Peter Von Poehl, par Julien Bourgeois.
« Quand on se retrouve dans un temple, une église ou même une usine de tapis, ça raconte autre chose avant même qu’on ait joué une seule note. »
L’an dernier tu as joué dans un certain nombre de lieux « insolites », notamment au Temple Lanterne à Lyon. Quels souvenirs gardes-tu de cette tournée « Unplugged et lieux insolites » ?
Peter Von Poehl : La préparation de l’album avait été longue, avec beaucoup de concerts en formation de 17 à 40 musiciens, pour aboutir à ce que je voulais : un enregistrement live sur une journée. Tout était très organisé, très calé, avec des partitions écrites jusqu’au moindre triangle.
A la fin de l’enregistrement, j’ai eu envie de revenir sur scène d’une manière totalement différente, en duo avec le violoncelliste Zack Miskin. Quant à cette idée de jouer dans des endroits « différents », c’était en moi depuis longtemps. Dans les salles de concert, on a un rituel, des habitudes.
Quand on se retrouve dans un temple, une église ou même une usine de tapis, ça raconte autre chose avant même qu’on ait joué une seule note. Le public se comporte différemment, comme intimidé par le lieu. Pour moi également les sensations étaient vraiment différentes, et elles ont été propres à chaque lieu où j’ai joué lors de cette tournée.
« C’est dans le chaos que l’on trouve des réponses »
Pourquoi avoir choisi de préparer cet album sur scène et de l’enregistrer en une journée dans les conditions du live, le tout avec un orchestre, ce qui ajoute encore à la difficulté ?
C’est une démarche incohérente et absurde, j’en suis bien conscient. Avant de faire mes propres disques, j’ai fait beaucoup de musique pour les autres et le studio est probablement ce que je connais le mieux dans ce métier. Même si j’ai toujours enregistré sur bande, avec la technologie d’aujourd’hui on contrôle de manière extrême l’espace acoustique, on peut corriger chaque petite note qui a l’air d’être à côté.
Là, l’idée était de ne pas intervenir dans le processus d’enregistrement, d’être pour une fois simplement dans la musique et d’autoriser que tout puisse se passer l’espace d’une journée. Cela paraît peut-être un peu idiot, mais en réalité ça change tout et je crois que le résultat aurait été très différent si on avait enregistré de manière plus traditionnelle. Mais pour cela, il fallait être prêt et toute cette préparation en amont a été comme un entraînement de sportif de haut niveau.
Tu as travaillé une fois de plus avec Christoffer Lundquist, qui a enregistré et co-produit tous tes albums dans son studio de Vallarum, près de Malmö. Parfois les musiciens changent de producteur pour trouver un nouveau souffle, un nouveau son. Ca ne t’a jamais traversé l’esprit, particulièrement sur ce projet à part ?
Non. Comme c’est le cas avec Martin Hederos, l’arrangeur et directeur musical du disque, ou Jens Jansson, le batteur, avec Christoffer, il y a un lien personnel très fort. J’ai enregistré mes premières maquettes, il y a très longtemps, dans le garage des parents de sa copine.
Et puis je ne me suis jamais senti artiste solo. Je crois à une approche collective des choses. Avec le temps, quand on se connaît bien, il y a une marge d’improvisation ou d’incertitude assez restreinte. On travaille de la même façon et j’aime cette idée de garder le même cadre, comme je suis attaché au format classique d’une chanson : 3 minutes, couplet-refrain. On pourrait croire que c’est limitant mais c’est en fait assez libérateur. Une fois qu’on a ce cadre, on le remplit avec tout ce qu’on veut.
« Si j’essayais de faire une analyse à deux sous, je dirais qu’il ne s’agit pas vraiment d’histoires avec un début et une fin mais plutôt d’arrêts sur images de films. »
Tu reviens souvent sur cette notion de cadre qui contraste avec ta manière de composer, que tu juges bordélique… Est-ce que le fait de t’entourer des mêmes personnes te fait office de garde-fou ?
