Vous avez peut-être détesté Biophilia, le dernier album de Björk, et on vous comprend. Mais on vous rassure aussi, si vous faites partie des 4200 chanceux qui ont leur place en poche. Car découvrir un album de Björk sur scène, ce n’est jamais réécouter le même disque que sur la platine du salon.
Ceux qui ont déjà tenté l’expérience lors de la tournée Vespertine, à l’Auditorium, savent quelle alchimie peut se produire quand la musique de Björk reprend vie en public, qu’elle soit chantée en catimini a capella ou entourée d’une chorale Inuit.
Pour les autres, une petite cure de Live Box pourra faire office de piqûre de rappel. Un coffret, 4 CD, 4 tournées : de Debut à Vespertine, chaque volet rend compte des métamorphoses successives de l’Islandaise, qui non contente de se renouveler sur toute la ligne à chaque album, réinvente aussi chaque disque à chaque apparition sur scène.
«Le truc en concert, c’est que les instrumentations et les arrangements ne doivent plus être les mêmes. Il faut pouvoir déchirer l’emballage en préservant le contenu», explique-t-elle sur le livret qui complète sa Live Box.
De ses Débuts entièrement mis à nu, puis revêtus des tablas de Talvin Singh, au Post Tour dans lequel Björk avait changé tous les arrangements de cordes en accords d’accordéon, chaque live est une résurrection caméléon, une récréative réinvention.
La tournée Post était un déluge de lasers et de démesure spectaculaire ? La tournée Homogenic sera l’opposé : «un live d’ermite descendu de sa montagne, qui n’avait besoin que d’une chaise, d’une cuillère et d’un bol de porridge».
Casser la voie
Sachant cela, on se surprend à rêver d’un Biophilia où la voix de Björk, trop souvent poussée ces derniers temps dans ses retranchements hystériques et urticants, retrouverait le cocon feutré de Vespertine ou la substantifique moelle de Medulla. Bien sûr, il y a peu de chances pour que le dédale de breakbeats qui sévit sur Crystalline puisse, en live, recouvrer la simplicité d’une Hyperballad. D’autant que le concept même de Biophilia incite davantage au gigantisme hi-tech qu’à une communion d’ascète.
Mais la Fée Septentrion ayant plus d’un tour dans son sac, qui sait justement quel tour pourrait prendre la suite de la tournée ? «C’est précisément ce qui est génial en concert : c’est que chaque date prend une vie à part entière. Vous pouvez toujours planifier le truc, choisir vos musiciens, donner des consignes…
Il se passera toujours quelque chose d’imprévu qui fera vivre la musique par elle-même.» Passons sur les imprévus qui ont contraint Björk à annuler ses dates de mai : un fâcheux nodule découvert sur ses cordes vocales a fait taire tout espoir de concert en Espagne et au Portugal. Si les arènes de Nîmes et de Fourvière l’ont échappé belle, reste que les paroles de Heirloom, dans ce contexte, prennent une résonance toute cauchemardesque : «I have a recurrent dream, everytime I lose my voice», chantait Björk en 2001 sur l’IDM de Console.
Interrogée à l’époque sur ce qu’il adviendrait dans le cas malheureux où elle perdrait sa voix, la diva répondait alors qu’elle pourrait se consacrer à la peinture ou à l’enseignement. Bien sûr, imaginer Björk privée de son organe relèverait d’un sort aussi cruel que celui de Beethoven devenu sourd. Car dans cette voix reconnaissable entre mille, cette voix qui incarne à elle seule toute la puissance féminine, on entend aussi bien la fureur des volcans que l’onde insondable des océans ; la profondeur de l’Artiste avec un grand A ; la femme libre et insoumise qui n’a jamais fait que ce qui lui chantait.
Déclare indépendance
Sa devise : «don’t copy anyone». Si Björk sait s’entourer et s’inspirer des autres (le concept de Biophilia lui a notamment été soufflé par l’essai Musicophilia d’Olivier Sacks), elle compose et produit toute sa musique toute seule depuis Homogenic.
Allant désormais jusqu’à créer ses propres instruments hybrides, comme le gameleste (croisement de célesta et de gamelan) ou le sharpsichord, qui donnent le la de Biophilia. À 47 ans, Björk souveraine de l’indépendance artistique fait partie de ces démiurges insatiables qui, à chaque nouveau disque, ne peuvent s’empêcher de faire table rase du passé.
«Je me sens lésée si je ne prends pas de risques, c’est pour ça que je ne pourrais jamais refaire un album que j’ai déjà fait». Quitte à prendre le risque de perdre l’auditeur en route, ou de se voir interdite de concert en Chine, après avoir scandé «Tibet !» sur le refrain de Declare Independance.
Texte de Stéphanie Lopez
Björk
Aux Nuits de Fourvière. Samedi 30 juin.
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