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Philippe Layat, le paysan qui résiste au Grand Stade

Il participait ce matin à une audition technique avec le juge de l’expropriation. Philippe Layat devra probablement céder au Grand Lyon une portion de ses champs pour permettre la construction d’un des accès qui mènera jusqu’au Grand Stade de l’OL et qui coupera en deux ses terres, à Décines et à Chassieu. Ce céréalier de 57 ans qui est aussi détective privé alterne entre la résignation et les coups de sang.

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Philippe Layat, le paysan qui résiste au Grand Stade de l'OL. Crédit : DD/Rue89Lyon.
Philippe Layat, le paysan qui résiste au Grand Stade de l’OL. © DD/Rue89Lyon.

Quand Philippe Layat nous reçoit dans sa ferme, chemisette rose nouée au-dessus du nombril, il nous passe une soufflante. Pourquoi ne l’a-t-on pas appelé directement, cet après-midi il a des engrais à poser dans ses champs et du désherbant, et avec toutes ces conneries, ça va finir par pourrir dans le hangar. A ses côtés, Roger Sybille, le trésorier de l’association Carton Rouge opposée à la construction d’un OL land à Décines, tente de calmer le jeu :

« Tu peux bien prendre une heure. T’as dit que c’était ok. C’est ta vie que tu joues, là. »

Philippe Layat fait partie de la trentaine d’agriculteurs qui doivent être expropriés d’une partie de leurs terres, à Décines et à Chassieu, afin de mener à bien le projet du Grand Stade porté par Jean-Michel Aulas, président de l’Olympique Lyonnais, et Gérard Collomb, président du Grand Lyon. Jusque là, Philippe Layat n’avait jamais accepté un seul recommandé apporté par le facteur. Il a toujours interdit l’entrée de sa ferme aux géomètres, menaçant de les éborgner s’ils osaient y mettre un pied.

L’association Carton Rouge, avec laquelle il ne souhaitait pas davantage entrer en contact, a fini par le convaincre de la rejoindre, pour que son combat soit moins isolé, mené de façon plus « structurée ». Même si, de l’aveu de Roger Sybille, « on commence à s’essouffler » chez les opposants. Un campement pourrait être mis en place sur les champs de Philippe Layat, par quelques activistes. A la façon des paysans du Larzac qui avaient voulu résister pacifiquement à l’extension d’un camp militaire.

« On m’a dit, tiens, on va te mettre des gitans. Ou des indignés. Moi j’men fous. Je les laisse mettre leurs tentes s’ils veulent, » glisse Philippe Layat, pas enclin à jouer le meneur, dans tous les cas.

 

1 euro du mètre2 : « une hérésie »

« Depuis que Jouannot (Chantal Jouannot, alors ministre des Sports, ndlr) a signé la déclaration d’intérêt général du stade, c’est foutu. Elle est venue dans le gouvernement rien que pour ça, elle. Elle a signé et puis on n’a plus jamais entendu parler d’elle, » s’énerve Philippe Layat.

A 57 ans, il est aussi épuisé qu’exaspéré. « Ma famille a la ferme depuis 400 ans. Moi j’ai toujours bossé là. »

La route qui doit passer à travers champs coupera en deux son terrain : 2,9 hectares à Décines. Mais aussi 2,3 hectares à Chassieu, sur les 25 hectares qu’il possède en indivision avec ses frères et sœurs. Le Grand Lyon lui a envoyé un courrier dans lequel le projet d’expropriation est détaillé : Philippe Layat recevra un euro pour chaque mètre2 cédé. « Une hérésie », clame-t-il.

A quelques pas, certaines terres ont été vendues 40 euros le mètre2, car classées en zone AU (à future urbanisation). Celles de Philippe Layat sont classées en zone N, « à protéger ». Ce classement est « invraisemblable », selon Etienne Tête, l’avocat des « expropriés du Grand Stade » :

« La zone N, c’est le nec plus ultra de la protection. A cause des oiseaux et des crapauds, on dit qu’on ne peut même pas poser une serre. Et ensuite, on va construire une route, des aménagements… Il faut reclasser ces terres au moins en zone AU. »

