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Claude Meunier, écrivain : "Je préfère être sur Internet que poireauter bd Saint-Germain"

Déclaration de guerre à l’édition classique

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Après avoir publié pendant 20 ans chez Plon, Grasset puis au Seuil, Claude Meunier, écrivain vivant dans la Drôme, a décidé de lâcher un tonitruant « mort aux cons ! », à l’attention des éditeurs. Et de faire sans eux, en ouvrant son site, « peinard comme un livre », pour lequel il écrit désormais tous ses textes, sous licence d’art libre, histoire de « faire tourner, comme on disait à la cantine ».

Tant pis pour les droits et à valoir des auteurs qui, dans les faits, ne sont plus qu’une poignée à vivre de leurs écrits. Autant recouvrer la liberté et aller là où sont les supports de diffusion et les lecteurs : sur la toile.

Jusque là, Claude Meunier avait pourtant tout fait bien : un premier texte à 34 ans, Ring noir, essai sur les avant-gardes et les boxeurs noirs, publié chez Plon. Puis un passage chez Grasset, où il signe les trois suivants, dont Le Jardin d’hiver de madame Swann, tentative de botanique proustienne. Longue pause, détour poétique dans un Paris qui n’est plus ce qu’il devrait, puis édition d’un Petit abécédaire du rire et de ses environs au Seuil, en 2011.

Mais la machine s’enraye. Un roman, sur lequel il bossait depuis trois ans, est refusé par son éditeur. Pas question de le « retravailler pour plaire » : il le range dans un tiroir. Un autre projet original se fait retoquer, l’éditrice ayant la certitude de « ne pas réussir à convaincre la direction commerciale ». Soupir de Claude Meunier :

« Quand j’ai signé chez un éditeur au début des années 90, ils se sont dits : au énième livre de Meunier, il va nous rapporter des ronds. Maintenant, ils ne font que des produits ; il faut que le livre rapporte à l’instant T sinon il n’y aura pas de n+1. En littérature, les éditeurs ne tendent plus qu’à vendre du roman bon chic, atone… »

Plus de place pour des objets littéraires qui aiment à prendre des voies buissonnières. Toute une famille d’écrivains se retrouve sur le carreau.
Sûr qu’avec ses essais oulipiens, Claude Meunier n’est a priori pas profilé pour garnir les têtes de gondole. Sans être un loser, cet ancien rugbyman passionné de vélo a plutôt une âme de Poulidor.

 

« Mon site, c’est mon livre »

L’écrivain drômois commence par ouvrir un blog dédié à ses cinoques, notules sur les doux dingues qu’il croise au gré du hasard. Sentiment de libération. Puis à la sortie des tablettes numériques, c’est le déclic :

« C’est tellement chouette ! Je me suis dit : je me mets à cet endroit-là, dans cette manière de faire, et qu’ils crèvent ! »

Claude Meunier commence à travailler sur des textes qu’il écrit spécialement en vue d’ouvrir son site, il y a six mois. Bras d’honneur à une édition qu’il juge fermée, il intitule son site « Edition du Balais ». « Ce n’est pas une carte de visite, ni un lieu de stockage, mais un objet littéraire » explique Claude Meunier qui fait sienne la formule de l’écrivain 2.0 François Bon : « mon site, mon livre ». C’est d’ailleurs la commande que passe l’écrivain aux graphistes qui conçoivent son site : « je veux un site peinard, comme un livre ». Pas de pop up qui s’ouvrent dans tous les sens, ni de farandole de couleurs : « deux typos et basta ! ».

 

« Trouvez-moi des lecteurs ! »

Désormais, Claude Meunier n’écrit que pour ce site sobre et élégant : une cinquantaine de textes récents, « petits papiers, bricoles, fragments, ballades, tout ce qui fait un attachement à la littérature » y figurent, ainsi que ses deux dernières publications au format PDF. Jugeant l’avenant pour les droits numériques « ridicule et grotesque », Claude Meunier n’avait en effet pas cédé les droits d’exploitation numérique ni à Grasset ni au Seuil, quitte à tendre ses relations avec ces éditeurs. Risque assumé :

« De toute façon, les éditeurs ne font plus le métier de chercher des lecteurs », estime l’écrivain.

Pour lui, c’est évident que les lecteurs sont sur la toile. Il en a rencontrés de « très émouvants ». Il cite ce type sur Twitter qui lui a proposé d’illustrer ses cinoques ou cet étudiant qui lui a confié aimer ses derniers poèmes de toutes sortes. Chez Claude Meunier, ce qui pourrait passer pour de l’aigreur est balayé par une ironie mordante et de l’enthousiasme. Son livre-site lui ouvre un champ de possibles, démultiplie son envie d’écrire et de partager sa curiosité littéraire.

