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Emmanuelle Pireyre à Bron : une époque formidable

Interview / Sous l’enseigne «L’époque et moi», la Fête du Livre de Bron questionne la manière dont le contemporain interagit avec la manière de le penser et donc de l’écrire, passant les évolutions politiques, économiques, culturelles, médiatiques de nos sociétés à travers le tamis de toutes les formes d’écriture : roman, essai, bande dessinée, série télévisée, chanson, poésie…

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Poser l’équation de l’universel et de l’intime, d’un monde qui nous traverse autant qu’on le parcourt, c’est aussi le projet d’Emmanuelle Pireyre, invitée lyonnaise du festival pour « Féerie Générale » (éditions de L’Olivier), prix Médicis 2012.

Un remarquable roman mosaïque qui à coups de micro-fictions imbriquées dans le réel, de réflexions et de collages littéraires, fait acte de résistance à une époque à la fois mondialisée et morcelée. Un roman qui semble dire, comme en écho à la thématique hôte : «L’époque ? Et Nous ?».

Petit Bulletin : Comment reliez-vous Féerie Générale au thème de la Fête du Livre, «L’époque et moi» ?

Emmanuelle Pireyre : Ce thème me plaît beaucoup. Tout mon travail d’écriture consiste justement à faire quelque chose avec l’époque, à transformer des éléments qui ne me conviennent pas en éléments qui me conviennent mieux.

Comme je trouvais mon livre précédent un peu grinçant, ironique, j’ai pensé à l’idée de féerie générale, plus lumineuse, avec la difficulté d’inscrire ça dans un contexte qui me convient assez mal. Et puis je me suis dit que dans ce monde où tout est mondialisé, où tout communique, ma féerie à moi serait le moment où les choses sont séparées les unes des autres, les interstices dans lesquels on peut encore se glisser et trouver des espaces de liberté.

Il y a dans ce titre, Féerie générale, quelque chose d’un cri, auquel on pourrait rajouter un point d’exclamation, façon «Grève générale!». Une sorte d’appel à la lutte poétique et politique…

Je n’ai pas pensé le titre du livre comme ça au départ mais on m’a déjà fait cette remarque. On peut aussi penser au slogan «Rêve général(e)» qu’on a beaucoup vu dans certaines manifestations et que j’aime beaucoup. Le livre a clairement une dimension politique mais surtout collective.

Nous sommes tous traversés par la mondialisation, par les outils qu’on utilise. Mais le sujet du livre, au fond, c’est plus encore la manière dont nos pulsions, exacerbées par cette mondialisation, font qu’on a envie de se jeter sur le monde entier, de prendre la nourriture pour soi, de ne pas partager. Et ce que ça engendre comme conséquences.

Vous écrivez : «Le bonheur n’est plus vraiment le truc du moment. (…) Nous sommes loin des années 2000. Le bonheur n’est plus la priorité des années 2010. Le bonheur est has-been». Qu’est-ce qui s’est passé ?

Là on est en plein dans «L’époque et moi» : réfléchir à la différence entre les années 2000 et 2010. Dans les années 2000, j’écrivais le livre précédent tout en cherchant ma propre maison et je lisais beaucoup sur le bonheur et la maison. Je traitais ça de manière un peu ironique mais c’est plus sérieux qu’il n’y paraît : la maison c’est quand même une préoccupation sociale fondamentale. Je suis moi-même bien contente d’avoir un toit sur la tête.

Et puis arrive la crise de 2008 qui découle directement de crédits immobiliers octroyés à des gens qui n’étaient pas solvables. D’un coup, c’est comme si les soubassements de la « maison » et donc de ce bonheur auquel on aspire tous un peu bêtement étaient minés par la question un peu immatérielle de la finance. On pensait qu’on empruntait de l’argent, qu’on le rendait et puis voilà. Mais en fait non, cet argent navigue sans arrêt, il est re-prêté.

Et finalement, cette quête d’un bonheur un peu ridicule, un peu petit, a engendré une catastrophe incroyable qui dépasse même la dimension matérielle. Si on ajoute en plus la crise écologique, tout à coup il y a une sorte de « sauve qui peut » général qui balaie les petits états d’âmes et les aspirations de chacun.

Votre livre pourrait se résumer à cette phrase : «Service de l’humanité dans son ensemble et rudoiement des occurrences singulières». « Sauver » le monde par petites touches, en en pointant les défauts.

Oui, en quelque sorte. L’idée générale du livre c’est qu’on pourrait être beaucoup plus libres qu’on ne l’est. On pourrait inventer beaucoup de choses mais on se soumet en général très vite aux opinions de quelques experts.

C’est aussi une manière de dire qu’on peut écrire à la fois contre et « tout contre » son époque, à la marge et en immersion… C’est une des questions que pose cette Fête du Livre.

Il n’y a pas une seule réponse à cette question et il ne doit surtout pas n’y en avoir qu’une. Il est nécessaire qu’il y ait des poètes éloignés des réalités et d’autres, comme Anne-James Chaton, qui font de la lecture d’un ticket de caisse un acte poétique.

Performance d’Anne-James Chaton, « évènement n°1 »

Longtemps, je suis restée éloignée de la poésie contemplative mais on se rend compte avec la catastrophe écologique que ces gens qui sont restés droits dans leurs bottes, près de la nature, nous rappellent des choses qu’on a peut-être un peu oublié aux dépens d’un certain nombre de priorités plus sociales.

Au fond, j’aime cette idée qu’il y ait des gardiens d’extrémités et que la littérature mainstream, le roman, s’en nourrisse. On a besoin de ces gens qui vont chercher dans de tous petits recoins de grammaire, de langage, parce que ce sont d’eux que naissent ces idées qui sont ensuite repiquées par d’autres.

Pour moi, l’avancée des formes littéraires est collective. Il y a la singularité voire le génie de chacun mais en même temps une petite idée peut passer dans la littérature de quelqu’un d’autre et faire avancer les choses.

Par Stéphane Duchêne, sur petit-bulletin.fr.


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