série morte vivante

Alors que vient de s’achever la troisième saison du plus grand succès de la télé câblée américaine, il est temps d’arrêter de se mentir : The Walking Dead n’a pas d’âme. Le comble pour une série peuplée de zombies…

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Saison 1 : la menace fantôme

Le pilote donnait pourtant confiance. D’une fidélité exemplaire aux comics originaux de Robert Kirkman, et dans le même temps empreint des sursauts humanistes du producteur / réalisateur / showrunner Frank Darabont, ce galop d’essai avait pour lui rythme, efficacité, sans oublier, of course, des épanchements gore inédits dans une série. En un mot, The Walking Dead avait tout de l’excellente surprise, dont le sort alors incertain a sans doute précipité le culte précoce.

Car, et c’est sans doute l’une des principales sources du problème, The Walking Dead est une production de la chaîne AMC, grande spécialiste des aléas de production gérés au bazooka. Le truc d’AMC, c’est de se lancer dans des projets extrêmement coûteux, de bien foutre la pression sur les équipes, et de les tuer dans l’œuf si le retour sur investissement tarde un peu trop – Mad Men et Breaking Bad, les deux étendards internationaux de la chaîne, ont ainsi failli être annulés à de multiples reprises, et doivent une grande partie de leur salut au soutien inconditionnel de la critique et du public.

Ces deux séries sont en outre portées par leurs créateurs respectifs, Matthew Weiner et Vince Gilligan, deux capitaines de navire au cap artistique bien affirmé, sûrs de leur récit et de leurs personnages. Tout talentueux soit-il, Frank Darabont n’a pas du tout le même rapport avec sa création, d’autant que sur le papier, le cas The Walking Dead est quand même sacrément tortueux : victime de son succès, l’intrigue des comics s’allonge artificiellement, se répète incessamment et se replie, de fait, sur la composition de son atmosphère de fin du monde. Le noir et blanc poisseux y sublime le désespoir de ses personnages, les pages horrifiques proposent d’infinies nuances de terreur dans les regards, font dériver la folie des protagonistes vers le pur cauchemar.

Le souci n’est pas tant dans les nombreuses libertés avec le matériau de base que dans les partis pris pour le moins contestables adoptés par Frank Darabont et perpétués par la suite. Entre deux démastiquages de zombies, le principe est de multiplier les dialogues entre des personnages que-tout-sépare, mais que l’apocalypse a rapproché – c’est du moins l’idée. Dans la pratique, cela donne des scènes interminables, mal dialoguées, ne menant généralement nulle part. Voir pour s’en convaincre le season finale, une pure invention des scénaristes prolongeant intelligemment le comic, mais exécutée avec les pieds en termes d’efficacité dramatique.

Saison 2 : l’attaque des clones

Premier choc : sous des prétextes totalement fallacieux, Frank Darabont vire toute son équipe de scénaristes. Quelques mois plus tard, deuxième choc : pour des raisons encore plus mensongères, Darabont est « remercié » par AMC et remplacé par Glen Mazzara, vétéran bonne pâte, a priori beaucoup plus réceptif aux mémos régulièrement envoyés par la maison mère.

Quand une série perd son géniteur en cours de route, les troubles d’identité affleurent de tous les côtés, et les responsables aux manettes écopent du mieux qu’ils le peuvent. Dans le genre, le cas d’école reste Dexter : à force d’être remaniée de fond en comble, la team de production est incapable de maintenir un cap, et se retrouve obligée de répéter la même formule ad nauseam, au détriment de toute cohérence et de toute la construction dramatique construite au fil des saisons.

