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Années 80 : l’ouvrage sur un cinoche perdu

Passionnant ouvrage qui revient sur la culture des années 80 avec le cinéma en guise de miroir pop, Rockyrama dresse le portrait d’une génération à laquelle ses auteurs appartiennent : émerveillée mais lucide sur les excès

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, l’excentricité et ce mélange détonnant de cynisme et de naïveté qui a constitué l’époque.

 

C’est l’histoire d’un livre qui raconte l’histoire de ceux qui l’ont écrit en racontant l’histoire d’une époque. Reprenons : arrive entre nos mains Rockyrama, somme de 350 pages alternant textes signés d’auteurs divers, parfois connus, parfois inconnus et riche iconographie — posters, photos retravaillées… dans un joyeux foutoir retrouvant l’esprit des revues et fanzines qui faisaient florès dans les années 80.

C’est justement le sujet du bouquin : cette décennie d’excès, de mauvais goût, de pognon cyniquement exhibé (quand on en a) ou maladroitement camouflé (quand on est dans la dèche), mais aussi de sincérité absolue et de candeur enfantine, grande remise à zéro des compteurs culturels après des années 70 hautement politisées et viscéralement inquiètes. D’un côté, l’insouciance d’un monde meilleur qui voit se profiler la fin de la guerre froide, de l’autre l’arrivée d’un libéralisme incontrôlé qui va conduire au pessimisme des décennies suivantes.

Culturellement, c’est le triomphe des pop stars planétaires et de la musique synthétique, la première vague des comics sérieux et l’apparition des jeux vidéo phénomènes. C’est surtout une période encore impensée de l’histoire du cinéma américain qui alors règne en maître sur les écrans mondiaux, longtemps regardée comme honteuse, bâtarde ou indigne par les cinéphiles purs et durs, mais aussi comme un plaisir (coupable ?) par ceux qui l’ont vécu dans les salles ou par le biais de l’alors toute-puissante VHS.

 

«On a tout pris dans la gueule en même temps»

Johan Chiaramonte, fondateur et rédacteur en chef de Rockyrama, et Guillaume Baron, qui signe certains textes-clés du bouquin, sont de purs produits des années 80. Ces deux trentenaires y ont vécu une partie de leur adolescence, se sont rencontrés par le biais de leur passion commune pour le cinéma de l’époque, passion exposée via un blog et une émission de radio avant de se poursuivre mensuellement avec un ciné-club au Pathé Cordeliers où ils rediffusent sur grand écran des films emblématiques comme Retour vers le futur, Gremlins ou Indiana Jones et le temple maudit.

Une passion sauvage, libre et anarchique dans laquelle Rockyrama cherche à mettre un peu d’ordre : «On se rend compte qu’on est une génération de cinéphiles bâtards, explique Guillaume. On n’est pas de la génération des Cahiers, on n’est pas de la génération 70, on a appris avec la VHS et ça a mis tout dans le même sac. Selon notre éducation, on a pu voir des vraies daubes ou des classiques, mais on a tout pris dans la gueule en même temps. Quand Johan a eu l’idée de le faire, ça permettait de solder nos comptes et de passer à autre chose». Ledit Johan explique ainsi la démarche de Rockyrama : «Ce livre, c’est un objet de fétichisme. J’ai lancé le bouquin parce qu’il n’existait pas ; j’aurais rêvé que quelqu’un le fasse, mais là, c’est encore plus beau car c’est nous qui le faisons. On parle de ce qu’on aime à l’intérieur».

Ce qu’ils aiment : la mode du barbare dans le film d’action de Conan à Rambo, le heavy metal, John Hugues, Alan Moore, John MacTiernan, Run DMC et John Carpenter, mais aussi Steven Spielberg, Tetris, Michael Jackson… À la lecture de Rockyrama, et ce n’est pas un mince compliment, on se croirait revenu devant ses vieux Starfix, magazine de cinéma culte qui n’hésita pas à encenser les grands auteurs des années 80, de Cameron à Zemeckis, avant d’élargir leur spectre à une «rock culture» polymorphe, trop tôt pour des lecteurs déboussolés qui laissèrent le titre péricliter prématurément.

 

Enfants terribles, sales gosses et grands enfants

À ceci près que le temps commence à faire son office et, même s’ils s’en défendent, les auteurs de Rockyrama offrent la première mise en perspective de ce grand fouillis que sont les années 80. Du mauvais goût, il y en eût à revendre ; des charlatans qui ne pensaient qu’au fric (comment en gagner et comment le flamber), ne n’est pas ce qu’il manquait — Menahem Golan et Yoran Globus, patrons de la mythique Cannon, en sont les étendards ; mais c’est aussi ce fatras qui fait tomber les barrières et les tabous, libérant des énergies juvéniles, renversant les clichés et repoussant loin toute tentation puritaine. C’est le moment des grands enfants — Michael Jackson et Steven Spielberg — des sales gosses — Eddie Murphy — et des enfants terribles — Carpenter, Joe Dante…

Une période où les nerds prennent leur revanche et où les geeks connaissent leurs premiers boutons sur le visage et sur leurs ordinateurs Amstrad. Une époque qu’on qualifie souvent de «régressive» mais qui, si on la compare avec celle que l’on connaît aujourd’hui, montre surtout à quel point le sérieux retrouvé a aussi conduit à beaucoup de régressions morales. En cela, Rockyrama, dont la couverture annonce qu’il n’est qu’un numéro 1, est bien une revue à tous les sens du terme : à la fois recueil d’articles éminemment personnels et passage en revue d’un âge qui, à défaut d’être d’or, vaut peut-être plus que sa réputation de contreplaqué rutilant.

Christophe Chabert

Rockyrama
Black book éditions, 350 pages, 29, 90€

 

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