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Apocalypse no(w) : le cinéma aime la fin du monde

Entre supposées prédictions mayas, sortie de « 4h44, dernier jour sur terre », le nouveau film d’Abel Ferrara, et soirées labellisées «fin du monde», tout semble converger vers un 21 décembre apocalyptique – même si on ne fera que s’y bourrer la gueule. Peu étonnant quand on songe que ladite fin du monde est vieille comme… le monde.

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 «Dans le roman qu’est l’histoire du monde, rien ne m’a plus impressionné que le spectacle de cette ville jadis grande et belle, désormais renversée, désolée, perdue […], envahie par les arbres sur des kilomètres à la ronde, sans même un nom pour la distinguer».

Ce pourrait être la voix-off du survivant d’un film post-apocalyptique déambulant dans Londres, New-York, Paris, Lyon… Ce ne sont « que » les mots de John Lloyd Stephens, découvrant au XIXe siècle la splendeur passée d’une ancienne ville maya mangée par la jungle du Yucatan. Ces mêmes Mayas dont le calendrier aurait prévu la fin du monde pour le 21 décembre 2012. Peu importe que la NASA elle-même ait démentie ces rumeurs dont les illuminés, les conspirationnistes et les survivalistes font leur miel.

Qu’on la nomme Apocalypse («révélation» dans la Bible) ou Armageddon (d’Harmaguédon, le « Waterloo » hébreu du Livre de l’Apocalypse), la fin du monde est depuis toujours le sujet de conversation préféré de l’Humanité avec la météo. Et d’extinctions en catastrophes, les occasions d’en parler ne manquent pas. Comme lorsque le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 autorisa Voltaire et Rousseau à s’écharper sur la question de la contingence face à celle de la responsabilité humaine et son goût de la démesure – une question qui a depuis trouvé résonance de l’ouragan Katrina à Fukushima. Ou lorsque l’Holocauste et Hiroshima firent prendre conscience de la possibilité d’un auto-anéantissement.

 

« La Fin de toutes choses »

Dans son indispensable Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, qui vaut mode d’emploi, le géonomiste Jared Diamond passe en revue les causes de l’effondrement d’une poignée de civilisations passées : Pascuans, réduits à néant par leur sale manie de vouloir ériger des statues monumentales jusqu’à détruire un écosystème, Anasazis, Mayas, Moches (le peuple, pas les gens laids)… Diamond s’y demande si un jour «des touristes médusés admireront les débris rouillés des gratte-ciel new-yorkais comme nous contemplons les ruines des cités mayas englouties par la jungle». Une image que la fiction a rendu familière.

Sans doute, dans cette interprétation superstitieuse et fumeuse du calendrier maya – qui nous renvoie, à travers l’idée d’une civilisation jadis dominante éteinte en un clin d’oeil, le reflet de nos propres crises –, faut-il voir l’oblitération d’une mauvaise conscience de la modernité autant qu’un atavisme humain, un rappel à la finitude et à la lucidité.

«Les signes annonciateurs du dernier jour, nous dit Kant dans La Fin de toutes choses, certains les reconnaissent dans le triomphe de l’injustice, dans l’oppression des pauvres sous la débauche insolente des riches et dans la disparition générale de la loyauté et de la confiance ; ou encore dans les guerres sanglantes déchaînées aux quatre coins du monde. (…) D’autres (…) dans des changements inhabituels de la nature, des tremblements de terre, des tempêtes, des inondations ou des comètes et des météores ».

Nous sommes alors en 1794 et la Révolution française vient de changer le monde.

 

Seuls les riches s’en sortent ?

Comment ne pas voir dans « 2012 » de Roland Emmerich – qui manque de finesse mais pas nécessairement d’à propos et témoigne au mieux du fait que le film catastrophe est l’une des manières dont une société se juge, fut-ce naïvement – cette métaphore d’un monde où seul les riches s’en sortent ? En l’occurrence en monnayant leur salut comme on se paie un voyage de luxe dans une arche de Noé new look.

On peut en faire un parallèle ironique avec le Costa Concordia, choisi comme symbole de décadence européenne par Jean-Luc Godard dans Film Socialisme et échoué quelques mois plus tard. Comment ne pas voir, ailleurs, la peur d’un déclassement social extrême introduit par l’annihilation pure et simple de la lutte des classes ? Par exemple dans la recrudescence de la figure zombiesque, ce lumpenprolétariat de la fiction apocalyptique ; dans La Route et The Day l’étonnante série B qui pourrait en être le sequel ; ou encore dans des séries comme Terra Nova, Revolution, Falling Skies. Soit autant de «fins du monde», quelles qu’en soient les modalités, en appelant à une remise à zéro Hobbesienne, à la possibilité d’une seconde chance qui ne vaudrait pas mieux qu’une punition. Comme, au fond, la mort elle-même.
Dernière nuit

Dans 4h44, dernier jour sur terre d’Abel Ferrara, l’espoir n’est plus permis mais la culpabilité demeure : un passage onirique de ce film pré-apocalyptique montre Cisco (Willem Dafoe) abattre le dernier palmier de l’île de Pâques, dans l’ombre fantomatique des Statues qui ont conduit à sa déforestation, comme un écho à l’analyse de Jared Diamond sur la civilisation pascuane. «Comment peut-on être aussi aveugle et ne pas penser à l’avenir. Comment ont-ils pu se foutre des conséquences ? Que ce soit en abattant un arbre, en construisant les Twin Towers ou la bombe atomique» se lamente ensuite Cisco dans un reproche adressé à la Terre entière et à lui-même. Là encore, nous voilà renvoyés à un autre constat de Diamond sur l’extinction des Mayas cette fois, trop occupés à «privilégier la guerre et la construction de monuments au lieu de résoudre les problèmes de fond».

Dans Melancholia de Lars Von Trier et dans Take Shelter de Jeff Nichols, tournés au même moment, on ne sait si la catastrophe annoncée est le fait de la folie de faux-prophètes névrosés ou s’ils la provoquent par une sorte de regard médiumnique, d’extra-lucidité mélancolique, de culpabilité christique. Dans Le Monde comme Volonté et comme représentation, Schopenhauer écrit que «des soleils et des planètes sans un œil pour les voir » ne sont rien car «c’est bien de ce premier œil une fois ouvert que tout l’univers tient sa réalité». «Le monde s’est ouvert avec le premier œil, complète Peter Szendy dans L’Apocalypse Cinéma, il se fermera aussi avec lui». Avec celui de Justine (Melancholia), celui de Curtis (Take Shelter) et celui de Cisco (4h44), regard plongé dans celui de sa compagne, comme à l’instant précédant l’éclat final du très similaire Last Night de Don McKellar (1998).

A propos de la métaphore à l’oeuvre dans son film Ferrara a dit :

«c’est tous les jours la fin du monde» et «chaque soir quand vous allez dormir, c’est le dernier jour du monde».

Au définitif « le monde va finir» de Baudelaire, l’un des personnages de 4h44, doutant de l’Apocalypse mais désireux de ne pas louper le spectacle au cas où, répond d’ailleurs qu’il «n’en finit plus de finir». Comme nous n’en finissons plus de fantasmer sa fin à la moindre occasion, de nous en inquiéter et, en guise d’exorcisme, de nous en amuser.

Par Stéphane Duchêne sur Petit-Bulletin.fr

 

 

 


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