Pour Philippe Layat, il ne s’agit pas que d’argent. L’idée de vendre une portion de champ ne lui a jamais traversé l’esprit. « C’est sentimental », lâche-t-il. Juste au-dessus de sa ferme, le champ grimpe à perte de vue, une forêt marque l’horizon. Plus haut, c’est le lotissement dans lequel vit Roger Sybille, le trésorier de Carton Rouge. Si on entre dans le pré habité par les moutons, on peut voir sa villa :

« Ils veulent faire des tunnels souterrains pour faire passer les moutons sous la route. C’est quand même ridicule. »

 

Un détective privé qui cite Ronsard

Philippe Layat ne croit réellement en l’aide de personne. Il vit chichement, mais ne veut pas dire avec quelle somme mensuelle. « Je mange mes patates, des pissenlits. Mes moutons. » Quelques tranches de gigot qu’il met au congélateur. Et ses revenus de détective privé.

Au début, on se dit qu’il s’agit d’une nouvelle plaisanterie. Mais Philippe Layat confirme : il est bien détective privé, il est dans l’annuaire. « A l’ancienne sur le terrain », explique le céréalier qui ne va pas sur Internet. Armé d’un appareil photo avec un bon zoom. Il fait tout, de la surveillance industrielle, les vols dans les entreprises, les adultères. Quand on prend le temps, le céréalier finit par raconter quelques anecdotes savoureuses.

Philippe Layat passe de l’humour à la colère. Roger Sybille tente de lui faire tenir un discours sérieux. Mais l’agriculteur semble ne pas vouloir entendre trop de choses sur son cas d’expropriation. « Je suis un marginal, » aime-t-il dire. Il aurait presque envie de dire « anarchiste », mais il se sent empêché.

Il raconte avoir pris par le col un élu. « Des ordures », estime-t-il, faisant référence aux poubelles qui se sont entassées un peu partout dans la ville, suite à la grève des éboueurs. Il cite Ronsard de mémoire pour exprimer son envie de profiter de la vie et, la minute suivante, Philippe Layat confie que parfois il préfèrerait ne plus être là. Il fume des cigarettes qu’il roule dans une jolie machine en métal.

« Faut bien mourir de quelques chose. Les clopes, la bibine. Et le Roundup ».

Depuis qu’on l’y a fortement invité, le céréalier réceptionne les courriers envoyés en recommandé. Il va manger chez le trésorier de Carton Rouge et répond aux sollicitations des médias. « Avec ces histoires d’expropriation », surtout, il ne dort quasiment plus.

Philippe Layat, paysan exproprié, devant sa ferme à Décines. © DD/Rue89Lyon.

 

Les recours contre le Grand Stade

Ce jeudi matin, après une audience technique qui s’est déroulée à la salle des fêtes de la mairie de Chassieu, le dossier de Philippe Layat a finalement été renvoyé. Une centaine de personnes l’ont accompagné, pour montrer les muscles, et le soutenir.

« Quand le juge aux expropriations se déplace, ce n’est pas qu’une visite des lieux, explique Etienne Tête. Cela peut se terminer par une audience foraine. Là, pour des problèmes de procédure, l’affaire a été renvoyée. »

L’avocat, figure de l’opposition aux grands projets de Gérard Collomb, porte bénévolement 20 dossiers d’expropriation liés au Grand Stade. Philippe Layat a rejoint le groupe très récemment.

« Il avait une position de l’éloge de la fuite, explique Etienne Tête. En fuyant le problème on ne le voit pas et on a l’impression qu’il n’existe pas. Mais à un moment il faut y aller. »

L’un des enjeux du dossier de Philippe Layat, c’est a minima d’obtenir le classement de son terrain en zone AU, à urbanisation future, dont le mètre2 se monnaie à 40 euros. « Ce serait plus juste ». Le projet du Grand Stade est déjà bien avancé. Mais Etienne Tête ne lâche pas :

« Tous les dossiers majeurs du Grand Stade sont attaqués. Les cinq dossiers d’accès notamment ».

Il a lancé une dizaine de recours auprès du tribunal administratif. Aucun n’est suspensif. La semaine prochaine, l’avocat en déposera un énième, contre le permis de construire. Quand on demande à Philippe Layat s’il y croit encore, il répond : « Vous y croyez, vous à la Révolution française ? ».

La pancarte qui orne l’entrée de la ferme familiale de Philippe Layat, à Décines. © DD/Rue89Lyon.

#Décines

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