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A la Fnac "on est comme Carrefour, sauf qu'on vend pas de salade"

Le licenciement d’un disquaire à la Fnac Part Dieu, à Lyon, a révélé un profond mal-être des salariés, alors que la direction du groupe PPR (Pinault-Printemps-Redoute) vient d’annoncer l’introduction en bourse de sa filiale.

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Frédéric a reçu sa lettre de licenciement le 20 octobre. Après 21 ans passés au magasin Fnac du centre commercial Part Dieu, ce disquaire a été remercié pour « insuffisance professionnelle ». On lui reproche notamment de mal gérer son stock et sa mise en rayon. La direction régionale confirme ce licenciement mais « refuse de faire plus de commentaire ».
Frédéric, épaulé par les syndicats SUD et CGT, conteste ce licenciement, en estimant être victime de harcèlement.
Pour soutenir leur collègue, une vingtaine de salariés du magasin de la Part-Dieu (sur 113) a débrayé les 16 et 17 octobre. Au-delà du cas de Frédéric, ces salariés mettent en avant un malaise au travail lié au changement de leurs métiers.

 

« Des moyens douteux pour se séparer des salariés »

« En tant que disquaire, je fais partie des professions dont on cherche à se séparer ».
Frédéric en est persuadé. Les syndicats aussi. Même si le directeur régional, contacté par Rue89Lyon, affirme que son licenciement est « indépendant du contexte du marché du disque », ces salariés estiment qu’on utilise des « moyens douteux pour se séparer de salariés ». A l’image du délégué SUD, Jean-Christophe Touboulic, interviewé dans le reportage de TLM (à 3’40 » du JT)

Leur argumentaire est simple : en parallèle d’un plan social officiel qui prévoit la suppression de 310 postes, la direction de la Fnac chercherait à se séparer des employés des secteurs les plus en crise.

Philippe Piron, directeur en Rhône-Alpes confirme ce qui n’est pas un scoop : la Fnac ne va pas bien. En termes marketing, il dit : la « Fnac traverse une période charnière ». Globalement, depuis début 2012, l’enseigne connaît un recul de son chiffre d’affaire de 3,5%. Seul motif de satisfaction, selon les Echos, la Fnac est l’un des seuls cybermarchands français rentables sur son activité propre.
Et le secteur qui est le plus à la peine est évidemment le disque.
Ce marché a reculé de 60% ces cinq dernières années, chiffre subi par conséquent par la Fnac. Le livre résiste mieux au numérique, avec une baisse de 3 à 4%.
Dans ce contexte, les syndicats estiment que les licenciements pour insuffisance professionnelle des disquaires ne sont que des arguments d’opportunité. Marie-Hélène Thomet, délégué syndicale CGT rappelle qu’il y a trois ans, un disquaire, « pourtant expérimenté, avait déjà était licencié pour les mêmes motifs ».

 

« On est devenu des vendeurs et des manutentionnaires »

Au lendemain de l’entretien préalable au licenciement, les premiers à débrayer ont été les collègues disquaires de Frédéric, qui ont maintenant le sentiment d’être les « prochains sur la liste ».
Ce qui ne compose pas leur seule motivation. A travers cette grève, ils ont exprimé un malaise qui tient à l’évolution de leur métier.
Comme Frédéric, Yves est arrivé à l’ouverture du magasin de la Part Dieu, il y a 21 ans :

« C’était une spécificité de la Fnac : le client avait en face de lui un spécialiste, libraire ou disquaire. On achetait, on rangeait et on vendait. Aujourd’hui on n’est que des vendeurs et des manutentionnaires. On n’a plus aucune autonomie ».

Il raconte les effets de la centralisation progressive des achats qui a fait que les libraires et, surtout, les disquaires ont « perdu la main » sur leur métier.
« C’est même la direction produits qui explique comment mettre en rayon », précise la syndicaliste Marie-Hélène Thomet.
Jean-Jacques, disquaire qui affiche lui aussi 21 ans d’ancienneté, a passé 17 ans dans le rayon « variété internationale », avant d’être affecté aux jeux vidéos. Il poursuit :

« Auparavant, nous étions des spécialistes de notre rayon. Désormais, il faut être polyvalent. On encaisse même les clients ».

