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Réchauffement climatique : la bande dessinée qui dit tout

Après Dol, critique des politiques libérales, Philippe Squarzoni revient avec Saison Brune, une nouvelle bande-dessinée fleuve qui fait le point sur le réchauffement climatique. Cet ancien militant d’ATTAC qui vit à Lyon, nous propose après six années de travail une œuvre quasi documentaire, si précise qu’elle en deviendrait presque parole d’évangile.

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Interview /

 


Crédit photo : Olivier RollerMini

Rue89Lyon : Que signifie exactement l’expression « saison brune » ?

Philippe Squarzoni : C’est le nom qu’on donne dans le Montana à la période intermédiaire entre l’hiver et le printemps. Un moment où la neige a commencé à fondre, mais le printemps n’est pas encore là et donc il y pas mal de boue. Ça rejoint aussi une autre thématique du livre plus personnelle, c’est idée du passage à la quarantaine. On sort de la première moitié de sa vie qui est ouverte, pour entrer dans la seconde qui est fermée. Ça évoque à la fois le temps qui passe, le temps qu’il fait. Ça colle à la thématique  centrale du livre : nous sommes dans une période intermédiaire entre deux moments de notre histoire. Une première partie où l’on pensait que les ressources étaient inépuisables, que les richesses étaient infinies, la croissance perpétuelle et une seconde période où il va falloir prendre en compte les contraintes du climat, l’épuisement des ressources, les limites de la planète. Nous sommes dans une période un peu intermédiaire, un moment un peu suspendu où on a quitté la première histoire, mais pas complétement et on a commencé la seconde sans vraiment encore l’habiter.

 

Comme on parle beaucoup en ce moment de Maus, la bande dessinée de Art Spiegelman sur l’holocauste à l’occasion de son 20e anniversaire, le terme « brune » nous renvoie un peu à la peste du même nom…

A raison. Cette dégradation concernera aussi nos civilisations, nos organisations et nos valeurs. On voit déjà émerger des tendances qui remettent en cause les démocraties comme étant inefficaces, incapable de répondre à la question du changement climatique. Pour certains, il faudrait un dictateur bienveillant pour faire cette transition. Et on ne voit pas ça que chez les écolos radicaux. C’est là que le réchauffement va poser problème. Quand nos civilisations vont vouloir se réformer très vite pour changer fondamentalement ce qu’elles sont et comment elles fonctionnent.

 

N’y a t-il pas un brin de défaitisme dans vos propos  ?

Je ne trouve pas. Le fait de faire un album de 500 pages sur le climat ce n’est pas une démarche défaitiste. Et je ne le suis pas non plus, même si on ne peut pas dire que je sois optimiste. Au départ de ce livre, je ne connais rien au réchauffement climatique, je suis donc très redevable à ce que d’autres ont fait avant moi, des scientifiques, des journalistes, ces personnes qui m’ont accordé des interviews. La matière de ce livre, elle vient d’eux. Moi, au terme de ce travail, je pense que le réchauffement climatique est extrêmement grave. Que l’ampleur des changements à mettre en œuvre est telle qu’il sera difficile d’en éviter les conséquences. Mais j’ai découvert que c’était techniquement possible de réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre tout en conservant un service énergétique de qualité. De réduire au Nord, d’augmenter le niveau de vie des pays du Sud sans passer par la phase polluante par laquelle nous sommes passés grâce à de nouvelles techniques beaucoup plus efficaces en terme d’énergie… La porte technique, je la vois dans les travaux de négaWatt, elle est développée par Bernard Laponche. Ça me semble donc possible.

 

Mais vous dites dans la BD que cette porte déjà se referme…

Le temps manque pour la saisir et la question ne se pose pas seulement pour la technique, elle se pose aussi en terme politique. Ça veut dire changer nos logiciels, sortir du productivisme et changer nos mentalités aussi. Et si vous me posez la question, honnêtement, je ne pense pas qu’on la saisira à temps. Tout se joue sur un délai assez court de 20 à 30 ans, il aurait fallu s’y mettre avant. Mais le livre n’en demeure pas pour autant défaitiste. Il cherche tout du long cette porte et il me semble qu’il la trouve.

 

C’est le Nord qui surconsomme et c’est encore une fois le Sud qui devrait trinquer…

C’est une injustice parce que les pays historiquement responsables du déclenchement du réchauffement et de la proportion qu’il a pris ce sont les pays du Nord et il semblerait que les conséquences favorisent les pays où il y a déjà de l’eau, de la végétation. L’adoucissement des températures aidera la productivité agricole, le sol dégèlera dans les latitudes élevées comme en Russie et permettra de cultiver des céréales. Ces pays deviendront peut-être les greniers de la planète. D’une certaine façon, et probablement aussi parce qu’ils le savent et qu’ils parient là-dessus, ils seront les gagnants, du moins à court terme. Le pourtour méditerranéen, l’Afrique subsaharienne, les zones déjà sèches connaîtront plus de sècheresses. Dans des pays où on est déjà proche des optimums climatiques où la population dépend pour sa survie de l’agriculture, les choses vont devenir extrêmement compliquées et elles le sont déjà. D’après l’ONU, il y aurait 300 000 morts par an en raison du réchauffement climatique. Le problème, c’est qu’on ne le voit pas. C’est une crise lente. Ce n’est pas un tsunami, ce n’est pas une centrale nucléaire. C’est lent et rapide à la fois. On n’aura jamais connu un changement aussi rapide avec un ou deux siècles. Et en même temps, c’est trop long pour la mise en place de politiques, c’est trop long pour réaliser à notre échelle ce qui se passe.