Non seulement la nouvelle fournée de The Walking Dead dévoile ces symptômes de façon de plus en plus envahissante, mais elle souffre en plus du syndrome dit de « la saison 2 de Lost » : puisqu’on ne sait absolument pas combien de temps il nous reste à l’antenne, on étire l’intrigue de plusieurs digressions parfaitement inutiles, on retarde les climax le plus possible, on surexploite le pendant soap opera du show avec tous les marivaudages imaginables et des palabres sans fin sur la vie, la mort, la société, les zombies et Dieu dans tout ça. Un internaute a magnifiquement résumé cette soupe structurelle :

Faute d’un prolongement logique avec les six premiers épisodes, l’évolution des personnages se fait à la truelle. L’arc narratif majeur de la saison, le sauvetage d’une petite fille, est résolu de manière grotesque, pour ne pas dire insultante (« Ah bah en fait elle est morte » / « Ah merde » / « Et oui » / « Bon, bah… »). N’oublions pas, dans le season finale, cette scène magnifiquement absurde avec le patriarche Hershel et son fusil à pompe magique.

Saison 3 : un nouvel espoir

Miracle : Glen Mazzara est toujours à bord, malgré les insistantes rumeurs de dissension avec Robert Kirkman. Conscient des énormes limites de la précédente saison, le showrunner se replie stratégiquement sur l’intrigue du comic, en faisant notamment apparaître deux personnages clés : l’impitoyable guerrière Michonne, et surtout, surtout, le Gouverneur. Le fils de pute par excellence, un psychopathe incontrôlable luttant de toutes ses forces pour camper la meilleure représentation du mal incarné, toujours bien placé dans le classements des pires bad guys de tous les temps.

Pour tenir ce rôle ô combien iconique, le choix s’est porté sur David Morrissey. Vous l’avez sans doute déjà vu sans retenir son nom : normal, ce type est une surface plane. Dans des projets solides, bien écrits et réalisés (les séries britanniques State of Play et Blackpool, par exemple), le comédien peut aisément surprendre son monde jusque dans ses élans cabotins. Mais quand Morrissey cachetonne dans des produits vulgairement dégrossis (Basic Instinct 2, pour ne pas le nommer), il est comme Ben Affleck dans A la merveille : au mieux absent, au pire complètement largué. Ici, sa performance est ambivalente : il en fait des caisses, ce qui s’avère plutôt jouissif, mais les scénaristes donnent l’impression de ne jamais assumer la radicalité du personnage, à qui l’on invente une histoire d’amour (!!!) et des circonstances atténuantes.

Passé cet écueil ô combien prévisible, la première partie de saison étonne. Plus crue, plus glauque, plus introspective et beaucoup mieux écrite, cette livraison rassure et remet presque The Walking Dead sur les bons rails : on a là une série authentiquement horrifique, et non un soap zébré de scènes gore. En gage de bonne volonté, le pire personnage du show disparaît.

C’était compter sans les vieux démons de la série. Après l’énorme montée du huitième épisode, la reprise expédie tous les enjeux en cours, avant de diluer méthodiquement l’intrigue et de céder une nouvelle fois aux joies de la parlotte interminable. En termes dramatiques, le récit revient quasiment au même endroit que le cliffhanger de mi-saison, ce qui relève tout de même du bon foutage de gueule des familles. Histoire d’en rajouter une couche, AMC « remercie » Glen Mazzara, malgré l’invraisemblable succès du show.

En l’état, The Walking Dead est un produit beaucoup trop bâtard pour raconter quoi que ce soit. Sous le joug du diktat incohérent des décideurs de la chaîne, la série donne l’impression de ne jamais savoir où elle va, ni pourquoi. Elle n’ajoute rien, si ce n’est peut-être d’excellents maquillages et effets spéciaux, à la mythologie toute cinématographique du mort-vivant, alors que le plus grand avantage d’une création télévisuelle est de pouvoir prendre le temps d’élaborer une atmosphère, de faire évoluer les conflits dans un cadre plus souple, quasi romanesque. Ici, les différents membres du casting disparaissent sans qu’on ne s’en émeuve. The Walking Dead n’est que l’exécution froide et mécanique de son cahier des charges, un produit sans aucune identité d’écriture ou de mise en scène. Artistiquement, la série n’existe pas vraiment.


#AMC

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