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Lyon, une ville truffée de matériaux radioactifs ?

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Le 29 février dernier, deux agents de l’IRSN (Institut de radioprotection de sûreté nucléaire) étaient contaminés par des poussières radioactives. Un incident survenu au cours d’une mission de récupération d’instruments de laboratoire, dans la cave d’un ancien médecin radiologue. La ville serait-elle truffée de matériaux dangereux ? L’inventaire 2012 publié par l’ANDRA mercredi 11 juillet intègre toujours Lyon dans sa carte des sites pollués par la radioactivité (article màj).

Mise à jour le 12 juillet 2012 // Il existe quarante-trois sites pollués par la radioactivité recensés fin 2010 en France selon l’inventaire national 2012 publié mercredi par l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs). Au milieu d’eux figure Lyon, classé « site réhabilité ».

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Article du 15 mars 2012 // Les opérations de collecte d’objets à risque, les agents de l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) en effectuent près de 600 ans par an sur tout le territoire. Radium, uranium, thorium, tritium, américium… Nocives, régulièrement découvertes par hasard, par des particuliers dans leurs caves ou leurs greniers, ce sont les matières qu’ils doivent traiter. Bruno Cahen, directeur industriel en charge de la collecte et du traitement des déchets nucléaires à l’ANDRA connaît bien la provenance de ce type de substances :

« Les objets que l’on retrouve chez les gens sont essentiellement du matériel radioactif ancien qui a servi dans le milieu médical. Ces objets au radium à usage médical (ORUM) ont été utilisés entre les années 1920 et 1960, pour la curiethérapie, la radiothérapie ou la radiologie ».

Ce type de matériel hautement radioactif n’est d’ailleurs plus fabriqué ni exploité depuis cette époque. Mais abandonné, il a pu être entreposé dans d’anciens cabinets médicaux transformés depuis en appartements. C’est le cas pour l’incident du quai Claude Bernard, comme le souligne Bruno Cahen :

« A Lyon, des aiguilles au radium ont été découvertes par l’occupant d’un immeuble où pratiquait un ancien radiologue. N’en ayant plus l’utilité, il les avait abandonné dans la cave. De plus, vu leur ancienneté, récupérer ces objets est assez rare, on en collecte seulement une dizaine par an. On a bien essayé de remonter la piste des ex-entreprises du secteur, mais les livres de clientèle ne sont pas fiables et les clients difficiles à localiser ».

 

Le radium : objet de trafic

Pour compliquer un peu plus ce travail de recherche, les conditions de commerce des matériaux radioactifs avant les années 60 n’ont pas été aussi scrupuleusement contrôlées qu’elles le sont aujourd’hui. Roland Desbordes, président de la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité) revient sur les enjeux qu’on longtemps représenté ces matières :

« Le radium a longtemps fait l’objet de trafic car il était très prisé. Au début du siècle dernier il se vendait plus cher que l’or. En parallèle du marché officiel, des systèmes d’échanges clandestins se sont développés et il est aujourd’hui compliqué de remonter la trace de ces produits. »

L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a tenté de mener cette mission en envoyant des lettres aux DDASS (Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales). Sans parvenir à de réels résultats.

« Aucun état des lieux n’a été effectué à la fermeture des centres médicaux utilisant ce type de matériel. La DDASS ne s’en est pas préoccupée », affirme Roland Desbordes. « On a perdu la mémoire et il s’agit aujourd’hui de la retrouver ».

 

« De vraies saloperies »

Ne reste donc qu’à s’en remettre aux découvertes aléatoires des particuliers. Le président de la CRIIRAD reconnaît que cette méthode est malheureusement la seule option possible :

« L’inventaire n’est pas forcément satisfaisant, mais on ne peut pas faire autrement. Le seul moyen, c’est de tomber fortuitement sur ces objets ». Et bien qu’il reconnaisse l’étrangeté de la situation, il se veut toutefois rassurant : « Il n’y a pas de problème de santé publique nationale» à ce sujet, bien qu’il considère que ces objets soient de « vraies saloperies ».

Autre objet de la vie courante qui serait en fait une jolie menace au-dessus de nos têtes : les paratonnerres contenant du radium, héritage du siècle dernier. L’ANDRA en récupère une centaine par an, principalement sur des bâtiments publics. Un arrêté daté du 11 octobre 1983 interdit l’emploi d’éléments radioactifs pour leur fabrication, mais leur enlèvement n’est pas rendu obligatoire par cet arrêté.

