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A Lyon, les "Policiers en colère" créent le Collectif Libre et Indépendant de la Police

Ça s’agite toujours dans la police. Après avoir manifesté à plusieurs reprises partout en France, des « Policiers en colères » ont créé, à Lyon, le lundi 25 juin, le Collectif Libre et Indépendant de la Police (CLIP). Objectif : trouver un nouveau moyen de (re)donner de la voix lors de la rentrée sociale, en marge des syndicats désunis.

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Manifestation de policiers en colere - Paris-040512
Paris, le 4 mai 2012 , un des rassemblements « spontanés » de policiers Porte Maillot © Julien Muguet/Maxppp

Le 21 mai, pour la septième et dernière fois, une cinquantaine de policiers s’était rassemblée devant la préfecture du Rhône, comme dans d’autres grandes villes de France.

Ces « policiers en colère », comme ils se sont nommés, manifestaient suite à la mise en examen pour homicide volontaire d’un policier qui avait tué, le 25 avril dernier, un délinquant en fuite à Noisy-le-Sec. Quelques jours avant, le 11 avril, le décès d’un de leurs collègues à Chambéry, tué en service par des cambrioleurs, avait soulevé une très vive émotion.
Mais l’affaire de Noisy-le-Sec n’a servi que de « révélateur » du malaise qui couvait dans la police. D’où la multiplication de ces rassemblements sauvages avec, parfois, de sortie, uniformes et véhicules sérigraphiés. 
Débordés par leurs bases, les syndicats-ennemis de la police nationale ont tenté, chacun de leur côté, d’encadrer la contestation, en appelant à des rassemblements, avec des mots d’ordre sensiblement différents.

Unité SGP Police (majoritaire, rattaché à FO, réputé proche de la gauche) dénonçait la « politique du chiffre » tandis que Alliance (rattaché à la CGC, classé à droite) demandait la mise en place de la « présomption de légitime défense ».

 

Un collectif ou un nouveau syndicat ?

Sur Facebook ou par téléphone, les messages se sont multipliés contre la « récupération » par les syndicats et pour demander la création d’une coordination. 
C’est à la suite d’une rencontre le 9 mai à la préfecture du Rhône, avec le représentant du préfet, que les principaux meneurs lyonnais ont proposé l’idée de se constituer en association « pour asseoir une légitimité ».

Rapidement, une pétition a circulé dans les commissariats de Lyon pour savoir qui serait intéressé. En quinze jours, selon les instigateurs de l’association, 1200 signatures ont été recueillies. 
Les statuts du Collectif Libre et Indépendant de la Police (CLIP) ont été déposés le 25 juin 2012 à la préfecture du Rhône. 
En voici l’objet tel que publié au journal officiel :

  • être une force de proposition indépendante du champ politique ou syndical policier ;
  • fédérer les policiers autour d’une conception commune et idéale de leur métier ;
  • générer une dynamique de rassemblement et d’adhésion autour des revendications des fonctionnaires de police afférentes à leur quotidien et aux conditions et modalités de travail ;
  • apporter un soutien, aider et conseiller les policiers qui solliciteront l’association ;
  • engager, contribuer et participer à toute initiative permettant l’amélioration des conditions de travail dans les services de police ;
  • organiser la synthèse et l’élaboration de propositions.

A lire son objet, on peut penser qu’il s’agit de la création d’un nouveau syndicat de policiers.
 « Pas du tout », précisent les fondateurs du CLIP. L’un des policiers à l’origine de la création du collectif explique ce positionnement acrobatique :

« Nous ne sommes pas anti-syndicats. Contrairement à la rumeur, nous n’avons pas été créés par le FPIP (syndicat minoritaire considéré comme proche de l’extrême droite, ndlr). »

Un des créateurs se présente comme adhérent SGP-Unité Police, syndicat classé à gauche. D’autres membres seraient adhérents à Alliance.
Dans le compte-rendu d’une réunion du 31 mai, on peut effectivement lire :

« Quant à la relation avec les syndicats de Police, nous précisons que nous ne nous présentons pas comme une alternative à leur action. Nous n’avons aucunement l’intention de leur nuire et chacun est libre de rester affilié à son syndicat tout en étant adhérent à notre association. »

 

« Les syndicats se détestent et ils sont politisés »


Mais quand on discute avec des policiers d’un commissariat de l’agglomération lyonnaise, proches du CLIP, les paroles se font plus dures :

« On en ras le bol que les syndicats n’arrivent pas à s’entendre ».

« Parce que les syndicats sont divisés, on n’arrive pas à avancer, à avoir gain de cause ».

