Année après année, le maire socialiste de Lyon, Gérard Collomb, étend la couverture de la ville en caméras de vidéosurveillance. Actuellement, 261 caméras occupent 10% du territoire. Fin 2013, 54 caméras s’ajouteront, faisant de Lyon l’une des villes les plus vidéo-équipées.
Question sensible, la vidéosurveillance (on lui préfère le terme de vidéoprotection aujourd’hui) devait s’accompagner de garanties pour que ce dispositif de surveillance « ne soit pas attentatoire aux libertés publiques et individuelles ».
C’était l’objectif que Gérard Collomb s’était donné en accédant à la mairie de Lyon en 2001 :
« Etendre modérément la couverture géographique de la vidéosurveillance dans une totale transparence et en se préoccupant de répondre aux aspirations des citoyens et de respecter scrupuleusement l’avis d’un comité d’éthique. »
Pour l’ »extension modérée », chacun jugera. S’agissant du « comité d’éthique » mis en place par une délibération du conseil municipal en 2003 et renouvelé après les élections municipales de 2008 (voir la liste des membres à la suite de l’article), il s’agit de se poser quelques questions puisque ni le « Collège » (nouveau nom du comité d’éthique) ni la « Charte d’éthique de la vidéosurveillance » (que le « collège » a élaboré en 2004) n’ont de valeur contraignante. Comme dans toutes les villes qui ont mis en place ces chartes et autres comités d’éthique.
La charte d’éthique : un document de présentation de la vidéosurveillance
Le président du collège d’éthique, Daniel Chabanol (ancien président de la cour administrative d’appel de Lyon) présentait ce 29 octobre le nouvelle mouture de la charte votée le 4 juillet en conseil municipal.
Cette nouvelle charte (rédigée par le collège d’éthique) a deux objets. Elle énonce « les grands principes régissant la vidéoprotection ». A Lyon, il s’agit essentiellement de « la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens ».
Ce texte précise également « les mécanismes et procédures garants de la protection des libertés ». Parmi lesquels :
- L’existence d’un « masque dynamique occultant automatiquement et de manière définitive les parties privées qui se situeraient dans le champ de vision des caméras ».
- La mise en place d’un système de transport des images (en clair, la fibre optique) « qui bénéficient de mesures de surveillance et de protections avancées rendant impossible toute pénétration sur le réseau ».
- L’enregistrement « systématique et intégral » de toutes les images; lequel enregistrement est détruit au bout de 15 jours (alors que le délai légal est d’un mois maximum).
La charte d’éthique précise également que tous les agents « suivent une formation initiale et sont sensibilisés régulièrement aux questions de confidentialité, d’éthique et de déontologie ». Il s’engagent « par écrit » à respecter les dispositions de la charte et du règlement intérieur ».
L’impossible contrôle de la vidéosurveillance
La charte garantit aux membres du Collège d’éthique* d’accéder au centre de supervision urbaine d’où sont regardées les images. Ils peuvent même le faire de manière « impromptue ».
Mais dans les faits, Daniel Chabanol (en place depuis 2008) nous dit qu’il a fait « une visite de groupe » de manière inopinée.
Pourquoi ? Parce que l’intérêt de visiter les employés du centre de supervision est limité. Les membres du Collège d’éthique n’ont pas accès aux images :
« J’ai tenu à ce que dans le texte de la charte, il y ait une traçabilité des images. (…) Je pourrais aller dans le service de visionnage mais je ne peux pas demander aux employés de me montrer ces images car je n’ai aucun pouvoir hiérarchique ».
Si le collège garant du fonctionnement « éthique » de la vidéosurveillance n’a pas accès aux images, tout est question de « confiance », comme le concède Daniel Chabanol :
« Je n’ai pas de doute sur la qualité professionnelle de Mr Magne qui dirige le service et sur les employés ».
Le député (PS) Jean-Louis Touraine, premier adjoint en charge de la sécurité, renchérit sur le thème de la confiance :
« Nous avons passé une sorte de contrat moral avec les Lyonnais. Il ne faut pas les décevoir ».
