Castor et Pollux de la compagnie Vlovajob Pru. © Donatien Veissmann
Tous les deux ans pour la Biennale de la danse, nous pourrions écrire à peu près le même article. En résumé : un événement de grande qualité, s’adressant à des publics divers à travers des propositions artistiques tout aussi variées. Cette année : du hip-hop de Mourad Merzouki aux claquettes irlandaises de Colin Dunne, des spectacles traditionnels de Bali à la danse-image chiadée et drôle de Philippe Decouflé, du néo-clacissisme de Jiří Kylián aux danses basques, et même jusqu’au théâtre ado de David Bobée ou aux tours de magie de la Cie 14:20.
Avec le passage de témoin de Guy Darmet (parti à la retraite) à Dominique Hervieu, on s’attendait à de petites variantes… À tort : on ne change ni une équipe qui gagne, ni une programmation qui attire moult spectateurs et met tout le monde d’accord… Ne soyons pas bégueule ni tatillon et profitons, donc, de ce grand shoot chorégraphique bariolé. L’Éternel retour a du bon notait Nietzsche, l’un des rares philosophes à se préoccuper de chorégraphie et à ne pouvoir croire qu’en un dieu qui sache danser.
Ô mon dieu !
Si bien des «dieux» sont morts récemment (Pina Bausch, Merce Cunningham), il en reste quand même quelques-uns en qui placer notre credo et pour qui afficher notre enthousiasme de principe. Invoquons par exemple Ushio Amagatsu qui, sur l’autel de l’Opéra, fera l’offrande d’une création «mondiale», saupoudrant de blanc les corps de ses interprètes en vue de longs rituels muets et esthétiques. Depuis le milieu des années 1970, le chorégraphe japonais et sa compagnie Sankai Juku poursuivent la longue voie du butô, danse hypnotique, érotique et ultra ralentie, née du traumatisme d’Hiroshima et de la Seconde Guerre mondiale. Face à la vitesse des déflagrations nucléaires, le butô oppose la lenteur des métamorphoses du papillon ou d’autres insectes, et la mélancolie creusant les corps de sa bile noire et méditative…
Reste qu’avec les dieux, le problème c’est que l’on croit en eux et qu’ils finissent toujours, pour tenir leur réputation, par se pasticher eux-mêmes ! Ce fut le cas lors du dernier passage, aussi hiératique qu’empesé, de Sankai Juku à la Maison de la danse il y a deux ans. Pour les seconder, il se trouvera toujours quelque héros qui, tel Angelin Preljocaj, ne s’effraie pas de passer d’une Blanche Neige érotico-branchouille à la promesse simple et épurée d’une création autour de Ce que j’appelle l’oubli. Soit le court et virulent récit de Laurent Mauvignier inspiré de la rencontre mortelle et sordide d’un marginal aviné avec des vigils de Carrefour Part-Dieu.
Création 2012 du chorégraphe Dave Saint-Pierre. © Wolgang KIRCHNER
Ô my god !
Si votre foi envers le panthéon des valeurs sûres vacille sous les secousses du doute, vous pourrez alors vous pencher, par exemple, sur la fougue érectile et turgescente des auteurs de… Pâquerettes. Cecilia Bengolea & François Chaignaud dansaient en 2008 avec des godemichés et il en jaillit une très sulfureuse réputation artistique. On attend avec curiosité leur création mariant (façon de parler) post-modern danse, danses historiques et danses de club, dont le « voguing », ce drôle de truc new-yorkais consistant à faire des grands écarts écrasés dans tous les recoins des bars ou des boîtes de nuit…
Autre clef possible du paradis de la danse : Dave Saint-Pierre. Le Québécois avait hystérisé la Maison de la danse en y propulsant ses danseurs nus à perruque blonde, enchaînant à l’intuition saynètes et performances faites de bric et de broc, de chutes et de claques, de cris et de cloaques, avec cet espoir naïf et émouvant titré Un peu de tendresse bordel de merde !. Si l’on ne parvient pas tout à fait à s’aimer les uns les autres, on peut toujours essayer et écouter Dave qui, dans les propos préliminaires de sa création (dont rien ne filtre quant à son contenu), écrit ceci :
«Que la mort me prenne le premier car je ne survivrai jamais à la tienne. Je t’aime».
En cas de malheur et de dates qui ne concordent pas, on se consolera avec le Preparatio Mortis de Jan Fabre, son dernier et funèbre solo écrit pour Annabelle Chambon. Sulfureux lui aussi, Jan Fabre n’en a pas pour autant oublié de prévoir sa propre épitaphe : «Je suis une erreur. Je prends tout au sérieux mais pas au tragique». À méditer entre deux entrechats.
par Jean-Emmanuel Denave
15e Biennale de la danse du jeudi 13 au dimanche 30 septembre
Crédits photo : Maguy Marin/Bengolea et Chaignaud/Dave St Pierre
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