 

Des cafetières à la Fnac

Les perspectives d’évolution de la Fnac ne les rassurent pas. Le groupe PPR (Pinault-Printemps-Redoute) vient d’annoncer la cession de sa filiale via une introduction en bourse l’année prochaine. Surtout, le plan « Fnac 2015 » du nouveau directeur général Alexandre Bompard, outre la suppression de 310 suppressions d’emploi (500 au niveau européen), prévoit de repenser la manière de vendre les produits des magasins.
« Nous allons élargir le périmètre produits », prévient le directeur régional, en termes marketing. Ce qui signifie concrètement que la Fnac va élargir la gamme de produits, notamment en vendant des « petits objets électroménager » : « Des objets design et de très haute qualité », prévient Philippe Piron.
L’autre magasin de Lyon, place Bellecour, le fait déjà : vente de cafetières et autres objets téléphoniques. La Part Dieu le proposera dans quelques semaines.
Autres nouveautés à venir :

  • La création d’espaces thématiques, comme l’espace « kids » pour les enfants, où se mêlent des produits éditoriaux (livres et CDs), du matériel hifi et des jouets.
  • Un « espace SFR » où des salariés de SFR vendront des forfaits aux côtés de salariés Fnac qui vendront des téléphones portables.
  • Des « pôles musique » pourraient ressembler à des « bars numériques » où l’on trouverait outre des CDs et DVDs, de la musique à télécharger et davantage de produits dérivés (du mug collector à l’affiche). De la billetterie devrait être intégrée.

 

Un changement qui passe mal

Ce changement est assez mal vécu par les salariés que nous avons rencontrés. Anciens ou jeunes, ils pointent une nouvelle dilution de leur métier, alors qu’ils se définissent comme des « spécialistes », libraires ou disquaires.
Sébastien, du service client, la trentaine et sept années passées à la Fnac a le sentiment qu’il y a peu de choses qui les séparent des employés de la grande distribution :

« On vend de tout et on fait essentiellement de la mise en rayon. On est comme à Carrefour, sauf qu’on ne vend pas de salades ».

Pour lui, ce n’est pas la bonne piste pour redresser le chiffre d’affaire :

« Avant, les clients savaient qu’à la Fnac, ils allaient pouvoir rencontrer un spécialiste. Aujourd’hui, quel intérêt y a-t-il à venir à la Fnac ? On fait comme les enseignes de la grande distribution ».

Le directeur régional, Philippe Piron, se veut rassurant et explique que, pour l’instant, rien n’est figé :

« On travaille sur le rapprochement des univers éditoriaux et des produits techniques. Cela va se faire progressivement. Pour l’évolution des métiers, ça prendra du temps. On accompagnera ce changement. On va déjà voir comment les clients vont réagir ».

 

« La fin de l’esprit Fnac »

Selon la déléguée syndicale Marie-Hélène Thomet, ce malaise se traduirait par des arrêts de travail à répétition.
Le taux d’absentéisme avoisinerait les 7% à la Fnac Part Dieu, l’un des plus élevés de France. La direction régionale n’a pas confirmé ce chiffre. Au contraire, nous dit le directeur régional qui minimise ces difficultés en évoquant l’un des taux de turnover parmi les plus faibles de Rhône Alpes. Difficile également de vérifier cette affirmation.
Mais le malaise ne touche pas que les professions les plus menacées (disquaires et libraires). Le « secteur client » a également fait l’objet de restructuration.
Désormais, un caissier doit pouvoir tourner sur la billetterie et les adhésions pour la carte Fnac. Cette polyvalence se serait accompagnée de diminution d’effectif.
« On est passé de 12 à 7 pour tourner sur ces trois postes. Conséquence, dix minutes d’un côté et dix minutes de l’autre. C’est extrêmement difficile pour se concentrer ».
Selon les salariés, le fait de travailler dans un centre commercial comme celui de la Part Dieu, renforcerait ces difficultés.
Et il ne faut pas compter sur une évolution de carrière ou de salaires, nous disent les employés.
« C’est la fin de « l’esprit Fnac ». Le client avait du conseil et les employés bénéficiaient de formations, d’avancées sociales et de bons salaires ».
Mais la révolte ne semble pas non plus à l’ordre du jour, en dehors du petit mouvement suscité par le licenciement de Frédéric. Marie-Hélène Thomet confirme :

« Dans un contexte économique très difficile, les gens courbent l’échine ».

La direction régionale peut donc considérer que l’expression de ce mal être n’est le fait que d’une « minorité » conduite par des syndicats.

 

 

 

 

 


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