Beaucoup de confiance, donc, mais pas de contrôle. Daniel Chabanol précise bien que la vidéosurveillance, à Lyon, se fait « sous le regard mais pas sous le contrôle d’un organisme indépendant qu’est le collège d’éthique ». Mais il n’a pas « le sentiment de servir de caution » pour autant :
« Les élus de la Ville de Lyon ont passé une sorte de pacte politique avec les Lyonnais sur cette question de la vidéoprotection. La concrétisation de ce pacte, c’est la création d’une charte et d’un collège d’éthique qu’aucun texte de loi n’impose. La contrainte politique me paraît plus importante que la contrainte juridique ».
Ne pas créer « une usine à gaz »
Finalement, selon le président du collège d’éthique, la meilleure preuve du bon fonctionnement de la vidéosurveillance est que « si le choses dérapaient, ça se saurait ».
Depuis que Daniel Chabanol est en poste, le collège d’éthique n’a relevé aucun problème. Si ce n’est une fois :
« Un membre du collège a fait remarquer aux services de la ville que les caméras qui devaient être redéployées sur un quartier ne l’avaient pas été ; ça s’est rapidement arrangé ».
Concernant les habitants de Lyon, le collège n’a reçu que deux courriers. Et encore, ces courriers faisaient état de caméras qui n’étaient pas installées par la Ville de Lyon. Ce qui permet de conclure que le collège d’éthique n’a reçu depuis sa création aucune plainte.
S’agissant de l’implantation de nouvelles caméras, le collège d’éthique ne donne pas d’avis. Il est seulement informé. Daniel Chabanol s’en explique :
« Le texte de la charte d’éthique à ce sujet est volontairement flou car la procédure pour implanter de nouvelles caméras est déjà suffisamment complexe. L’idée n’était pas de créer une usine à gaz en ajoutant un avis du collège d’éthique. »
Pas de moyen pour assurer les contrôles
Pourtant, sans entrer dans le débat de l’efficacité de la vidéosurveillance, plusieurs recherches pointent des dysfonctionnements, notamment l’étude de l’Institut d’Urbanisme d’Ile de France de septembre 2011 :
- Les agents ne visionnent pas toutes les caméras.
- Des lieux privés ne sont pas occultés, comme ils devraient l’être, car les programmes informatiques ne sont pas actualisés.
- Des activités ludiques dans certaines rues distraient les video-surveillants.
- Environ 1/3 des lieux équipés ne sont jamais vidéo-surveillés.
Cette étude réalisée par Tanguy Le Goff souligne qu’il n’y a pas d’instance de contrôle des services municipaux de vidéosurveillance :
« Ces chartes d’éthique n’ont d’utilité que (…) si un contrôle peut être, périodiquement, effectué par une autorité extérieure. Ce qui est loin d’être aujourd’hui le cas. Si la commission nationale informatique et libertés (CNIL) a vu ses pouvoirs de contrôle sur les dispositifs de vidéosurveillance des espaces publics étendus par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI II), ils ne se sont pas accompagnés d’un renforcement sensible de ses moyens financiers et humains pour assurer ces contrôles ».
Reconnaissant les limites de son action, Daniel Chabanol plaiderait plutôt pour la création d’une « vraie autorité indépendante », qu’il verrait comme un service d’inspection rattachée à chaque collectivité.
*Composition du Collège d’éthique de la vidéosurveillance de Lyon (votée le 23 juin 2008)
Président depuis juin 08 : Daniel Chabanol, ancien président de la Cour Administrative d’Appel de Lyon. Ancien président d’avril 2003 à juin 08 : Jean-Pierre Hoss, Conseiller d’Etat.
Conseillers municipaux titulaires : Nicole Gay, Jérôme Maleski, Georges Képénékian, Fouziya Bouzerda, Jeanne D’Anglejan, Patrick Huguet.
Conseillers municipaux suppléants : Yves Fournel, Etienne Tête, Jean-Yves Sécheresse*, Christophe Geourjon, François Royer, Jean-Jacques David.
Personnalités qualifiées : Daniel Chabanol, ancien président de la Cour Administrative d’appel de Lyon – Jean-Marie Chanon, avocat et ancien bâtonnier – Maurice Niveau, Recteur honoraire – Thierry Dussauze, Directeur du centre commercial de la Part-Dieu – Georges Cellerier, président de l’association des commerçants de la presqu’île – Guy Pellet, président de la fédération rive gauche des commerçants.
Représentants des associations de défense des droits de l’homme suivantes : LICRA, MRAP, ligue des droits de l’Homme, CLAUDA, Chaire des droits de l’homme, agir ensemble pour les droits de l’Homme.
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