 

Peut-il y avoir des effets positifs au réchauffement climatique ? La Sibérie deviendrait par exemple une zone plus fertile…

Il est fort probable que les conséquences du réchauffement seront négatives. Plus de sécheresse dans les pays pauvres, plus de pluie dans les pays riches. Ça veut dire aussi des déplacements de maladies, de zones favorables à l’agriculture, à la pêche… Plus rapide que notre vitesse d’adaptation. Si un réchauffement se produisait sur 10 000 ans, il y a 500 000 ans sur une terre de quelques millions d’habitants, chasseurs-cueilleurs, se déplaçant avec leurs troupeaux sur les zones favorables à la cueillette,  ce n’était pas si grave. Aujourd’hui, en un siècle, si les zones favorables à l’agriculture se déplacent de 300 kilomètres vers le nord, il sera très difficile à 60 millions d’habitants en France, de prendre leurs routes, leurs champs, leurs usines nucléaires sous le bras et de monter au nord là où ils dérangeront quelqu’un. Ça va très vite.  Et ce n’est pas parce que ce n’est pas naturel qu’il faut lutter contre le réchauffement. C’est parce que ce n’est pas naturel que nous pouvons le faire. On a déjà injecté deux degrés de réchauffement. On les aura d’ici 2050 très probablement. L’idée, c’est qu’ensuite, le climat risque de casser et de se transformer radicalement.

 

 

Il y a un aspect très journalistique dans votre travail, mais pas de contradictoire… Pourquoi ne jamais donner la parole à la partie adverse ?

Je ne suis pas un journaliste et ce n’est pas, à mon sens, un travail journalistique. C’est un travail d’auteur de BD essentiellement. Et si ça devait se rapprocher d’une forme de journalisme, ça serait plutôt du documentaire. Parce qu’il y une volonté d’élaboration formelle, une dimension de création qu’il n’y a pas dans le journalisme qui vise à l’efficacité et à la clarté.

Pour ce qui est de la nécessité journalistique de donner les deux points de vues. D’abord, c’est souvent brandi, mais souvent pas fait ou mal fait. Parfois ça ne sert que d’excuse pour donner le dernier mot au camp qui n’est pas le camp adverse. Il y a deux aspects dans le livre : le scientifique et le politique. Pour ce dernier, j’ai certaines valeurs qui font que je n’adhère pas à un projet de société qui dirait : « continue à gaspiller de l’énergie et tant pis pour le Sud, ils resteront où ils sont ». Je n’ai pas envie de donner la parole à ces gens, ni l’envie de faire semblant de leur donner la parole, plus court, moins bien que les gens qui partagent mes valeurs et qui auraient le dernier mot. Je trouverais ça hypocrite.

Pour ce qui est de l’aspect scientifique, il y a quelques personnalités en France qui ne sont absolument pas représentatives de ce que dit la science. Leur donner la parole sous-entendrait qu’il y a débat alors qu’il n’y a pas débat. Une étude a été faite par des Américains : ils ont pris au hasard 900 publications scientifiques en cherchant combien remettaient en cause le fait que le réchauffement soit d’origine humaine. Ils en ont trouvé zéro. Ils ont fait de même avec 600 articles écrits par des journalistes, ils en ont trouvé la moitié. L’idée de bien faire son travail pour un journaliste sur la question climatique, ça peut l’amener à donner la parole à des individus isolés ou, aux États-Unis, à des représentants de lobbies qui ne disent pas ce que dit la science.

On a vu émerger cette idée chez les journalistes au moment du Climategate de couper la poire en deux en disant que le réchauffement était moitié d’origine humaine, moitié du au soleil ou je ne sais quelle fantaisie. Mais la science, ce n’est pas le lieu d’un compromis. Ce n’est pas possible. Vous n’attrapez pas le sida une fois sur deux par relation sexuelle et une fois sur deux par la salive. Vous ne l’attrapez jamais par la salive. La terre ne tourne pas un jour sur deux autour du soleil et le lendemain, c’est le soleil qui tourne autour de la terre. J’ai découvert que le GIEC était le porte-parole de la science, je ne donne la parole qu’au GIEC ou aux auteurs qui s’en réclament.

Pour qui allez-vous voter le 22 avril ?

Je n’ai pas envie d’en parler. Je n’évoque pas l’aspect politique dans le livre. Je ne suis pas le porteur de drapeau d’un candidat ou d’un parti.

Aller plus loin

Saison Brune, de Philippe Squarzoni, Éditions Delcourt. Sortie en librairie le 28 mars.

Quelques extraits de Saison Brune sur le site de RUE89


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