Légende : image tirée du film « Il est génial Papy ! » de Michel Drach, avec Guy Bedos.
Avec les moyens de communication et le contexte de crise, les usagers seraient plus nombreux à contourner le système de billetterie des réseaux. De quoi relancer le débat sur le financement des transports collectifs (TC) à l’heure de la métropolisation de l’agglomération lyonnaise.
La crise n’épargne pas les transports publics. Leur gestion est marquée par un contexte budgétaire tendu. En 2012, de nombreux réseaux ont enregistré une baisse des recettes liée à l’essoufflement de la fréquentation, du versement des entreprises et des subventions publiques.
Qui paie ? Un vrai cercle vicieux
En réponse, certaines villes augmentent le prix de la tarification. A Lyon, c’est ce qui s’est passé au début de l’année 2013 (le ticket est passé à 1,70 € au lieu de 1,60€ : les abonnements ont été également augmentés). Du côté des usagers, la précarité croissante pousse de nombreuses personnes à contourner le système marchand des transports en commun. L’augmentation des prix renforce ce comportement et entretient le mécontentement.
Précarité + mécontentement = cocktail idéal pour que certains usagers organisent une contestation plus générale du système… Passant par la fraude. En réponse, on revient à ce que le Sytral augmente les amendes, les tarifs des TC, puis stigmatise les « fraudeurs » à travers des campagnes de communication.
Le premier message du Sytral consiste à dire, à juste titre, que l’usager ne paye finalement que 23 % de son déplacement (la vente de titres de transport s’élève à environ 200 millions d’euros).
Le deuxième message vise à communiquer sur le coût estimé de la fraude en stigmatisant le mauvais comportement de ces usagers : 10 à 20 millions d’euros par an. Ce que le Sytral dit moins est que ces 10 à 20 millions correspondent en grande partie à la somme allouée pour lutter contre les fraudeurs. Quelles sont les dépenses du Sytral pour que l’usager paye effectivement son voyage ?
Le coût élevé de la lutte anti-fraude
En 2009, le Sytral a communiqué le coût de l’ensemble de la billettique, estimé à 11 millions d’euros par an. Ce chiffre correspond à la distribution des billets (6 millions) et au contrôle (5 millions). A cela s’ajoute les 45 millions d’euros investis en 2005-2006 pour installer les portillons automatiques.
Encore faudrait-il aussi ajouter l’entretien de ces portillons et l’équipement des bus pour faire monter les usagers par l’avant. Enfin, des campagnes de communication viennent gonfler l’enveloppe globale.
Mais pour combien de fraudeurs au juste ? Les seuls chiffres vérifiables sont ceux des amendes comptabilisées par les contrôleurs, donc un échantillon peu représentatif. Quelle efficacité réelle de cette lutte contre la fraude ?
Appli et autres innovations sociales pour frauder
Les techniques des « passagers clandestins » se sont profondément transformées ces dernières années, rendant le contrôle et la stigmatisation de plus en plus inefficace. Outre les techniques classiques consistant à passer à plusieurs derrière une personne validant son ticket ou l’utilisation d’un ticket laissé sur les bornes par les usagers solidaires de la fraude, les nouveaux moyens de communication ont lancé d’autres pratiques.
Un sticker collé dans une rame de métro, encourageant au partage (interdit) du ticket valable une heure dans les TCL lyonnais.
Certaines applications pour smartphones recensent les points de contrôle. Surtout, des comptes Tweeter signalent en temps réel la présence des contrôleurs sur les lignes. L’usager peut donc être averti pendant son trajet et contourner les points de contrôle à l’aide de son téléphone portable.
L’innovation est également sociale. Depuis le début des années 2000, des collectifs « mutuelle des fraudeurs » se sont constitués dans de nombreuses villes, notamment à Paris et Lyon. Les collectifs assurent le paiement des amendes des mutualistes contre une cotisation mensuelle de 7 € à 8 €, bien loin de l’abonnement à 56 €. Enfin, c’est la circulation des informations entre les voyageurs qui a été améliorée avec Internet, permettant de mieux comprendre les contraintes et les stratégies internes du réseau TCL.
Désarroi et malaise chez les agents TCL
Cette diffusion des informations se double d’un intérêt nouveau des chercheurs en sciences sociales pour l’analyse des situations de fraude. En 2008, une thèse soutenue à l’école Polytechnique a montré les difficultés rencontrées par les contrôleurs sur le réseau de bus RATP.
Les agents peuvent mettre des amendes dans les infrastructures qui leur appartiennent (les couloirs du métro, à l’intérieur des bus et tramway). Mais ils n’ont pas le droit de verbaliser sur la voie publique, sauf s’ils sont accompagnés des représentants des forces de l’ordre. Sans ces derniers, la stratégie consiste alors à faire reconnaître la situation de fraude par l’usager, par exemple en le faisant payer rapidement et moins cher par carte bancaire.
Cette situation juridique compliquée ajoute au stress des équipes de contrôle qui, de fait, privilégient les terminus pour vérifier les titres de transports pour les bus. Le malaise est accentué par les situations de fraude qui peuvent parfois être très conflictuelles, mais doivent toujours rester dans la légalité.
Dans ces conditions, le métier de contrôleur devient de plus en plus difficile, ce que ne manquent pas de souligner les syndicats. Ces derniers ont également protesté lorsque la direction du Sytral a demandé aux chauffeurs de renforcer leur capacité de contrôle en faisant monter les usagers par l’avant.
Un vrai malaise s’est donc installé chez les agents TCL, préférant davantage s’impliquer dans leur mission de service public que de pratiquer une politique sécuritaire qui nourrit des relations conflictuelles avec les voyageurs.
Et les usagers, ils ont un avis ?
Le triptyque, « augmentation des coûts de la surveillance et du contrôle », « augmentation des tarifs » et « stigmatisation des usagers fraudeurs » est-elle une solution viable ? Probablement pas économiquement ni socialement. L’apaisement des tensions peut passer par davantage de dialogue avec les usagers.
Peut-être faudrait-il tout simplement mieux les incorporer dans les instances de décision. Profitons de la réorganisation institutionnelle des transports de la métropole pour mettre en œuvre une telle participation. Qualité de service, tarification, développement du réseau, beaucoup de Lyonnais peuvent apporter des contributions significatives dans la construction des mobilités d’une future « métropole européenne ». Parmi les propositions sur la tarification des transports, voici quelques grands axes de réflexion :
- Réfléchir à une baisse concertée des tarifs pour les usagers
- Incorporer une taxe sur les plus-values immobilières lors de l’implantation de nouvelles infrastructures (station de Métro et de Tramway) en prenant notamment exemple sur le métro de Copenhague. Il s’agit de reconnaître que l’offre de transport améliore l’attractivité d’un territoire et peut participer à faire monter les prix de l’immobilier. L’article 21 du Grenelle de l’environnement 2 le permet.
- Mieux répartir les taxes pour le versement des entreprises en introduisant des critères environnementaux (mise en place d’un Plan de Déplacement des Entreprises) et financiers en fonction des bénéfices des entreprises.
- Transférer une partie de l’argent du stationnement automobile vers le financement des TC, pas seulement comme cela semble se dessiner pour financer les infrastructures de transport du Grand Paris, mais pour celles de chaque territoire.
Par MAXIME HURE, enseignant-chercheur au sein de l’association P2M et blogueur sur Rue89Lyon (Mobile Home)
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