Les policiers reprochent aux délégués syndicaux de « penser » à leur carrière syndicale avant de s’occuper sur le terrain de leurs collègues ou de ne pas assurer le suivi des revendications :

« Beaucoup des revendications que nous soutenons sont déjà portées par les syndicats. Mais, à chaque fois, ils montent au créneau, et puis ça retombe ».

« Les collègues sont déçus par leur syndicat », reconnaît un membre du CLIP syndiqué à SGP Unité Police :

« Les syndicats se détestent et ils sont politisés. Beaucoup de policiers se syndicalisent seulement pour demander une mutation mais pas pour des demandes collectives ».

Les fondateurs du CLIP formulent un rêve pour qui connaît le syndicalisme policier : faire travailler ensemble les syndicats ennemis :


« C’est une question de méthode, il faut qu’ils travaillent ensemble. Car, sinon, c’est diviser pour mieux régner que joue la place Beauvau (siège du ministère de l’Intérieur, ndlr). »

 

« Reprendre les revendications des policiers »

Le CLIP entend « être la voix de tous les policiers de terrain, abstraction faite des appartenances syndicales ». 
Dès le 13 mai, ces revendications ont été déclinées sur le blog du collectif qui venait de voir le jour et qui n’était pas, à cette date, encore constitué en association. On peut lire :

« Quelle est notre cause? 
Au départ la mise en examen du collègue nous a mobilisés afin que soit créée pour nous une présomption de légitime défense ! 
Mais cette affaire a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et nous réclamons également :

– un peu plus de considération

– un peu plus de soutien de la hiérarchie
- la fin de la politique du chiffre

– plus de moyens humains et matériels afin de travailler en toute sécurité : en effet, comment assurer la sécurité des autres si nous ne sommes pas nous-mêmes en sécurité?

– la création d’un lien entre la police et la justice ».

Craignant qu’on les accuse de ne pas respecter leur devoir de réserve, les policiers du CLIP veulent rester dans l’anonymat. Pour porter leur discours, ils ont choisi des « civils », deux « anciens flics ». Des lieutenants de police qui ont démissionné et qui pourraient devenir leurs porte-parole :

  • Bénédicte Desforges, auteure de « Flic, chroniques de la police ordinaire » et « Police mon amour », et qui tient un blog.
  • Marc Louboutin, également auteur de deux ouvrages.

 

Rassemblement de policiers à Lyon, devant la préfecture du Rhône, le 11 mai 2012, à l’appel du syndicat Alliance

 

Les syndicats sur la défensive

Quand on tend le micro aux syndicalistes policiers, la prudence est de mise au sujet du CLIP.

Jean-Paul Borrelly, secrétaire régionale Rhône-Alpes/Auvergne d’Alliance (2e organisation, classée à droite) « respecte » la démarche du collectif :

« On a été la première organisation syndicale à leur ouvrir la porte. Je les ai entendus. Des adhérents d’Alliance, qui font partie de l’association, le font avec mon entière bénédiction. »

Même son de cloche chez SGP Unité Police (1ère organisation, classée à gauche). Alain Chizat, secrétaire pour le Rhône du syndicat Unité-SGP déclare :

« Ils nous rejoignent sur la plupart de nos revendications. Nous avons toujours dénoncé la politique du chiffre, le manque de considération et les problèmes d’effectif. De gros chantiers ont été ouverts sur le sujet cet été par le nouveau ministre de l’Intérieur. Il faut voir ce que ça va donner ».

La relative bienveillance s’arrête là.
Pourra-t-on voir à la rentrée SGP Unité Police faire une action à côté d’Alliance, à l’initiative du CLIP ? Certainement pas.
 Toujours Alain Chizat pour « Unité » :

« Le CLIP partage nos revendications sauf pour la « présomption de légitime défense » dont on ne veut pas. Nous, on demande de renforcer la « présomption d’innocence ». C’est pour ça qu’on ne pourra pas manifester avec eux, comme avec Alliance ».

Et Jean-Paul Borrelly d’Alliance considère qu’« on ne peut pas forcer les gens à s’aimer ».

Tout comme ses collègues d’« Unité », il rejette les accusations de « division syndicale » et d’« impuissance » portées par le CLIP :

« La diversité et la pluralité syndicale permettent justement de ne pas avoir un seul syndicat qui serait très vite inféodé aux pouvoirs publics. Chacun et chacune peut s’exprimer à travers cette diversité. »

D’autres syndicalistes craignent que ce nouveau collectif soit instrumentalisé par le ministère de l’Intérieur pour affaiblir les syndicats de policiers ou par des partis politiques d’extrême droite pour infiltrer la police.
Chez SGP Unité Police comme chez Alliance, on considère que si le CLIP porte des revendications dans le cadre d’un mouvement social, ce collectif se conduira en syndicat. A partir de là, les hostilités seront ouvertes à l’égard d’une organisation devenue concurrente.

 

 

 

 


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