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Maquis de la Guillotière : pousser les portes des bars africains

Si vous n’êtes pas un immigré de l’Afrique subsaharienne, il y a peu de chance que vous ayez poussé les portes de ces bars, tous concentrés à la Guillotière, dans le 7e arrondissement de Lyon. Nous sommes allés y traîner nos guêtres. A l’occasion d’une expo qui démarre ce mercredi au Musée africain de Lyon, nous republions ce reportage d’octobre 2012.

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Blaise Nzumbu Bola et Davi Hombesa devant le maquis, bar, de la Guillotière "Fula Ngenge ©BV

Blaise et Davi, deux Congolais devant le bar-restaurant Fula Ngenge. Crédit : Benjamin Vanderlick

Rumba congolaise ou le dernier tube de musique afro remplit la salle. Quand on entre dans un bar africain du quartier de la Guillotière, à Lyon, on est d’abord marqué par l’ambiance sonore. On avise ensuite les grandes bières de 75 cl d’Heineken ou de 1664 sur les tables. Ici pas de pression, on boit sa grande bière, son verre de whisky ou de rouge et éventuellement des sodas en cannette de 33cl. Rien d’autre ou presque. Le mobilier est sans fioritures comme la déco. Seul sort du lot, l’écran plat format XXL accroché au mur. Comme une impression d’arriver dans la salle à manger d’un particulier.

Du patron qui tient le lieu dépend l’orientation culinaire et la population qui fréquentera le lieu. La plupart des 16 bars que compte les quelques rues de la Guillotières sont ivoiriens, camerounais ou congolais.
Photos et textes à l’appui, l’ethnologue et photographe, Benjamin Vanderlick, essaye de décrire le fonctionnement de ces lieux communautaires qui se développent depuis une dizaine d’années, dans ce quartier cosmopolite de Lyon, à côté des boutiques exotiques et salons de coiffure africains. La plupart des patrons et clients les appellent les « maquis », comme on nomme ces bars dans l’Ouest de l’Afrique.

 

Partisans de Gbagbo ou de Ouattara ont fait bar à part

« On vient ici car on a besoin de se ressourcer. On recherche une atmosphère et des sujets de discussion qui nous rappelle le pays ».

Il est 20h, vendredi soir, à la « Table exotique », rue de la Thibaudière. Lanciné, commercial dans une multinational agroalimentaire, sirote son whisky.
Arrivé depuis 10 ans en France en provenance de la Côte d’Ivoire, il vient aussi dans les bars pour manger un plat de poulet braisé servi avec de l’attieké, plat traditionnel à base de manioc.
Lanciné est ivorien, il fréquente donc le bar tenu par Djibril, lui-même ivorien. Du haut de ses deux ans d’ancienneté à la tête d’un maquis, Djibril raconte :

« ça fonctionne par nationalité. Les gens viennent pour retrouver un plat et parler du pays ».

Ce qui n’est pas sans poser parfois quelques problèmes. Il y a quelques mois, lors de la guerre civile post-élections présidentielles en Côte d’Ivoire, les partisans de Gbagbo et Ouattara faisaient bar à part. Depuis les esprits se sont calmés.

Même s’il y a un fonctionnement par nationalité, l’ethno-photographe Benjamin Vanderlick note tout de même une certaine mixité, d’autant que certains migrants ne retrouvent pas de bars de leur nationalité. Les Sénagalais, Centrafricains ou Rwandais vont boire des coups chez les Ivoiriens ou les Congolais. Comme Abdulaye, Sénégalais à la retraite, attablé chez Kany, un congolais de la rue Sébastien Gryphe.

« Ce sont nos frères quand nous sommes en dehors de nos pays d’Afrique de l’Ouest. Nous partageons une même culture ».

Bernard, Sénégalais, a notamment ses habitudes à « La Table exotique », bar-restau tenu par Djibril, un ivoirien. Crédit : Benjamin Vanderlick

 

« Les jeunes qui sont nés ici ne comprennent pas les codes »

Selon Benjamin Vanderlick, la mixité ne s’arrête pas là :

« Les maquis sont fréquentés en très grande majorité par des personnes qui n’habitent pas le quartier de la Guillotière. Ils viennent de toute l’agglo lyonnaise. Dans ces bars, on retrouve aussi bien des hommes que des femmes. Pour autant, on observe une proportion plus importante d’hommes. Toutes les origines sociales se côtoient également ».

Tshombé (à droite), peintre batiment, Loma (au milieu), SDF et Berthet (à gauche) étudiant en thèse, au Fula Ngenge. Crédit : Benjamin Vanderlick

Par contre, on retrouvera peu de personnes d’une vingtaine d’années ou moins. Ceux qui fréquentent les bars africains sont quasi exclusivement des personnes qui ont vécu l’immigration. Christophe Amany, directeur de publication du site Ekodafrik, analyse :

« Ceux qui sont nés ici sont certes d’origine africaine mais ils ne comprennent pas les codes et ne sont pas intéressés par les sujets qui sont abordés. C’est surtout pour les plus de 45 ans : ils ont le rêve de l’éternel retour au pays. Ils n’ont pas déposé les valises. C’est ce qui alimente les conversations : les problèmes de transfert d’argent avec Western Union, la participation à des funérailles qui ont lieu au pays… »

 

« Chez vous, c’est guindé »

Il est minuit, un vendredi soir, au Fula Ngenge, l’autre bar congolais de la rue Sébastien Gryphe. Quelques hommes se mettent à esquisser des pas de rumba. Avec la formule à dix euros pour trois grandes bières, les langues se délient plus vite.