En fait, c’est justement une manière de pouvoir conserver cet aspect chaotique et imprévisible de la création qui pour moi est très important. En mai 2011, Christoffer a remporté le Sir George Martin Award, une bourse prestigieuse. Il nous avait demandé avec quelques amis d’assister à la cérémonie et de préparer quelques questions pour George Martin (mythique producteur des Beatles, NDLR).
L’une d’elles était de savoir pourquoi, sur les grands disques des Beatles, on entend parfois des bruits parasites, des gens qui marchent, qui parlent, un objet qui tombe, auxquels on ne prête d’ailleurs pas forcément attention mais qui font aussi tout le sel du disque. Nous pensions que c’était parce que la technologie de l’époque ne permettait pas d’effacer ces accidents. Mais George Martin nous a répondu que c’était justement fait exprès, parce que c’est là où les bonnes choses se cachent, de là que surgit la surprise. Je crois de plus en plus à ça : dans le fait que c’est dans ce chaos que l’on trouve des réponses.
Mais pour maîtriser ce chaos, il est nécessaire d’avoir un cadre qui t’empêche de déborder. Le fait de bien se connaître humainement y est pour beaucoup.
Qu’est-ce qui t’as inspiré pour cet album, de quoi parle-t-il ?
J’ai toujours été très attaché aux mots. Sur le premier disque : les mots ont tout déclenché, guidé mes choix d’arrangements. Sur Mayday, le deuxième album, j’avais demandé des textes à Marie Modiano (sa femme et fille de l’écrivain Patrick Modiano, ndlr) justement pour échapper à moi-même et éviter de refaire le même disque. Grâce à ça, j’ai développé un rapport aux mots totalement décomplexé.
Cela a d’ailleurs rendu plus facile l’écriture de Big Issues Printed Small : les textes sont arrivés assez vite même s’il n’a pas de thème précis. Si j’essayais de faire une analyse à deux sous, je dirais qu’il ne s’agit pas vraiment d’histoires avec un début et une fin mais plutôt d’arrêts sur images de films. A la fin des chansons on n’en sait pas beaucoup plus mais ce n’est pas très grave (rires).
Le titre Big Issues Printed Small résume parfaitement l’album, cet équilibre entre tes compositions, à la fois miniatures et impressionnistes, et l’ampleur que leur donne les arrangements.
Au départ, comme c’est toujours le cas, je cherchais un titre qui corresponde à la pochette, une œuvre gentiment prêtée par ma sœur. Quand j’ai fait la chanson-titre, il m’est apparu que ce devait être celui de l’album. Cette idée de cadre scientifiquement rangé et en même temps assez mal foutu, plein de tâches, fait à la main. C’est l’image que je me faisais de cet album : un disque d’orchestre lo-fi.
A l’Epicerie Moderne, tu vas rejouer en duo acoustique comme au Temple Lanterne. Pourquoi ne pas présenter cet album dans la même configuration que sur le disque : avec un orchestre ?
J’avais vraiment envie de continuer encore un peu en duo. Je crois qu’on peut aller encore plus loin comme ça. Il y a des propositions pour des concerts avec orchestre et il est certain qu’on va le faire. J’aimerais aussi travailler dans le sens d’une formation plus rock. Le truc, c’est que pour les tournées des disques précédents, j’essayais de recréer l’album à l’identique sur scène.
Pour ce disque, vu la façon dont il a été réalisé, ç’a été l’inverse : nous avons reproduit en studio ce que nous avions travaillé sur scène. Du coup, j’ai encore cette envie de revenir à la scène en réarrangeant les morceaux dans le sens d’une déconstruction.
Par Stéphane Duchêne, sur petit-bulletin.fr.
A l’Epicerie Moderne (Feyzin), lundi 25 mars.
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