Une procédure de collecte accélérée est actuellement envisagée par l’ASN, bien qu’aucune mise aux normes ne soit imposée et qu’il n’y ait « pas d’urgence radiologique ou sanitaire », selon Bruno Cahen. Des modalités à sa mise en place sont en contrepartie nécessaires comme il l’explique :

« Il y a trois conditions à remplir. En premier lieu, il faut assez d’entreprises de démontage habilitées à ce genre de tâches. Ça c’est en cours. Ensuite, dans l’attente d’une solution de stockage, la collecte nécessite des lieux d’entreposage plus grands. Un entrepôt est actuellement en construction sur le site déjà existant de Morvilliers (Aube), et sera prêt en fin d’année. Puis, pour ce qu’il s’agit du stockage définitif, un centre réversible de profondeur (centre industriel de stockage géologique) devrait voir le jour à l’horizon 2025. »

D’ici là, l’ANDRA exploite deux centres de stockage en surface dans l’Aube (communes de Morvilliers, Soulaines-Dhuys, Epothémont et Ville-aux-Bois) et en surveille un troisième dans la Manche, lequel n’est plus approvisionné depuis 1994. Les ORUM convergent vers un entrepôt de Saclay (Essonne), et les paratonnerres et autres objets au radium sont entreposés au centre de Cadarache, dans les bouches du Rhône.

 

Une législation inappropriée

Une porte de sortie entrouverte donc, pour ces objets d’un autre âge. Mais qu’en est t-il aujourd’hui de la menace de voir se disséminer dans la nature de nouvelles matières à risque ?

La législation actuelle sur l’approvisionnement et la possession d’instruments médicaux ou matières radioactives est évidemment beaucoup plus stricte qu’au début du siècle dernier. Et la gestion faite de ses produits fait l’objet d’un suivi rigoureux, comme l’explique Grégoire Deyirmendjian, directeur Rhône-Alpes de l’ASN, l’organisme en charge du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France :

« Posséder de tels appareils nécessite une approbation indispensable de l’ASN. Selon les degrés de radioactivité et de risques qu’ils représentent, ils font l’objet d’une déclaration (pour un risque faible) ou d’une autorisation de détention et d’utilisation s’ils représentent un risque plus élevé. L’ASN peut donc refuser un dossier si elle n’est pas satisfaite des mesures de radioprotection prises par le gestionnaire ».

Pourtant, selon la loi, si la détention d’instruments radioactifs est soumise à déclaration de la part de l’acheteur,  aucune autorisation préalable à l’achat n’est exigée. Et si Grégoire Deyirmendjian estime qu’un « risque de ne pas déclarer le matériel existe », il est selon lui « impossible que cela puisse arriver dans les faits, car de nombreux contrôles inopinés sont effectués par les agents de l’ASN et qu’un tel délit serait passible de peines de prison ».

 

Empoisonner sa belle-mère ? Rien de plus simple.

Roland Desbordes, président de la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité), n’est pas si catégorique. Pour lui, les règles de fourniture et d’utilisation sont une « bizarrerie », et la législation en vigueur manque de clarté :

« Il est évident qu’il faut clarifier la législation, car les choses évoluent très lentement dans ce secteur. Aujourd’hui c’est tout à fait possible de se procurer des échantillons de sources radioactives sur internet. Si vous voulez, vous pouvez acheter du polonium 210 aux Etats-Unis pour empoisonner votre belle-mère ! C’est en cela qu’il y a un défaut de la législation, sur le moment à partir duquel il faut déclarer ce matériel. »

Un défaut législatif, donc, et « un réel manque de volonté politique pour régler les erreurs du passé », qu’il pointe du doigt en s’appuyant sur un exemple concret :

« Depuis des années nous nous sommes démenés à la CRIIRAD pour dénoncer l’usage de détecteur ionique d’incendies. Si leur utilisation n’est aujourd’hui officiellement « pas recommandée », il existe toujours un problème pour les récupérer. La législation tend à évoluer dans le bon sens mais on voit bien que l’on ne sait pas comment se dépatouiller du passé ».

En somme, mieux vaut compter sur soi pour s’assurer de sa sécurité, en utilisant notamment le compteur Geiger, un instrument de mesure pour déceler et mesurer le rayonnement d’une source, comme l’atteste laconiquement Roland Desbordes : « Le seul moyen de repérer du matériel radioactif, c’est celui-là. »


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