« Dans ces bars, il n’y a pas de protocole. On parle fort, on rit fort. Si on a faim, on mange. Sinon, on ne mange pas. On ne se sent pas forcé », affirme Abudalye.

Lanciné confirme :

« Ici, on se lâche alors que toute la journée on vit dans une société européenne guindée ».

Les dance-floor sont plutôt à chercher du côté des soirées organisées les samedi soir, dans des salles louées pour l’occasion.
Dans les bars, il n’est pas rare qu’on pousse quelques tables pour danser aussi. Et surtout se mettre en jambe en se préparant à la soirée « sapologie », entre autres thèmes, qui consistent à venir vêtu de ses plus beaux atours. Tous les patrons de bar ne le font pas, pour pousser le volume. Mais Tyson, un ancien boxeur congolais, qui a ouvert Grande rue de la Guillotière, lui, n’hésite pas.

Le bar « La cour des grands », tenu par Tyson, du Congo-Brazzaville, est réputé pour ses soirées musicalement très animées. Crédit : Benjamin Vanderlick

 

« Pas d’immigrés clandestins »

Si on se lâche et si on prend du bon temps, les bars africains sont aussi des lieux communautaires pour trouver des bons plans. Benjamin Vanderlick raconte l’histoire d’Isidore, un Tchadien de 28 ans :

« Il est arrivé à Lyon en 2008 pour effectuer un master universitaire de développement local. Aujourd’hui, il a trouvé un métier qui correspond à sa formation en périphérie de Lyon et habite Bron. C’est grâce aux rencontres qu’il a faites dans les maquis qu’il a trouvé sont premier travail d’étudiant : agent de sécurité en magasin ».

 

Paul, attablé à l’intérieur du Fula Ngenge. Immigré de l’enclave de Cabinda (Angola), il travaille actuellement comme vigile. Crédit : Benjamin Vanderlick

Il poursuit en reproduisant le témoignage de Stanislas qui explique comment, en tant qu’africain, on trouve un emploi :

« Dans les métiers manuels, pour trouver un travail aujourd’hui, si tu déposes un CV en intérim, ça ne sert à rien. Il faut être pistonné. Ici, on peut rencontrer quelqu’un qui travaille déjà dans une boîte et qui va faciliter l’embauche dans une entreprise. Ils sont mis en confiance car tu es conseillé par quelqu’un qui bosse bien ».

Les clients ou les patrons de bars que nous avons rencontrés affirment qu’il y a très peu de sans-papiers qui fréquentent les établissements, surtout de nuit. Trop risqué. Lanciné explique :

« Ils ont peur, à juste titre, de se faire contrôler. Car dès qu’il y a le moindre incident ou une bagarre, il n’est pas rare que la police débarque et en profite pour contrôler tout le monde ».

 

Des salaires de survie

Kany passe toutes ses journées dans son bar. C’est son troisième restaurant qu’il ouvre, de 10 heures du matin à 1 heure le soir. Sa femme fait la cuisine, des spécialités congolaises comme le poisson braisé ou le cabri. Des plats qui n’excèdent pas 12 euros.

Péniblement, dit-il, ils arrivent à se sortir un salaire d’ouvrier.

Kany et sa fille. Il tient le bar-restau l’Okapi, spécialisé dans la cuisine congolaise. Crédit : Benjamin Vanderlick

C’est le même son de cloche chez d’autres patrons de bar qu’a pu rencontrer Benjamin Vanderlick.
Pourtant, les restaurants ouvrent les uns à la suite des autres.
Magie est l’une des rares femmes à vouloir se lancer, seule. Elle tenait avant le bar associatif Afidec. Désormais, elle veut se professionnaliser.
Elle a vu une évolution de ces bars-restautants au fil des années. D’abord clandestins, ces maquis étaient organisés dans les appartements qu’on ouvrait jusqu’au petit matin. Ensuite, ce sont des bars associatifs qui se sont multipliés à la Guillotière, il y a une dizaine d’années.

Logiquement, ils se sont concentrés dans ce quartier du 7e arrondissement de Lyon qui accueillait déjà les commerces asiatiques et maghrébins. Avant ces maquis s’étaient déjà implantés des salons de coiffures africains et des magasins alimentaires de produits exotiques. Enfin, il y a quelques années, ce sont de véritables bars qui ont ouverts. Licence III ou IV, à la clé. Les patrons de bars deviennent des chefs d’entreprise. Mais les prix et l’ambiance n’auraient pas changé.

> Le livre : Migrants Africains. travail et maquis, photos & textes Benjamin Vanderlick aux éditions Africultures

 

 

 

 


#Bar

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