 

Licence d’art libre et copyleft

« Internet est un support qui favorise la création. Je n’ai pas à attendre deux ans et à me soumettre à une « sanction éditoriale. Ça ne change pas la façon d’écrire, mais la condition de naissance du texte car ça donne une solution de diffusion. »

Peu importe si Internet peut être aussi le déversoir d’un grand n’importe quoi. Lui se sent enfin libre, mais pas moins rigoureux :

« Un texte me prend un mois et demi avant la mise en ligne, c’est une démarche lente : je regarde, je soupèse chaque phrase » explique-t-il.

Il a choisi de fermer son site aux commentaires, car « les notes qui suivent un texte changent la perception du texte ». Mais pour le reste, tout est open… Textes et photos de son site sont régis par une Licence Art Libre qui accorde l’autorisation de copier, de diffuser et de transformer librement les œuvres, dans le respect des droits de l’auteur : « ce n’est donc pas un copyright mais bien plutôt un copyleft. »

De même, deux textes déjà publiés sont disponibles au téléchargement, « pour des usages disons… sympathiques, personnels en tous cas, a-commerciaux à tout le moins. Pour le reste, me prévenir, et je serai probablement d’accord avec vous : faites tourner, comme on disait à la cantine. L’essentiel étant que j’y retrouve mes petits… » écrit-il sur son site.

 

« Notre patronne, c’est la directrice de la médiathèque »

« Je ne maîtrise pas tous les aspects juridiques, je l’ai fait d’instinct. C’est une quasi déclaration de guerre à l’édition classique. Mais je préfère être là plutôt que poireauter boulevard Saint-Germain, à attendre leur bon vouloir » explique Claude Meunier.

Est-ce à dire que l’écrivain a définitivement renoncé à vivre des à valoir et droits liés à la publication de ses écrits ? Il évacue la question d’un revers de la main. « La question des droits n’est pas centrale pour la condition des écrivains. Ils ne sont que quelques uns à vivre de leurs publications » assure t il. En 2006, le sociologue Bernard Lahire démontrait en effet, dans une étude intitulée « La condition littéraire, la double vie des écrivains », basée sur 500 auteurs rhônalpins, que seuls 2% des écrivains vivaient de leurs droits d’auteur, les autres menant une double vie professionnelle ou vivant des activités périphériques à l’écriture. Claude Meunier poursuit :

« L’écrivain vit d’ateliers d’écriture, de résidences, de bourses, de salons, de lectures, de performances… Autant d’interventions financées par la puissance publique, via des centres régionaux du livre, des médiathèques ou des manifestations littéraires. Notre patron, maintenant, c’est l’élu ou le plus souvent la patronne des médiathèques.

Le paradigme ancien d’un rapport privé, industriel, via un contrat, entre un auteur et un éditeur pour la production d’un objet manufacturé, c’est fini ! Les éditeurs de poésie ou de théâtre sont déjà passés dans l’autre économie ; ils sont mûrs pour l’édition numérique. On va vers un autre temps du livre. Le Folio de 200 pages c’est torché ! »

Pour autant, « cela n’annonce pas la fin du livre » tempère Claude Meunier : « cela ouvre juste une expérience enthousiasmante ».

 

50% des auteurs présents sur le Web

Claude Meunier a récemment apporté son témoignage lors d’une journée d’études « Auteurs et numériques » organisée par l’Agence Rhône-Alpes pour le Livre et la Documentation (l’ARALD). A cette occasion ont été présentés les résultats d’une étude réalisée auprès de 550 auteurs, dont voici quelques chiffres clés (d’après une étude intitulée « Auteurs et numérique » prochainement en ligne sur www.arald.org)  :

  • 61% des auteurs déclarent avoir signé un contrat comportant une clause numérique et 22% disent avoir signé un contrat distinct. 20% seulement disent avoir pu négocier les termes de leur contrat numérique. Seuls 13% ont constaté une ligne de versement de droits numériques dans leur relevé de ventes.
  • Près de 50% des auteurs ont une présence sur le web (site, blog, réseaux sociaux, compte twitter), dont 60% par intérêt réel pour ces outils.
  • 18% des textes sont écrits spécialement pour les supports web, qui font la part belle aux contenus multimédia.
  • Seuls 10% des auteurs pensent que le numérique a déjà fait évoluer la création littéraire ; et 10% envisagent qu’une évolution devrait se produire.

 


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